• Aucun résultat trouvé

Religion et restauration La place de l'Eglise protestante dans la Genève d'après

Dans le document Tradition, vocation et progrès - RERO DOC (Page 44-47)

Introduction à la partie

Chapitre 2. La bourgeoisie face aux défis économiques et sociaux de la restauration (1814-1841)

3. Religion et restauration La place de l'Eglise protestante dans la Genève d'après

S'il est un défi central pour Genève de la période de restauration que les bourgeois doivent impérativement relever, c'est bien celui de la question religieuse. Suite à l'Annexion, la difficulté de rétablir l'ancestral lien qui unissait l'Eglise protestante à l'Etat se complexifie avec l'émergence d'une minorité catholique, née dans la douleur pendant la période française. Seuls les anciens bourgeois, en qualité de garants de la stabilité de l'Etat, avaient autorité pour rétablir l'ancien lien, gage d'un retour à une stabilité perdue. La collusion d'intérêts entre les élites bourgeoises et l'Eglise protestante est évidente en 1815. Les Genevois de vieille souche, donc protestants, ont été obligés d'intégrer les catholiques au territoire cantonal, alors qu'ils auraient préféré voir cette minorité suivre les Français dans leur exil.191

La formation d'une minorité organisée et revendicative, est intimement liée à l'occupation française, et à un homme en particulier, l'abbé Vuarin, nommé "missionnaire"192

dans la nouvelle cité préfectorale en 1799. Pendant plus de quarante ans, il œuvre au sein même de la Rome Protestante. Vuarin agit subtilement, entre intrigues et coups d'éclats. A peine arrivé, il recherche un local pour dire la messe, précédemment célébrée discrètement dans une chapelle qu'avait fait construire le Résident de France dans son Hôtel particulier.193

La manœuvre, toute symbolique, soulève les oppositions, et la petite communauté de catholiques ne cesse de changer de lieu de culte. Il faut dire que plusieurs propriétaires résilient les baux lorsqu'ils comprennent à quelle fin sont destinés leurs locaux. Même la population de la cité n'est pas en reste: "le 1er juillet 1801, la foule se mit à lancer des pierres contre les fenêtres, menaçant de jeter au lac les prêtres et leurs autels".194

190

Voir chapitre 1 de ce travail, point 2.1.

191

GANTER, Edmond, op. cit. p. 365. Cette interprétation catholique des événements n'est sans doute pas abusive. 192 Ibidem, p. 353. 193 Ibidem. 194 Ibidem, p. 354.

Graphique 2.1. Pourcentage de la population catholiques dans la ville de Genève (1822- 1850)

Elaboré à partir de CARDINAUX, Michèle, Démographie genevoise au XIXe siècle. Des sources aux chiffres: synthèse rétrospective, mém. de lic. Histec, Univ. De Genève, Genève, 1997, p. 31.

Conséquence sans doute de la présence française, la population catholique se fait plus présente à Genève et Ganter affirme qu'en 1804 elle compte environ 4'000 personnes,195

sur une population évaluée à 23'000 âmes quelques mois auparavant.196

En 1822, soit plus de 8 ans après le départ des Français, les catholiques ne représentent qu'une communauté de 3'600 personnes, dans une ville de 25'000 habitants.197

La diminution du nombre de catholiques ne peut être expliquée que par un retrait partiel, volontaire et parallèle aux troupes d'occupation. Au plus, elle met en évidence une pratique de recensement de la population qui tend à diminuer arbitrairement le nombre de catholiques résidant dans la cité.198

Toujours est-il que fort de cette petite communauté, Vuarin exige dès 1803 l'Eglise de Saint-Germain comme lieu de culte.199

Trop proche de Saint-Pierre, cette ancienne église catholique n'était en effet plus utilisée. L'Eglise protestante par le biais de la Société Economique refuse, mais lorsque le préfet menace de nationaliser les biens religieux, l'accord est conclu, et le 16 octobre 1803 les catholiques reprennent possession de l'Eglise Saint-Germain.200

Leur implantation dans la cité ne concerne pas que l'instauration d'un lieu de culte. Quelques mois auparavant, le décès du premier

195

Ibidem, p. 354. Ganter indique que le chiffre de 4'000 catholiques provient de la préfecture.

196

SISMONDI, Charles, Statistiques…., p. 71.

197

CARDINAUX, Michèle, Démographie genevoise au XIXe siècle. Des sources aux chiffres: synthèse rétrospective, mém. de lic. Histec, Univ. De Genève, Genève, 1997, p. 31.

198

En parcourant les recensement cantonaux de cette période, il est surprenant de constater que dans quelques cas, les enfants issus de mariages mixtes sont systématiquement inscrits comme protestants, tandis que dans d'autres cas ce n'e st pas le cas. Michel Oris et Gilbert Ritschard ont lancé en janvier 2003 un projet financé par le Fonds National Suisse qui devrait permettre d'analyser précisément la manière dont les catholiques ont été comptabilisés.

199

GANTER, op. cit., p. 355.

200 Ibidem. 0.0 5.0 10.0 15.0 20.0 25.0 30.0 35.0 1820 1825 1830 1835 1840 1845 1850 1855

préfet de Genève avait permis à Vuarin d'obtenir une petite surface pour établir un cimetière, au-delà de la porte Neuve.201

La question religieuse, jusqu'alors toujours limitée au seul protestantisme, se complexifie avec la formation d'une large minorité catholique dès la signature du Traité de Turin en 1816. Elle représente un réel défi pour les magistrats, comme le montre le graphique 2.1. Les premières années de la période représentative mettent clairement en évidence ce problème religieux. Si la population catholique gagne peu à peu du terrain sur la population protestante, il faut constater que cette dernière semble rester figée. Tandis qu'entre 1822 et 1850, les catholiques progressent d'un facteur de 2,6 en ville de Genève,202 la population protestante n'augmente que de 2,4% pendant la même

période.203

Pourtant, si la Constitution de 1814 rétablit le lien entre l'Etat et la religion protestante, cette dernière est secouée par un courant de pensée dissident, dit "du Réveil", dont le succès est incontestablement à mettre en parallèle de la montée du catholicisme à Genève. "Le mouvement du Réveil naquit parmi les étudiants en théologie au milieu des années 1810 par le biais des influences indépendantes de pasteurs anglais méthodistes et d'un piétisme romantique et mystique".204 Le Réveil, aussi puriste que

dynamique, divise considérablement les fidèles et la Compagnie des Pasteurs, qui, surprise de voir son autorité attaquée de l'intérieur, réagit avec virulence. César Malan, un pasteur qui a embrassé "avec ardeur les principes du calvinisme le plus rigide",205

animateur du Réveil, est par exemple interdit de chaire à Genève en 1818 par la Compagnie.206 Continuant son combat religieux, il est

finalement déchu du ministère ecclésiastique en 1823.207

Le fondamentalisme protestant du Réveil est non seulement une conséquence du développement du catholicisme à Genève, mais encore de la perte progressive d'influence du pouvoir bourgeois face aux libéraux. Avec l'annexion, le canton avait non seulement perdu son indépendance, mais encore son unité religieuse et voyait ses autorités historiques remises en question. A la restauration, les autorités se trouvent dans une situation délicate. Elles ont besoin du soutien de l'Eglise protestante, qu'elles rétablissent comme seule "Eglise Nationale", mais ne peuvent négliger la minorité catholique, dont le poids électoral s'affirme de plus en plus. D'un autre côté, le poids politique des catholiques ne peut pas s'appuyer sur des élites aussi clairement définies que chez les protestants. Jamais la communauté catholique n'avait été prise en compte à Genève, et la vocation bourgeoise n'a pas d'effet sur ses membres. Le manque de leader politique catholique est un facteur qui affaiblit le poids électoral de cette confession, dont les membres sont sujets à toutes les convoitises électorales.

201

Ibidem.

202

Passant de 3'612 personnes en 1882 à 9'320 en 1850, CARDINAUX, op. cit., p. 31.

203

Passant de 21'267 personnes en 1822 à 21'774 en 1850; Ibidem.

204

HATOS, Pál, "La naissance du "protestantisme" à Genève au XIXe siècle : les débuts du protestantisme culturel au miroir d'une analyse d'histoire conceptuelle", in Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de

Genève, tome 28 (1998), p. 35.

205

MONTET, Albert (de), Dictionnaire biographique des Genevois et des Vaudois qui se sont distingués dans

leur pays et à l'étranger, 2 volumes, Lausanne, 1877, p. 93.

206

Ibidem.

207

4. L'exemple de la formation primaire: l'école pour tous au cœur des divisions

Dans le document Tradition, vocation et progrès - RERO DOC (Page 44-47)