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Relecture sociodidactique de mes travaux et positionnement actuel

P ROBLEMATISATION SOCIODIDACTIQUE : PREMIERS JALONS PRAXEOLOGIQUES POUR UNE DIDACTIQUE ALTERITAIRE

4.3 P ISTES SOCIODIDACTIQUES POUR APPREHENDER LA LANGUE DE SCOLARISATION COMME OBJET , ET COMME PRATIQUE

4.3.3 Relecture sociodidactique de mes travaux et positionnement actuel

Une première partie de mes travaux ne remet pas en cause la nécessité d’apprendre le français, mais montre que les élèves plurilingues s’y investissent différemment selon la valeur qu’ils attribuent à leur identité plurilingue. J’ai donc proposé une didactique qui vise à reconnaitre les identités en vue d’apprendre une langue de scolarisation soumise à ses propres règles [1 ; 3 ; 5 ; 8*]. Ce que j’appellerais une sociolinguistique de niveau 2 (cf. 1.1) restait pourtant insatisfaisante au regard des pratiques discursives des élèves, y compris dans la classe [8 ; 9 ; 10]. J’ai proposé deux manières de prendre en compte le plurilinguisme des élèves dans la classe en m’appuyant sur la notion de posture interactionnelle, ce que j’ai essayé de décliner en gestes concrets pour les enseignants (cf. chapitre 2) [4 ; 8* ; 9 ; 15*] :

Chercher à discerner dans un premier temps si l’élève se dit en français en tant qu’alloglotte (posture plurilingue) ou comme un locuteur (mal)heureux d’une langue qu’il (ne) maitrise (pas) (posture unilingue). (…) Il s’agit donc de présenter aux premiers le français comme une langue légitime non exclusive. On veillera à ce que les seconds reconnaissent aussi leurs compétences plurilingues pour dépasser la simple appréhension d’une incompétence linguistique. Il est bien entendu que certains élèves arrivent à gérer leur plurilinguisme d’une façon satisfaisante humainement et scolairement. Leurs outils et stratégies sont toujours innovants,

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surprenants et peu visibles pour l’enseignant. En effet, ce dernier est surtout formé pour repérer les erreurs et difficultés selon une posture unilingue. [8 : 150]

Cependant, cette proposition ne paraissait pas didactiquement audible parce qu’elle ne tenait sans doute pas suffisamment compte de la diversité des pratiques dans les classes, ce que je ne pouvais appréhender que par une approche ethnographique.

Une seconde partie de mes travaux s’est donc logiquement focalisée sur les pratiques des élèves plurilingues, en vue d’identifier des manières de faire ignorées [2 com ; 10* ; 13* ; 17* ; 15* ; 19* ; 21 ; 25*]. Cela a confirmé le fait que des compétences langagières se développent parfois à l’insu des enseignants, et qu’elles peuvent avoir un rôle épistémique. C’est le cas par exemple de la double énonciation dans les récits scolaires (cf. 2.2.4) : le phénomène de double énonciation dans les récits oraux des

élèves est plus visible dans l’interaction que dans les textes eux-mêmes. Il renvoie à des

savoirs scolaires souvent présentés comme très difficiles pour les élèves (la double énonciation comme procédé de théâtralisation, l’ancrage des textes dans la situation d’énonciation…) parce qu’ils viennent du « haut » (les savoirs savants) plutôt que du « bas » (les savoirs pratiques). Considérer comme esthétiques (au sens bakhtinien) les récits des élèves, revient à faire preuve d’une certaine subjectivité dont le mérite premier est de faire émerger des processus créatifs peu pris en charge par les normes scolaires [10* : 275].

Des propositions didactiques tirant parti de cette lecture sociolinguistique (que je considère de niveau 3, cf. 1.1) peuvent réduire les processus de minoration générés par les représentations d’une « maitrise de la langue » inatteignable. Car ainsi, on cherche à éviter d’assigner « aux élèves des identités sociolangagières que l’école construit en circonscrivant des compétences scolaires à des savoirs disciplinaires et linguistiques » [19* : 80]. À cet égard, le translanguaging ouvrait des possibles. Mais cela ne suffit pourtant pas à construire des pistes didactiques prenant acte des dilemmes normatifs des enseignants, pris entre la diversité langagière et la singularité de la langue de scolarisation :

Explicitement ou non, chaque enseignant est en effet pris dans une dialectique entre des moments d’approches spécifiques, singulières (travail dans la langue de scolarisation) et des moments d’approches plurielles (travail dans/avec plusieurs langues et/ou cultures présentes dans la classe [25* : 88]

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J’ai alors mis à nouveau en regard contextualisation sociolinguistique et acquis des recherches en didactique du plurilinguisme et en didactique du français pour m’orienter vers une pédagogie intégrée des langues qui puisse inclure sociolinguistique et sociocognitif. J’essaye peu à peu de proposer une didactique qui puisse inclure à la fois les approches plurielles de la diversité langagière (focalisation sur la diversité des ressources langagières et ouverture à la pluralité) et une approche singulière du français (focalisation sur la langue-cible, repères linguistiques en DFLE DFLE, repères discursifs en DFLM [13* ; 21 ; 25*]. La double focalisation sert à mon sens une logique d’inclusion dans la classe de français :

Une dynamique d’inclusion suppose que la langue de scolarisation puisse être un objet d’apprentissage dans tous les cours, en complémentarité avec les langues et cultures familiales des élèves. Cette double focalisation demande à l’enseignant d’alterner des « approches plurielles » et des « approches singulières » de la langue de scolarisation. Les premières mettent en œuvre un enseignement / apprentissage impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. Pour les secondes, l’objet d’attention pris en compte dans la démarche didactique est une langue ou une culture particulière, prise isolément. [30*, à par.]

Mais aucune pratique didactique ne peut se penser hors de son contexte, et aucun enseignant ne peut penser sa pratique hors de la classe qui l’actualise. J’essaye aujourd’hui d’éprouver l’intérêt de ces propositions dans différents contextes scolaires, en collaboration avec les enseignants qui s’y intéressent, question qui fera l’objet du dernier chapitre de ce dossier.

C

ONCLUSION

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L’histoire des didactiques d’un français hétérogène au contact des langues, montre que des convergences se sont peu à peu tissées, non pas d’une didactique vers une autre, mais dans un va-et-vient, un dialogue incarné par quelques chercheurs dont les travaux contribuent à une sociodidactique du français au bénéfice de tous les élèves. Pour certains, la question principale reste didactique et pour d’autres elle est d’abord sociolinguistique. À l’interface se pose la question de l’inclusion de tous les élèves. Si de tels débats ne sont pas nouveaux pour l’école, les plurilinguismes des élèves contribuent aussi largement à la diversité à l’école française aujourd’hui. Le prisme idéologique rend parfois les travaux didactiques peu audibles, surtout lorsqu’ils proposent de quitter les frontières des savoirs disciplinaires, en vue d’une éducation globale. Et en effet cette perspective fragilise la transmission des savoirs scolaires décontextualisés. Par conséquent, cela met à nouveau en question le présupposé institutionnel et idéologique que les compétences langagières en français peuvent s’améliorer en visant l’objectif d’une « maitrise la langue », indépendamment de la diversité des situations interactionnelles qui l’actualisent, et des malentendus qui la composent. Ce constat a des implications sociodidactiques, et politiques :

La question qui est posée au français [à l’école] n’est plus celle de l’articulation du local et du national, comme au temps de la Troisième République, mais d’un national avec un local revisité (les autres langues de France y compris les langues de la migration et celles de l’outre-mer), d’un national aux prises avec des courants transnationaux de plus en plus présents sur le territoire. […] Le français, au sortir d’une politique de splendide isolement et sans renier sa vocation à assurer la maitrise de la variété « académique » de la langue, sera certainement appelé à repenser sa relation aux autres langues, dans l’acceptation d’une diversité qui désormais s’impose à tous. (Vigner, 2015 : 105)

On peut penser qu’il est fort difficile de reconnaitre et d’accepter le constat d’une « diversité qui s’impose à tous » pour les implications scientifiques, scolaires, et politiques qu’il suppose. Or l’instabilité fait peur : tout comme la langue de Molière,

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dont certains craignent d’être dépossédés au nom d’une identité mythifiée98, la pluralité linguistique elle-même parait parfois instrumentalisée dans les discours, comme si on cherchait en son nom tantôt à davantage de cohésion par le biais d’une culture langagière unique (celle de la pluralité), tantôt à davantage d’altérité par la reconnaissance des identités langagières singulières (pourtant labiles, et plurielles). Dans ce débat, ce sont les apprentissages eux-mêmes qui sont oubliés : si le « pourquoi apprendre » peut différer, le « quoi » et le « comment » apprendre demandent à être pensés conjointement.

La sociolinguistique scolaire nous apprend que les élèves-acteurs-locuteurs-apprenants

(et les enseignants) agissent et interagissent langagièrement avec tous les éléments de contexte qui sont les leurs : leurs pratiques langagières mobilisent des savoirs linguistiques en évolution, mais aussi des modalités d’accommodation complexes et diversifiées qui visent à répondre à l’injonction scolaire telles qu’ils la perçoivent. En position de « dominés » à l’école de par leur statut mais aussi de par leur parcours plurilingue, les élèves développent des « arts de faire » parfois invisibles de l’institution, qui pourraient s’apparenter à des « tactiques », voire à des « stratégies » sociolinguistiques (Certeau, 1990). J’essaye de prendre acte des dynamiques sociolinguistiques par une didactique altéritaire alliant approche singulière (du français) et approches plurielles (de la diversité langagière). De nombreux travaux existent dans les champs scientifiques que je mobilise pour ce projet.

La sociolinguistique scolaire s’intéresse au langage et à ses enjeux sociaux mais elle comporte aussi un risque selon moi : déplacer le focus sur les idéologies langagières est périlleux parce qu’on peut en oublier les questions sociocognitives auxquelles s’intéresse la didactique, et en oublier les enjeux praxéologiques. Cependant, la didactique ne peut à mon sens déboucher sur des possibles pertinents sans s’appuyer sur la sociolinguistique pour décrire les processus présidant à l’hétérogénéité langagière grandissante, déjà à l’œuvre dans les classes. Le pari est de pouvoir les tisser

ensemble pour que les acteurs de l’éducation les mobilisent de façon éclairée dans les contextes qui sont les leurs. Cette proposition implique une réflexivité (scientifique,

98 Et pourtant son théâtre lui-même est un exemple emblématique d’une variation sociolinguistique qui peut transporter les élèves.

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praticienne), qui prend acte des situations d’inégalités, des plurilinguismes, ainsi que des ressources des élèves, et des enseignants dans les classes.

Dans le dernier chapitre de ce dossier, je m’intéresserai donc à la parole des enseignants et à leurs pratiques ; les recherches collaboratives peuvent selon moi contribuer à une réflexivité conjointe, entre savoirs savants et savoirs pratiques. Je déclinerai une proposition praxéologique qui veut distinguer monolinguisme et normes scolaires et fait appel à la réflexivité des praticiens. Cette didactique est altéritaire dans le sens où je considère qu’il importe de considérer le malentendu comme un signe d’étrangeté qui participe de l’appropriation au sein des classes.

CHAPITRE5

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RATIQUES ENSEIGNANTESINCLUSIVES ET PROPOSITIONS POUR UNE

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