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Légitimer la variation et la diversité langagière en classe : un consensus en DFLM

P ROBLEMATISATION SOCIODIDACTIQUE : PREMIERS JALONS PRAXEOLOGIQUES POUR UNE DIDACTIQUE ALTERITAIRE

4.2 R ETROSPECTIVE SOCIODIDACTIQUE : PROBLEMATISER LA DIVERSITE DES PRATIQUES LANGAGIERES A DES FINS DIDACTIQUES

4.2.2 Légitimer la variation et la diversité langagière en classe : un consensus en DFLM

Un apport de la sociolinguistique concerne la différenciation entre la variation touchant aux locuteurs et celle touchant aux usages. Or, la classe de français œuvre pour que les élèves puissent s’approprier une norme de prestige, telle qu’elle s’imposerait dans certaines situations sociales. La survalorisation de l’écrit et des genres seconds a sans doute entretenu les confusions, la variation (stylistique) étant enseignée comme l’apanage de la « belle langue » (écrite) et la seule susceptible de soutenir le développement sociocognitif par le biais de savoirs scolaires naturalisés. Aujourd’hui on différencie ce qui relève des pratiques sociales non scolaires et ce qui relève d’une forme scolaire, sans arriver à caractériser des discours qui forgent une langue multiforme et pluri-fonctionnelle. Dans la classe, les enseignants se trouvent toujours pris entre cette double contrainte d’une norme à enseigner et de la reconnaissance des usages. La difficulté n’est pourtant pas nouvelle, elle contribue à l’échec scolaire dès lors que la démocratisation de l’enseignement donne droit de cité à la pluralité des normes langagières dans la classe de français. Les travaux sur les répertoires plurilingues ou les biographies langagières en DFLE, sur la didactique de l’oral en DFLM, sur les discours scolaires en DFLS … tous peuvent contribuer à cette réflexion que les enseignants réclament même si les programmes officiels ne semblent pas les transposer sereinement (Guerin 2011)90.

90 Voir par exemple la contradiction patente dans les programmes scolaires de 2015 : le socle commun en cycle 4 donne l’enseignement de la variation pour objectif alors que le programme disciplinaire continue à présenter les objectifs de façon très cloisonnée.

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Pourtant déjà, une proposition pour une pédagogie du français plurinormaliste avait été faite dans les années soixante-dix, et déjà elle se heurtait à une survalorisation du « bon usage » par le mythe d’un écrit mononormé. Elle me parait cependant de nature à ouvrir des pistes d’intervention dans les classes plurilingues. Le plan de rénovation de l’enseignement du français (1970), qui prenait acte de l’échec scolaire, a ouvert sur une sociolinguistique scolaire qui visait à intégrer la diversité des pratiques sociales et langagières en didactique et à dénoncer les inégalités sociales qui s’actualisaient par les conflits de normes sociolinguistiques. À Grenoble, la prise en compte du langage dans sa dimension sociale poussait à s’interroger sur les pratiques des élèves hors de l’école. À l’INRP, sous la direction d’Hélène Romian91, ainsi qu’à Rouen, la volonté de lutter contre l’échec scolaire et ses manifestations langagières faisait aussi naitre des travaux importants pour une didactique plurinormaliste, indépendamment de la question des pratiques plurilingues. Ce passage de la sociolinguistique scolaire à la didactique plurinormaliste s’est concrétisé par exemple à partir des années 80 dans les travaux du groupe VARIATIONS (désormais VARIA), qui voulait ainsi alerter les élèves et leur enseigner « les effets de connivence ou de distance que les choix de mises en mots peuvent créer » (Marcellesi C. et Treignier, 1990 : 275). Ce projet didactique « d’autogestion langagière » (qui s’opposerait au « laxisme » et au « dirigisme ») se voulait éducatif et éthique (favoriser le respect des identités langagières), pragmatique (favoriser l’usage de la diversité des normes en situation), et linguistique (favoriser la connaissance d’un code linguistique commun) (Treignier, 1999). Mais mes propositions se sont heurtées aux logiques scolaires : les pratiques enseignantes leur opposaient le mythe d’un écrit littéraire forgé, alors même que la variation s’y déployait tout autant qu’à l’oral. Par ailleurs, les élèves peinaient à considérer le langage oral comme un objet d’apprentissage, alors qu’ils le pratiquaient eux-mêmes par ailleurs (Treignier, 1999 ; Gadet et Boutet, 2003).

Trente ans plus tard le problème se pose dans un contexte de plus en plus hétérogène. Même de traditions différentes, les courants didactiques du français qui s’intéressent au

91 La recherche INRP dite « VARIA » (1983-1989) portait sur les « Modes de gestion pédagogique(s) de la variation des pratiques langagières en relation avec la variation des pratiques culturelles ». Elle s'est appuyée sur les acquis des recherches précédentes, menées par le groupe « GLO », (Groupe Langue Orale), des années 1970 aux années 1980. Pour une rétrospective, voir Treignier, 1999.

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socio-scolaire s’accordent remarquablement pour dénoncer l’hégémonie du français comme vecteur d’inégalités. On plébiscite la valorisation de la diversité des normes langagières et on fait état de dynamiques qui, en majorant le prestige d’une norme mythique, opacifient les savoirs et rendent les apprentissages plus difficiles. Une même proposition est faite, utopiste, encore et toujours à construire, plurinormaliste et altéritaire (Vargas, 2011 : 117 ; Bertucci et Castellotti, 2012 : § 82).

Les recherches sociodidactiques apportent encore peu de pistes concrètes. Est-ce à dire qu’une didactique de la variation n’est pas possible à l’école parce qu’il s’agit justement de l’école ? La question pose un double problème épistémologique : impossibilité de stabiliser un savoir sur des pratiques qui sont caractérisées par leur imprédictibilité, paradoxe d’une didactique de la langue qui cherche à penser un objet dans lequel elle est elle-même incluse (voir, par exemple, Nonnon, 2011 ; Guerin, 2015). Ce paradoxe questionne aussi la transposition de savoirs sociolinguistiques à des

problématiques didactiques : alors que les conflits de normes traversent toutes nos pratiques, comment proposer un cadre didactique qui permette de tenir deux positions apparemment contradictoires : « enseigner les habitudes, les usages, les règles langagières de notre société et se vouloir en même temps un espace où fonctionne un autre regard, non hiérarchisant, sur ces habitudes, usages, règles » (Marcellesi C. et Treignier, 1990 : 279) ?

Pour ne pas conclure sur la pertinence d’une didactique qui prenne en compte la variation et les relations de pouvoir qui se jouent dans le langage (oral comme écrit), on pourrait dire qu’une sociodidactique du français, depuis les années 70, n’a pas cessé de chercher à proposer un enseignement respectueux des pratiques de chacun, tout en faisant le pari impossible d’enseigner une norme qui n’est légitime que parce qu’elle s’impose. Les didacticiens n’ont pas cessé de mobiliser les disciplines contributoires telles que la sociolinguistique ou la linguistique pour construire une proposition concrète ; ils ne cessent pas non plus de constater la force des rapports de pouvoir au sein de l’école, et les inégalités scolaires afférant aux dynamiques normatives dont participe le langage.

Outre le difficile dialogue interdisciplinaire que la sociodidactique essaie de mobiliser, la tension me parait aussi dépendante de courants idéologiques qui traversent notre

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État-nation concernant la langue, les relations (peu) entretenues entre la recherche et l’enseignement, les missions de l’école. Lorsque la sociolinguistique existe parce qu’elle étudie la langue comme un fait social et que les savoirs scolaires se justifient par une langue à l’homogénéité mythifiée, on peut penser que les collaborations peinent à s’émanciper de rapports de domination qui les dépassent. La sociodidactique parait intéressante dans la mesure où elle adopte une démarche complémentariste « qui démontre, d’une part, que le phénomène en question est à la

fois réel et explicable, et, d’autre part, que chacune de ses deux explications est « complète » (et donc valable) dans son propre cadre de référence » (Devereux, 1972 : 13).

Aujourd’hui les pratiques langagières continuent de se diversifier, et l’on sait que l’hétérogénéité des situations langagières a à voir avec les apprentissages : au sein même des pratiques, les élèves signalent des positionnements identitaires pour apprendre, s’approprier les variations en usage, pour s’en distancier et pour les transposer à d’autres situations, le plurilinguisme ordinaire se fait davantage entendre [10* ; 13* ; 19*]. Ces questions didactiques se posent donc avec une acuité particulière

dans les classes où les élèves usent du français comme une langue seconde, et comme langue de scolarisation. Les situations sont explorées par la didactique du français langue seconde (DFLS) et du français langue de scolarisation (DFLSCO), entre-deux épistémologiques de didactiques (du français, des langues) historiquement constituées. L’existence du terme « FLS » a le premier mérite de prendre en compte le français du point de vue des situations sociolangagières des élèves (Cuq, 1991). Le terme français langue de scolarisation renvoie pour sa part au point de vue de l’enseignement / apprentissage et aux fonctions que le français y occupe : une « langue apprise pour enseigner d’autres matières qu’elle-même et qui peut, dans certains pays, être présente dans l’environnement social des élèves » (Vigner, 1992 : 40).

La notion de « français langue seconde » me parait mieux à même de problématiser aujourd’hui de la diversité des pratiques langagières des élèves plurilingues pour la classe (cf. 3.1). Mais la didactique a aussi besoin de s’outiller pour clarifier les objets d’enseignement au bénéfice des élèves, ce qui est visé dans les travaux portant sur la « langue de scolarisation ». Cependant, la diversité des situations plaide pour une

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didactique du français décloisonnée, qui puisse tenir compte des différents apports de chaque champ, au-delà des catégories (Cadet et Guerin, 2012).

4.2.3 Comprendre les pratiques langagières des élèves dans un

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