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RENCONTRE VERS UN CONTE

Dans le document Les écritures de soi (Page 96-99)

À

LA SUITE du séminaire, une étudiante a produit

spontanément le texte qui suit.

J’écris des morceaux de moi-même. Pour creuser une idée, pour communiquer, pour mettre ma pensée

à plat quand ça se bouscule : un journal intime pour faire le point ; un « journal de bord » pour le profes- sionnel.

Ces morceaux de moi-même sont des mots des gens croisés, des idées débattues par d’autres, des points de suspension entendus dans les silences d’émotion ou de doutes qui m’entourent. Tous ces échanges avec les autres passés aux tamis, aux mixers, au crible, aux rêveries de mon cerveau, que la méta- phore soit culinaire ou poétique, tous deviennent des morceaux de mes écrits.

Et si c’était ce changement par l’échange qu’ils ap- pellent « histoire de vie » ?

R

ENCONTRE

,

RENCONTRES

Voilà que je cherche où est la science dans toute cette littérature personnelle. Où se trouvent le concept, l’idée, la méthode dans l’écriture d’une fiction, d’un journal, d’un extrait de vie ?

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Chemins de formation au fil du temps…

Alors, bon, allons voir ce qui se passe en bord de Loire où des universitaires nous parlent des « Écri- tures de soi : entre science et littérature ».

Arrivée là pour un sujet qui m’intriguait, je me suis mise dans la tête qu’intellectualiser un peu pour deux jours ne me ferait pas de mal. Disons que les choses d’université, je les prends comme un luxe au- jourd’hui. Parce que d’où je viens, on a le droit d’être cultivé, mais il faudrait voir à ne pas trop la rame- ner… Alors, discrètement, je suis revenue à l’univer- sité.

Donc, écrire sur soi, ça m’intéresse. Qu’est-ce qu’on a dans la tête en sautant le pas ? Pour moi, je crois savoir (et encore), mais pour les autres ? Et puis, j’ai vu l’écrivain invité à la télé1, ça fera toujours un

truc à raconter aux lecteurs de mon entourage ! Lorsque ce dernier prend la parole : le choc. Il nous dit qu’il n’était pas bien vu lorsqu’il parlait litté- rature ; que son entourage accordait plus d’attention à sa passion depuis qu’il était passé « chez Pivot ». Ça me rappelle quelque chose… Je me rends compte que je me suis donné les alibis d’un milieu semblable au sien pour être là à l’écouter.

Un peu plus tard, je me retrouve face à face avec lui et nous discutons en aparté du débat. Petite anecdote croustillante. Lorsque l’écrivain participait à un jury littéraire pour la télévision, il a noté que l’image du boucher – métier dont il se paie aussi une tranche – avait été dénaturée par la chaîne TV à la- quelle il s’adressait. Dans une série policière, on avait découvert que le meurtrier du jour était le bou- cher de l’intrigue : il s’était fait prendre tout bonne- ment parce qu’il fréquentait une bibliothèque ! Un

boucher à la bibliothèque ! J’vous l’demande ! Sûr qu’il lisait des polars pour ourdir sa stratégie crimi- nelle ! Voilà le tueur arrêté et la profession entachée, sortez vos mouchoirs et vos tabliers : tristes clichés. Remarquez, d’autres se sont bien étonnés de savoir que mon père, agriculteur, passait ses loisirs à lire. Du coup, je me retrouvais encore dans ce que me contait l’écrivain qui m’en bouchait un coin…

Le lendemain, je lisais son ouvrage. J’ai pleuré sur son enfance et aussi sur quelques démons de la mienne qui fut moins malheureuse. Puis j’ai lu la dé- dicace :

« Écrire c’est témoigner, la vie peut basculer. » Ainsi, écrire des événements de sa vie reviendrait à en apporter un témoignage. Évoquer de façon per- sonnelle ce qui peut toucher l’autre qui vit aussi per- sonnellement ces événements, ou qui ne les vit pas mais peut les comprendre par empathie, quand une histoire de vie raconte mieux qu’un article, un livre d’histoire ou un sondage d’opinion.

La vie bascule pour celui qui écrit parce que l’autre reconnaît son histoire alors qu’il pouvait la croire sans intérêt ou peu crédible. Et la vie pourrait basculer pour celui qui lit parce qu’on lui parle de sa propre histoire qui prend de l’intérêt et de la crédi- bilité.

Oui, le témoignage par l’écriture peut basculer la vie. Mais il est des écritures secrètes, des écritures pour soi que l’autre ne lira jamais. Elles finiront par- fois au fond d’une corbeille à papiers qui ne témoi- gnera jamais de ces morceaux de vie réduits en confettis pour alimenter une benne à ordure. Des écritures qui ne disent qu’à nous-même ce que nous

Témoignages, bilan et réactions vivons. Des témoins narcissiques de notre existence

qui ne basculent pas la vie des autres…

Et si alors l’autre que nous cherchions était nous- même ? Relire son journal intime. Se faire autre pour accepter de vivre son histoire. Avec aussi, peut-être dans un coin, l’idée que quelqu’un pourrait nous lire, sait-on jamais ? Il y a des gens qui fouillent dans les poubelles, il y a des indiscrets qui lisent les pages lais- sées sur la table. Sommes-nous donc vraiment sans l’autre dans ces rédactions-là ?

D’autres écritures plus « scientifiques » nous enga- gent aussi à la vigilance. L’autre, s’il est lecteur de sciences, s’intéresse à la pensée. Mais s’il est de l’en- tourage du scientifique, il saura le reconnaître par ses expressions et son vécu. J’ai par exemple fait l’expé- rience de faire lire un article de ma composition à une amie. Sa réaction a été : « Pas de doute tu as écrit ce texte : c’est bien de toi d’utiliser ce terme et cet exemple-là ! » Rien de plus sur le sujet.

Quand j’ai rédigé mon mémoire de maîtrise, j’ai voulu utiliser tous les documents à disposition concernant les recommandations universitaires pour l’écrit scientifique. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser que les gens de mon entourage liraient aussi mes écrits. Il m’a donc fallu composer avec l’image à donner à la communauté scientifique et l’image à donner à ceux qui connaissaient ma vie personnelle. Deux « autres » à satisfaire…

En somme, après ces journées à l’université, je continue à m’interroger. L’écriture est rencontre avec soi, avec l’autre, avec d’autres qui nous ressemblent ou pas, avec d’autres différents les uns des autres… Et je me demande alors ce que je peux ajouter

d’autre… Sans me raconter d’histoires…

S

I CET ARTICLE M

ÉTAIT CONTÉ

Il était une fois une exilée volontaire de la fac qui ne voulait plus disserter. Elle pensait que la science, trop intellectuelle, allait l’éloigner de sa réalité. Elle s’ac- cordait juste quelques entorses à ses principes parce qu’elle aimait écrire et apprendre des autres. Après quelques jours de séminaire, elle a voulu écrire un peu de ce qu’elle avait appris. Tout ce qu’elle griffon- nait dès lors allait tourner autour de sa propre his- toire. Pas de grandes phrases sur des concepts scien- tifiques, ni même la certitude d’une définition claire de ce qu’étaient les « histoires de vie ». « Mais alors, se dit-elle, si lorsque je veux écrire sur un thème scientifique, je ne peux m’empêcher de parler de moi, c’est que je n’ai rien compris… » Alors, elle relut ses textes.

Et là, oh surprise ! Elle se rendit compte qu’elle avait appris des choses d’elle par les mots des autres. Elle avait écrit des morceaux d’elle-même avec des mots des gens croisés. Elle en conclut que les his- toires de vie étaient une belle science qui permettait de faire de la littérature en ramenant la science à soi pour la partager avec les autres. Elle vécut changée et rédigea beaucoup de textes.

PASCALE MANDIN Maîtrise en sciences de l’éducation, en recherche d’emploi.

B - VARIATIONS:

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