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III La flexibilité vécue en entreprise : un département marqué par la sous traitance

La métallurgie occupe une place encore importante dans ce département et la plupart des entreprises du secteur sont d’une manière ou d’une autre insérées dans des activités destinées in fine aux constructeurs de l’aéronautique. On est loin de Toulouse, moins par la distance que par l’enclavement des vallées. Pour les jeunes, Toulouse constitue un point d’attraction fort ; ils s’y font « aspirer » et contribuent à la baisse du taux de chômage local. Les cadres dirigeants exogènes à la région hésitent à se fixer « dans un coin où on est loin de tout ».

III.1-U

NE GRANDE ENTREPRISE DE RANG

2

CANDIDATE AU RANG

1

L’entreprise est en train de réussir sa mutation de « simple » sous-traitant en fournisseur d’équipements stratégiques. Cela rassure ses salariés, et les inquiète aussi. D’une part, l’entreprise conforte sa compétitivité par sa maîtrise d’un produit à très haute valeur ajoutée. D’autre part, elle rétrécit la gamme de ses activités et des produits offerts ce qui, aux yeux des syndicalistes, la rend plus dépendante des fluctuations de la conjoncture. De surcroît, la réorganisation s’accompagne d’une réduction sensible des effectifs et de la disparition de secteurs – et de métiers – entiers. Nombre d’activités sont externalisées. De plus de 1 000 salariés il y a quelques années encore, les effectifs ont baissé à moins de 800, par le jeu des départs non remplacés pour la plupart. Ce processus semble devoir se poursuivre. L’entreprise conserve un important volant d’intérimaires et de CDD.

Nous rencontrons le syndicat CGT majoritaire dans cette entreprise. Le syndicat s’est rajeuni après d’importants départs à la retraite ; le périmètre d’implantation dépasse le collège ouvrier ; un cadre du bureau d’études participe à l’interview. Le jour de l’entretien, une manifestation anti-CPE se tient dans la ville. Des tracts sont encore sur la table et les banderoles préparées pour se rendre en ville après l’interview.

La réorganisation de l’entreprise est manifestement au cœur des préoccupations. « Il y a une incertitude un peu sourde sur l’avenir du site : combien allons-nous être demain ». Les salariés ont vu progressivement disparaître, pour être externalisés, l’usinage, le débit de la matière confié à un sous-traitant local, la maintenance, la

logistique, une partie des études … « On n’est pas contre ces évolutions » tiennent à préciser les syndicalistes. « Dans l’aéronautique, il y a des cycles, il y a des hauts et des bas, c’est connu et c’est normal. Mais pourquoi abandonne-t-on ce qui faisait aussi notre force ? Au niveau de l’usinage, on était compétents et reconnus. Que ça rapporte moins que les systèmes, c’est possible, mais ça rapportait quand même. L’avantage de la diversité, c’était aussi qu’on pouvait se retourner vers autre chose. Si aujourd’hui on n’a plus les moyens de produire, qu’on est vraiment figés dans cette configuration, et il y a pour une raison ou une autre une baisse des charges, forcément, on est mal. Ils nous disent qu’avec la spécialisation au cœur du métier, on est quasiment à égalité avec les donneurs d’ordre. Mais ce n’est pas vraiment le cas. Par exemple, tel marché pour l’A 380, c’est un concurrent français qui l’a eu. Et ce n’était pas a priori pour une histoire de coûts ou de savoir-faire, c’était surtout pour que Airbus puisse signaler à l’entreprise : vous n’êtes pas notre seule source, on est capables de faire faire ailleurs. Donc même en ayant en théorie la maîtrise du procès, on n’est quand même pas maître ». La convention collective est ici une préoccupation mineure : l’entreprise a sa propre grille qui est au-dessus des minima conventionnels. Pour autant, les salaires affichent une tendance à la baisse en même temps que les niveaux de qualification des nouveaux embauchés augmentent. L’embauche ne se fait quasiment plus en dessous du bac. Une enquête montre l’érosion des salaires : « Un salarié qui rentrait P2, il touchait 1,7 fois le SMIC il y a 25 ans. Maintenant il est au SMIC. Et il a le bac ». Une évolution parallèle s’observe chez les ingénieurs. Les syndicalistes n’ont pas pour l’instant obtenu gain de cause auprès de leurs directions souvent fluctuantes, pour remettre sur le chantier la grille de salaires propre à l’entreprise qui manque beaucoup de cohérence et d’équité à leurs yeux.

L’entreprise reste, de loin, l’employeur le plus convoité de la région. « Dans l’esprit des gens on est bien payés, on est même surpayés ». Pour partie, cette légende est infondée, estiment les syndicalistes. Les embauches au SMIC montrent que la situation s’est beaucoup dégradée, pour les jeunes notamment. Des écarts avec les petites entreprises et les sous-traitants de rang inférieur n’en subsistent pas moins : le treizième mois, un système de participation et d’intéressement qui, dans le passé, avait rapporté jusqu’à quatre mensualités contre un peu plus d’une aujourd’hui, un comité d’entreprise plutôt richement doté, le plus gros du département. S’y ajoute la sécurité d’emploi : les réorganisations successives, facilitées par des départs volontaires, sont suivis du reclassement des salariés concernés dans l’entreprise même, moyennant des formations.

La situation des quelque 8 % d’intérimaires et de CDD dans l’entreprise est « limite », estiment les syndicalistes

qui s’avouent impuissants y changer quelque chose 171. Les intérimaires reviennent très régulièrement. Une fois

arrivée à la limite de la durée légale, « comme l’entreprise ne peut pas renouveler le contrat, on les fout dehors. C’est une logique assez barbare ». Les CDD étaient encore régulièrement embauchés il y a moins de cinq ans ; depuis, les perspectives se sont nettement amenuisées. « Mais on leur laisse toujours l’espoir qu’ils vont être gardés ».

Certaines prestations du comité d’entreprise sont accessibles aux intérimaires (les CDD, salariés de l’entreprise, y ont évidemment droit) : location de vidéos, de matériels de cinéma, les petits services. « Les intérimaires, on les fait profiter des places cinéma et de sortie, sauf les vacances qui sont quand même relativement onéreuses. On ne peut pas se permettre ».

Au bureau d’études, la proportion de postes internes a diminué au profit des prestataires externes, de sorte que l’on compte maintenant pour un salarié interne un peu plus d’un prestataire externe. L’entreprise fait appel à une dizaine de sociétés d’engineering. L’une d’elles se trouve « juste de l’autre côté de la rue ». Fondée par un ancien de l’entreprise, elle s’est rapidement développée et a créé plusieurs succursales. L’élu cadre de la CGT y a lui-même travaillé pendant deux ans. « Curieusement, mon entretien d’embauche dans cette société a été conduit par le chef de bureau de l’entreprise ici. À la fin, il m’a dit : maintenant tu appelles la société en face et tu leur dis que tu es embauché. J’y suis resté deux ans, avant d’être embauché ici. ».

171 Le syndicat se mobilise par contre à la suite d’une interpellation des salariés du nettoyage sur le site, dont l’entreprise

vient d’être rachetée. Pour emporter le marché, l’acquéreur comprime fortement les coûts salariaux. Il revient sur les 35 heures, les primes, des régimes horaires négociés auparavant, réduit le nombre de postes ce qui augmente la charge de travail des salariés restants. La DRH de l’entreprise donneuse d’ordre se déclare non concernée. La CGT décide alors de former un syndicat de site avec les ouvriers du nettoyage. Tout le monde se syndique. « Ils sont dans notre syndicat, on les convoque pour nos assemblées. Après, on va essayer qu’ils soient indépendants, mais ils ont besoin d’un coup de main quand même ». Pour respecter les appartenances sectorielles, les métallos versent à la fédération du nettoyage les modiques cotisations qu’ils collectent auprès de leurs nouveaux militants. Sous la pression du syndicat, l’entreprise du nettoyage accepte de réinstituer une partie des avantages supprimés.

Les prestataires « d’en face » travaillent côte à côte avec les salariés du donneur d’ordre. Ils touchent « à peu

près » le même salaire de base, sans avoir droit aux mêmes avantages complémentaires (13e mois,

intéressement). Sont-ils couverts par la convention collective de la métallurgie ? Les syndicalistes l’ignorent, mais tiennent pour probable un rattachement à la convention Syntec. Au bureau d’études, où on parle assez librement, on n’observe pas de tensions entre les salariés des deux sociétés. « Les différences entre les uns et les autres, les écarts, c’est comme ça. Ils savent qu’il n’y a pas d’embauches chez nous. Ils acceptent d’avoir leur boulot chez XXX pour faire un peu les mêmes choses et être moins bien rémunérés. Evidemment, ils préféreraient être embauchés chez nous ». On accepte aussi que, dans le travail quotidien, les frontières se dissolvent quelque peu, ce qui nécessite de prendre quelques libertés avec la loi. « On travaille avec eux comme si c’était des salariés de chez nous. On encadre leur travail alors qu’on n’a absolument pas le droit de leur donner des ordres ». Les échanges portent aussi sur les négociations salariales, car les négociations dans la société prestataire suivent de près celles dans l’entreprise donneuse d’ordre. Mais aucun syndicat n’est présent chez le prestataire.

L’entreprise affiche une syndicalisation supérieure à la moyenne nationale même si celle-ci n’a plus rien à voir avec la période d’avant 1980. Les anciens se rappellent qu’il y avait alors 350 adhérents à la CGT. Toutes les grandes confédérations sont présentes dans l’entreprise. Il n’y a guère de relations avec les entreprises sous- traitantes dans le département. Elles sont pour la plupart très petites et non syndiquées. Dans une structure regroupant les syndicats de la métallurgie dans les départements limitrophes, on rencontre essentiellement les représentants de grandes entreprises, parmi eux plusieurs grands équipementiers automobiles. Des tracts sont rédigés en commun, une radiographie des salaires et de l’emploi a été effectuée. « Nos spécialisations ne sont pourtant pas les mêmes. Nous, c’est l’aéronautique, eux c’est l’équipement automobile, on essaie quand même de faire des choses en commun ». Nos interlocuteurs mentionnent aussi, sans s’appesantir sur le sujet, le collectif aéronautique qui réunit à Paris les syndicats des grands constructeurs : Midi-Pyrénées, les Bordelais, « ceux de Marignane » …

L’activité syndicale est largement centrée sur la vie locale. Du côté des salariés, les syndicalistes sentent une forte inquiétude en ce qui concerne l’emploi et un mécontentement de plus en plus explicite sur l’opacité d’une politique salariale perçue comme inéquitable et peu portée sur la reconnaissance des qualifications. Le syndicat se fait le porte-parole de ces revendications, sans soutien très actif des salariés qui viennent peu aux réunions. Alors que la CGT remporte haut la main les élections professionnelles et ne connaît pas trop de problèmes pour remplir les listes de candidatures avec des militants pugnaces, ses représentants tirent un bilan quelque peu désabusé : « Du côté des salariés, bon, on est élus à 80 % : c’est que les gens nous font confiance. Le problème c’est qu’ils nous font trop confiance. On vous a élus, maintenant démerdez-vous. On sent quand même que l’information qu’on donne est perçue de façon positive et qu’elle apporte quelque chose. Après, l’implication est très faible. Ils sont en attente de nous, qu’on aille au charbon et qu’ils recueillent les fruits qu’on fait tomber de l’arbre. »

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