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3.2 Des relations tendues entre donneurs d’ordre, prestataires et salariés

l’ensemble des responsables syndicaux, est la source de multiples problèmes et conflits, comme nous le verrons en deuxième

I. 3.2 Des relations tendues entre donneurs d’ordre, prestataires et salariés

Comme dans les autres secteurs de services (intérim, restauration collective, sécurité/gardiennage etc.), l’une des dimensions essentielles du nettoyage est qu’il repose sur des relations triangulaires entre les donneurs d’ordre (acheteurs centraux, services généraux ou services opérationnels), les entreprises de nettoyage et leurs salariés. Cette singularité se traduit par une contractualisation et une relation au client qui forment les clefs de voûte du fonctionnement du secteur et qui déterminent son développement économique et social en fonction des modalités particulières des contrats passés. Ceux-ci sont établis à partir de cahiers des charges, généralement composés d’un volet technique – nature et ampleur de la prestation à effectuer, besoins et recommandations spécifiques, etc. – et d’un volet financier. Ainsi, la sélection du prestataire par le donneur d’ordre, dans le cadre d’appels d’offres réguliers, intervient à partir de la prise en compte de ces deux critères, même si celui du prix reste déterminant. Les autres critères, en particulier celui du « mieux-disant social » (en matière de salaires, de conditions et d’intensité du travail, de formation, etc.), sont rares et lorsqu’ils sont intégrés, « minimalistes » ; ils permettent surtout au donneur d’ordre « d’apprécier, avant tout, le risque de conflit ou de grève » (BIPE, 2000, p. 37)77.

Plusieurs tendances orientent depuis quelques années la contractualisation entre les donneurs d’ordre et les entreprises de nettoyage. Tout d’abord, un changement dans les termes de la contractualisation, avec le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultats, induisant le transfert de responsabilité des premiers vers les seconds, malgré la difficulté d’apprécier avec des critères objectifs une catégorie subjective comme la propreté78, et qui n’est pas sans incidence sur l’organisation du travail puisqu’il s’agit désormais de « nettoyer ce

qui est sale quand c’est sale ».

« Ces trois dernières années, les clients ont réduit fortement leur demande de prestation, notamment en termes

de fréquence. Auparavant, ils demandaient une intervention cinq jours/semaine et sont désormais passés à trois jours/semaine. Le problème, dans ce cas de figure, c’est l’annexe VII. Quand une entreprise répond à un marché et que le client lui dit qu’il veut passer à trois jours/semaine, elle se retrouve avec des salariés qui étaient sur le chantier pendant cinq jours. Et comme elle a chiffré au plus juste pour remporter le marché, elle va forcément au-devant de problèmes », (responsable des affaires sociales FEP).

Ce nouveau type d’obligation requiert une plus grande professionnalisation des entreprises sous-traitantes − voire leur certification, même si celle-ci n’intervient que de façon très marginale dans le choix du prestataire − et de leurs salariés, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes compte tenu du très faible niveau de qualification et de scolarisation de ces derniers : « Les exigences des clients augmentent et du fait des procédures, nous avons toujours besoin de l’écrit (…) Une entreprise, par exemple, se lance dans une démarche qualité. À ce titre, elle aura besoin sur le chantier que les salariés dressent des rapports. C'est-à-dire qu’ils

devront passer à l’écrit et savoir lire les procédures »79. D’où l’effort que dit mener la FEP en matière de

formation interne et de lutte contre l’illettrisme, via notamment les écrits professionnels80.

Autre tendance notable, l’élévation du rythme de passation des marchés, autrefois de cinq ans, puis de trois ans et aujourd’hui, pour certains contrats, d’un an renouvelable, accroissant la tension entre les entreprises en raison

77 A propos du respect des clauses sociales, on peut relever cette contradiction dans le rapport du

BIPE : « Une plus grande

professionnalisation est reconnue aux entreprises de propreté grâce au souci de formation du personnel et au respect des hommes qui était peu fréquent auparavant (…) Les pratiques sociales observées restent une source de questionnements pour les donneurs d’ordre qui expriment leurs souhaits de voir valoriser et respecter les hommes sur les chantiers… », op.cit., p. 31.

78 Comme l’indique le titre évocateur de cette communication de F. Bourgeois, « Dans le nettoyage industriel, la propreté

n’est pas l’absence de poussière mais l’acceptation de sa présence », colloque Qualité : produit du travail et de

l’organisation, 18-19 novembre 2003, Aubagne.

79 Y. Gaudronneau , président de la commission sociale de la FEP et C. Sintès, déléguée générale de la FEP, Compte rendu

des réunions de Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, Assemblée Nationale n° 19, 08/06/04 .

80 H. Iglésias, « La formation aux écrits professionnels dans la branche propreté », Actualité de la formation permanente,

de leur concurrence effrénée, avec pour conséquence un report des investissements productifs et de la formation des salariés81.

Ce qui génère une troisième tendance : l’effondrement des prix, chaque passation de contrat étant assortie d’une renégociation à la baisse – le BIPE parle à ce sujet « d’un mode de régulation des dépenses » et C. Sauviat « d’un marché gouverné par la demande, où les grands clients sont en situation de dicter leurs conditions aux prestataires » (1997, p. 22). Dans un contexte où « quel que soit le type de marché, compte tenu des barrières à l’entrée relativement faibles (…) on observe qu’il y a toujours une entreprise prête à exécuter une prestation aux conditions du client, en particulier au niveau des prix » (BIPE, 200, p. 22), certaines entreprises acceptent des marchés qu’elles ne peuvent pas tenir, phénomène pointé par la représentation patronale et syndicale.

« Souvent, les petites boites proposent des devis au ras des pâquerettes pour obtenir des marchés qu’elles ne

tiennent pas. Il y a des fermetures, des rachats… ce n’est pas stable. Et le rythme des appels d’offres est de plus en plus rapide. Même les grosses boites commencent à se battre pour essayer de redonner de la stabilité au marché et qu’il n’y ait pas de fausse concurrence. Dans ce cadre là, les donneurs d’ordre peuvent être terribles, le plus mauvais étant la fonction publique » (Secrétaire générale de la Fédération des services CFDT).

Quatrième tendance, en cascade : le caractère quasi général du « moins-disant » social. La masse salariale représentant 70 % en moyenne du prix de revient de la prestation effectuée (cf. tableau 4), la renégociation à la baisse des contrats passés avec les entreprises du nettoyage se répercute automatiquement sur leurs salariés. « On est dans une logique de moins-disant au niveau des appels d’offres à la SNCF. La SNCF dit que le critère

du prix n’est plus prédominant. Mais quand on est sur les chantiers, le prix des appels d’offres est toujours tiré vers le bas. Au final, c’est toujours le dossier financier qui prime et pas autre chose. Sur un chantier à la Gare de Lyon, le temps de deux passations de marché, on a assisté à une baisse de 30 %. Et le seul endroit où l’on peut gratter quelque chose, ce sont les cadences de travail et le nombre de salariés ainsi que les primes que ne touchent pas les nouveaux embauchés » (syndicaliste SUD-Rail).

Tableau 4 Structure du compte de résultat par taille d’entreprise - Source INSEE

Charges en % 20 à 99 salariés 100 à 499 salariés 500 à + 1000 salariés

Achats de marchandises 1,70 1,05 0,55

Achats de MP et autres approvisionnements 3,4 3,20 2,7

Autres achats et charges externes 16,65 14,85 14,60

Impôts et taxes 2,65 2,70 2,90

Salaires et charges 69,9 73,8 74,8

Dotations d’exploitation 2,65 2,40 2,60

Autres charges 0,25 0,50 0,30

Bénéfice 2,80 1,50 1,50

Le phénomène est reconnu y compris par la fédération patronale, qui dit avoir débattu du problème jusqu’au niveau européen (voir annexe 1), et mener une action de sensibilisation en direction des donneurs d’ordre et de ses propres adhérents (ce qui lui donne une certaine légitimité puisque des actions de ce type justifient son existence afin « de tirer vers le haut et de mener des actions de sensibilisation sur les parcours professionnels, les qualifications, le mieux-disant »), mais sans grande illusion tant la réduction des coûts en matière de propreté de la part des donneurs d’ordre et la concurrence à laquelle se livrent les entreprises du nettoyage rendent presque impossible une amélioration sur ce plan – ce qui fait dire à la plupart des interlocuteurs syndicaux que si amélioration il doit y avoir, elle ne pourra résulter que de l’action des pouvoirs publics.

« Ce que l’on souhaiterait, c’est que l’on réitère l’expérience d’il y a dix ans où une réunion a été organisée au

niveau régional qui avait mis en présence plusieurs donneurs d’ordre dont des institutionnels, des représentants des entreprises de propreté et des organisations syndicales représentatives. Chacun est venu avec ses certitudes mais on a rapidement vu qu’il y avait un problème. On est sorti de cette réunion en disant que les donneurs

81 « Les marchés se négocient très majoritairement chaque année et sont donc remis à discussion annuellement, dans un

contexte de forte concurrence, où les risques de perte d’un marché sont importants », Propreté et Services associés – Principaux repères, 2006, p. 13.

d’ordre, lorsqu’ils lancent un appel d'offres, ne doivent pas forcément avoir en tête le moins disant social mais qu’ils doivent regarder les propositions qui leur sont faites en prenant en compte les obligations de résultats et de moyens. Cela avait tempéré les choses pendant deux ou trois ans puis la logique capitaliste a repris le dessus et l’on est revenu aux mêmes pratiques. » (Secrétaire général de la Fédération Ports et Docks CGT).

Ce « moins-disant » social est à l’origine de la majeure partie des tensions à l’intérieur du secteur du nettoyage (voir deuxième partie), aboutissant à la situation paradoxale de donneurs d’ordre acceptant les prix « cassés » de certaines entreprises du nettoyage tout en redoutant d’avoir à gérer – et parfois à régler – les problèmes sociaux du prestataire (même si sa capacité de maintenir la paix sociale devient désormais un critère de sélection pour le donneur d’ordre). Ce cas de figure est l’une des particularités qui donne à ce secteur son caractère profondément baroque tant on a effectivement du mal à imaginer comment peuvent se combiner dans un même ensemble : la montée des exigences de la part des donneurs d’ordre, l’accroissement de la professionnalisation des entreprises de nettoyage, la diminution des prix des prestations et la dégradation de la situation sociale et salariale des nettoyeurs. Il donne lieu à un jeu de ping-pong entre les donneurs d’ordre et les prestataires, chacun accusant l’autre d’être à l’origine de cette évolution, les représentants syndicaux renvoyant les deux parties dos-à-dos en pointant leurs responsabilités respectives.

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