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D’UNE EXPÉRIENCE CROISÉE

Dans le document Les écritures de soi (Page 80-85)

Témoignages des étudiants du DUHIVIF : quelles découvertes à partir de la dé-

marche « histoires de vie » et de l’écriture de soi, quelles interrogations, quelles perspec-

tives ?

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ENDANT deux années (2001 et 2002), nous

avons suivi la formation DUHIVIF dans le cadre de la formation continue de Nantes. Ce séminaire sur « Les écritures de soi, entre science et littérature » correspond à la fin de cette formation. Aussi allons- nous joindre nos voix à celles des divers intervenants pour évoquer ce que furent notre expérience, et l’effet relevé en nous de la démarche « histoire de vie. »

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ÉMOIRE Identité personnelle Récit de vie Interculturel Intergénérationnel Herméneutique Corpus

Croisement des savoirs Linguistique Structure sociale Problématique Journal de bord Ré-appropriation Interprétation Distanciation Exploration Hiérarchisation Entonnoir

Voilà un inventaire des mots-clefs de la formation en histoires de vie. On parle de tout cela, on secoue bien fort, et on arrive au bout de deux années à faire un travail qui semble se tenir debout, qui a fait re- monter en nous des souvenirs, des émotions, des se- crets bien cachés, et qui nous a permis une ouverture, une écoute, un respect des autres, mais aussi de ren- contrer toute une pléiade d’hommes et de femmes assez extraordinaires.

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Chemins de formation au fil du temps…

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E CHEMIN QUI MÈNE À SOI

Une scolarité écourtée involontairement, et la longue marche commence. Un parcours atypique, marbrier, mécanicien, dessinateur, des changements de lieux mais un rapport constant avec l’art par l’artisanat et le travail manuel. Quarante-deux ans en entreprise, quarante-deux ans à entreprendre, à résister, à relever des défis et un matin sans l’avoir voulu, sans y être vraiment préparé, on se retrouve dans un autre temps. L’activité salariée s’arrête et se pose la ques- tion : « Comment en est-on arrivé là ? » On se re- garde, on vide ses poches, on sort une petite gomme, compagne des moments d’études, de création, un bout de crayon, ça suffit pour que la vie prenne sens, cette vie que l’on a écrite avec ses outils, broche, mas- sette, clé à molette, planche à dessin.

Alors naît l’envie d’écrire, de faire vivre cet espace de temps, on se retrouve à l’université permanente dans un atelier d’écriture, on se sent sur le chemin, on veut comprendre sa démarche militante, sa révolte, se rencontrer.

Un jour on croise le DU en histoires de vie, on se glisse dans la démarche, elle s’empare de nous, on ré- siste, on se surprend, parfois ça fait mal quand un moment particulier émerge et que l’on prend conscience de cet instant où l’on s’est transformé, où l’on a croisé, côtoyé ou abandonné ses rêves.

Mais cette découverte de soi, dans le cadre du DU, encadrée, maîtrisée, accompagnée, est riche, on dé- couvre que le temps de l’écriture est un temps plus léger parce qu’il est accompagné de détails qui ha- billent la mémoire de gestes, de couleurs, animent les personnages et donnent vie au récit, on se sent naître. Le temps de l’écriture est un temps qui ne s’inscrit pas dans le temps. C’est un temps qui visite les ins- tants et qui, en leur donnant vie, abolit la barrière du temps. Le temps de l’écriture est un temps de ren- contre. Une rencontre se vit au présent et ce présent est un cadeau du temps.

Écrire son histoire de vie, c’est donner du sens à sa vie, ensoleiller son utopie.

JEAN-CLAUDESALOMON

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PRÈS

-

COUP

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SELON CHACUN

L’écriture de soi commence par la prise de contact avec la charge événementielle de toute vie. Sa mise en mots passe par un apprentissage qui a pour visées

Témoignages, bilan et réactions d’apprendre à raconter, de savoir dire l’essentiel de sa

vie, de parvenir à la mise en relief de la « matière », du vécu et d’en dégager du sens. Donner du sens signifie alors donner du mouvement et non couvrir de l’ombre d’explications qui se veulent interprétatives, l’événement qui était là vivant et vibrant.

On ne dit pas assez le pouvoir des mots. Et le pou- voir des mots, quand on formule son récit, est de nous mettre en contact avec nos sources. Avec cette source à laquelle nous aspirons. Une source qui dit d’où nous venons, mais qui dit aussi ce vers quoi nous tendons. Et c’est là que se trouve le sens. Chaque fois que nous devons trouver du sens, c’est lorsque nous pouvons replacer les événements dans le cours de cette source, dans le cours de ce à quoi nous aspirons, sans oublier d’où nous venons.

À cette dimension du mouvement, à cette dimen- sion temporelle s’ajoute le fait que le récit se construit avec les autres et, ce faisant, tisse un lien de parole. De quelle manière le récit qui vient d’être fait me parle, tout en sachant que la façon dont il me parle est tout à fait singulière.

Maéla Paul1, après avoir présenté la démarche qui

a été la sienne dans la partie implication/travail sur sa propre histoire, propose d’entrer en mouvement par la « face nord ». D’entrer dans le récit par le nocturne avec des séquences d’implication/immersion dans les quatre éléments. L’eau, l’air, le feu, la terre ouvrent des espaces de paroles entre deux locuteurs. Dans cette relation dialogique, la parole échangée déve- loppe un objet commun, un espace commun à partir d’actes de pensée partagés. Et ça, c’est quelque chose qui est un grand enjeu dans les démarches histoires

de vie, la construction d’un espace commun, d’un sa- voir partagé. Ces mondes communs ont la particula- rité de pouvoir être construits à partir d’actes de pen- sées qui sont tout à fait singuliers. Ce serait dans ce voyage toujours à double sens, dans cet aller et retour entre espace singulier et espace commun que serait la condition d’un récit nouveau sur sa vie, c’est-à-dire un récit retravaillé et retravaillant notre rapport à cet espace, à ces mondes communs.

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Chemins de formation au fil du temps…

En histoire de vie, le récit de soi est retravaillé par l’ouverture d’un champ de questionnement dans cet univers partagé. Ce faisant, la formation de l’individu au récit de soi, à l’écriture de soi, se construit dans une alternance entre espace individuel et espaces par- tagés.

Gina précise que cette formation en histoire de vie est un lieu privilégié, unique, où le mot « sens » prend son véritable sens. Elle pose ses pas dans le sillage des chercheurs et ouvre un nouveau chemin où l’écriture de soi se donne à lire en

deux langues, le français et l’italien. Elle qualifie cette expérience de fantastique et la dit non terminée, tou- jours en projet.

Édith, après deux années à écrire, retient un travail sur des mots forts à partir de rencontres avec les cher- cheurs (cf. son texte, plus haut). Elle dit l’importance du travail toujours en chan- tier du souvenir remonté à

la surface. Elle dit aussi ses choix dans le pêle-mêle des idées, des écrits, par un méticuleux passage au crible, dans « l’entonnoir » des souvenirs. Au final, après une observation attentive, il ne reste que deux ou trois choses à écrire : les écritures de soi, l’écriture du dire de l’autre.

Maryse parle de reconstruire sa vie avec sa mé- moire. Cet inventaire lui « renvoie sa vie à la figure ». Un flot d’écriture survient, étalant sur la page l’oser-

dire. Il provoque souffrance, mal de vivre et besoin de repos.

Travailler sur sa vie c’est refaire des parcours, re- trouver des lieux. Quand on pense à sa vie profession- nelle, nous dit Jean-Claude (cf. son texte, plus haut), on travaille sur « entreprendre » et « résister ». Puis vient le temps de l’écriture qui passe par celui du sou- venir. Par l’écriture, on habille de couleurs le souvenir des situations difficiles, à la limite du supportable. L’écriture rend le temps plus léger.

Pour Pascale, l’écriture de soi est d’abord un arrêt sur images sur le cours de sa vie. Autant un regard porté sur son histoire qu’une pro- pulsion vers un projet, vers un avenir. Entre les deux, un plongeon dans l’épais- seur du parcours, une explo- ration inconfortable, un va- et-vient entre lectures et travail sur le terrain. Elle ac- compagne deux femmes en insertion professionnelle. Et l’écriture chemine vers des contours plus nets via un détour là où elle ne savait pas qu’elle irait. La pa- role des deux sujets qui s’expriment force le respect. À partir de ce dire recueilli, la mise en mots s’effec- tue, créative sur la page blanche.

Tenter de se dire avec l’insaisissable du souvenir du vécu et du rêve. Tenter de s’expliquer à la manière d’un chercheur de trésor, en plongée, par étapes. Re- trouver sa vie et se la réapproprier par l’écriture. Se

Témoignages, bilan et réactions reconnaître avec des mots, c’est cela l’écriture de soi

selon Myriam.

Pour Bernadette, le tissage de souvenirs d’expé- riences vécues en relation avec les éléments ouvre l’espace du narratif. Il consiste à raconter à l’autre et à accueillir en retour son récit. Par l’écoute de l’autre, je me découvre, je suis interpellée, j’entre en résonance. Le récit que j’en fais permet de garder des traces

Expériences professionnelles de vies racontées et de vies écoutées.

Désir de se former et de progresser. Se découvrir pour devenir plus créative. En histoire de vie, les mots sont des fenêtres ouvertes… Réflexion sur l’agir.

Désir de vivre de l’extraordinaire dans une vie or- dinaire. Restaurer un savoir-faire et maintenir un sa- voir-être. Sylvie est en pleine écriture de soi…

Pour ma part, l’écriture de soi est une mise en che- min. Chemin de quête et d’accueil via lectures, via dialogues avec des chercheurs-initiateurs de la dé- marche des histoires de vie, via dialogues avec des compagnons d’études.

Chemin de quête et d’accueil d’une représentation de moi comme énonciatrice d’une pratique liée à l’ex- périence vécue.

Énonciatrice aussi dans la situation interlocutoire, dialogique où l’écriture se fait écho de la parole en- tendue en situation de face-à-face, où le quelque chose à dire se construit au fur et à mesure et s’as- semble dans un certain ordre avec la visée de créer du sens. Mise en acte d’un changement de regard sur sa vie, l’écriture de soi donne à voir un travail sur un je- ici-et-maintenant qui renoue et met en sens des mo-

ments de sa trajectoire de vie, des fragments repérés, ordonnés, questionnés.

Création de récits de vie, d’histoires de passage, façon de se mettre en projet.

Ce texte de témoignages croisés veut remplir l’of- fice de commentaire traditionnellement dévolu à une postface.

Il propose une lecture du moment où chaque étu- diant revient sur ses propres traces d’écriture de soi. C’est donc après-coup que se découvre le sens d’expé- riences, d’impressions, de traces. Et l’acte d’écrire fait place au récit. Le vécu de l’écriture de soi est remanié après-coup électivement. Ce remaniement s’est trouvé précipité par la survenue de dates-événements à Nantes, séminaire « Écritures de soi », mémoire à produire, mémoire à soutenir, article à rédiger. Ces événements permettent à chaque étudiant-chercheur d’accéder à un nouveau type de signification et de ré- élaborer son expérience d’écriture de soi.

L’après-coup détermine ce qui l’a précédé, c’est-à- dire ce que racontent les textes à un moment donné, transitoire. Il présente une écriture qui n’entend mar- quer ni avancée, ni recul. Cette écriture se suffit de battre comme un pouls. Cette écriture de vie a tra- versé des moments de doute, d’incertitude, de manque et pourtant, son murmure est incessant.

MARIE-JOSÉE GUILLIN Pour l’équipe DUHIVIF

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TABLE RONDE : MARTINE LANI-BAYLE,

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