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5.2 Comment mesurer et qualifier la précarité dans le secteur du nettoyage ?

l’ensemble des responsables syndicaux, est la source de multiples problèmes et conflits, comme nous le verrons en deuxième

SERVICE A LA PERSONNE :

I. 5.2 Comment mesurer et qualifier la précarité dans le secteur du nettoyage ?

Dans leur étude sur le travail non qualifié réalisée pour la DARES en 2003, C. Béduwé, B. Fourcade, P. Lemistre

et M. Ourtau109 ont sélectionné sept figures d’emploi non qualifié qu’ils ont comparées pour nourrir leur

recherche (les agents de service de la fonction publique, les agents de service hospitalier, les employés de libre service et de grande surface, les serveurs et les commis de restaurant ou de café, les assistantes maternelles, les manutentionnaires, les ouvriers non qualifiés des services d’exploitation des transports et les nettoyeurs). L’un des résultats de leur étude est qu’il existe au sein de la population globale des non-qualifiés une nette hiérarchie des figures en termes de niveau d’étude, d’âge, de salaires, d’accès à la formation, de mobilité professionnelle, etc. Dans cette hiérarchie, les nettoyeurs constituent certainement la figure la moins valorisée.

105 Compte rendu de la Délégation…, op. cit., p. 7.

106 Les négociations salariales de 2006-2007 conduiront par contre, comme nous le verrons, à une situation de blocage entre

les partenaires sociaux.

107 Travail en questions (

TEQ) Précarités, Fédération des Services, supplément à Inform’action n° 227, 2003.

108TEQ-Précarités, op. cit., p. 3.

■ Alors que les employés de libre service et de grande surface ont le niveau d’étude moyen le plus élevé (12,5 années), les nettoyeurs sont ceux qui ont fait le moins d’étude. Cet écart de 2,5 qui a doublé en vingt ans et qui différencie les figures entre elles, est en partie explicable par la différence d’âge  les nettoyeurs sont également les individus les plus âgés (la profession connaissant une décrue lente mais inexorable des moins de 30 ans depuis 1982).

■ La catégorie des assistantes maternelles mise à part, le nettoyage est celle où le nombre de femmes est le plus élevé (la proportion de femmes dans ce secteur étant quasi constant depuis le début des années quatre-vingt). ■ Parmi les sept figures étudiées, les nettoyeurs ont l’origine sociale la plus modeste (71 % étant issus de parents ouvriers et employés) et sont plus largement d’une origine extra-européenne.

■ La part des individus promus vers l’emploi qualifié est parmi les plus bas chez les nettoyeurs (en avant dernière place avec 3,2 % en 1990-1991 juste devant les assistantes maternelles), la promotion s’effectuant avant tout par voie interne. Cette faiblesse s’explique à la fois par le faible niveau d’étude qui ne favorise pas la mobilité professionnelle ascendante et la filière quasi unique de promotion (ouvrier qualifié d’entretien général des bâtiments). Dans la part des promus, la discrimination à l’égard des femmes est importante puisque leur mobilité est inférieure de plus de 30 % à celle de la part des femmes dans la profession.

■ Si les nettoyeurs ne disposent pas du plus faible niveau de salaire (quatrième position sur sept) et si la diminution de la discrimination salariale est générale, occuper les emplois de manutention et de nettoyage diminue le salaire de plus de 5 % si l’on est une femme, nettement plus que pour les autres professions.

L’ensemble de ces éléments confirme deux dimensions essentielles de la précarité dans le nettoyage. D’une part, au regard de l’origine sociale et du parcours scolaire de la population salariée, elle se construit bien à l’amont de l’entrée dans le secteur et de l’activité proprement dite (Bretin, 1997 ; Puech, 2004). D’autre part, elle est le produit d’un « cumul de précarités » (Paugam, 2000), c'est-à-dire d’une combinaison de situations précaires : celle du sous emploi 110, du multi-emploi 111, des bas-salaires 112, et de la précarité familiale.

Cet ensemble ne doit pas faire croire pour autant que les nettoyeurs forment un groupe homogène, uniformément touché par la précarité. Il s’agit au contraire d’un groupe éclaté, avec des inégalités internes, liées à la taille de l’entreprise à laquelle ils appartiennent et au montant des droits salariaux (salaire, primes, accès à la formation, etc.) qu’elle leur accorde, au type de couverture conventionnelle dont ils bénéficient  relatif aux types de chantiers sur lesquels ils travaillent , à l’existence ou non d’une représentation collective, à leur insertion ou non dans une communauté de travail, etc. Dans ce cadre, les salarié(e)s qui travaillent de façon isolée sur des petits chantiers pour quelques heures sont ceux/celles qui subissent avec le plus d’intensité les effets de l’individualisation de la relation salariale non seulement parce qu’ils/elles se retrouvent seul(e)s face à leur employeur et à leur travail mais également parce qu’ils/elles sont du coup hors du champ d’action des organisations syndicales (cf. infra).

Dans le cas des nettoyeurs, la précarité professionnelle (qui englobe donc celle du travail et de l’emploi), comporte en outre une forte dimension symbolique parfaitement traduisible en termes d’invisibilité sociale (Beaud et. al., 2007). Celui-ci renvoie au décalage temporel dans lequel s’inscrit leur activité par rapport à celle de l’immense majorité des salariés, cette activité ne s’effectuant jamais « pendant » celle-ci mais « avant » ou « après », « aux confins du jour et de la nuit » (Bretin, 2000). Ne pas accepter que le ménage soit fait dans la journée mais avant ou après celle des salariés en fait d’emblée une tâche à part et conduit à considérer l’activité de ménage comme ne faisant pas partie des tâches normales de l’entreprise, déclare cette responsable syndicale de la CFDT.

110 Les salariés du nettoyage partagent en effet les mêmes caractéristiques sociales que l’ensemble des salariés touchés par ce

phénomène puisqu’il concerne essentiellement les femmes, les non-diplômés, les étrangers et les salariés du secteur tertiaire. Seule différence, à l’échelon national, le sous emploi est plus important chez les moins de 25 ans et les détenteurs de contrats de travail temporaires. A ce sujet, S. Arnault, « Le sous-emploi concerne 1,2 millions de personnes », INSEE Première,

n° 1046, octobre 2005.

111 Là encore, on retrouve les mêmes caractéristiques chez les nettoyeurs que chez l’ensemble des pluri-actifs : ils sont

majoritairement de sexe féminin, ont plus de 40 ans, sont sans diplôme et à temps partiel (contraint), disposent d’un faible niveau de salaire, et sont composés majoritairement d’étrangers, etc. A ce sujet, M. Beffy, « En 2005, plus d’un million de salariés ont plusieurs employeurs », INSEE Première, n° 1081, mai 2006.

112 « Les salarié(e)s pauvres sont, pour la plupart, des femmes qui travaillent à temps partiel pour un salaire mensuel inférieur

Ce marquage temporel se substitue au (ou complète le) marquage spatial, in/out, insider/outsider, beaucoup plus classique, employé de la sociologie de l’emploi à la sociologie de la déviance. Ainsi, la notion de « travailleur de l’ombre », revendiqué y compris par les représentants patronaux du secteur113, désigne à la fois celui qui travaille aux heures extrêmes du jour et de la nuit et celui que l’on ne voit pas. La charge symbolique de ce jeu de clair/obscur est bien évidemment renforcée par la composition ethnique de la population du nettoyage, et la part importante de clandestins qu’elle comporte, ces derniers étant soucieux de ne pas sortir de l’obscurité dans laquelle les plonge leur situation irrégulière. Mais cette invisibilité renvoie également à la situation d’isolement dans lequel se situent bon nombre de ces salariés. Cet isolement est total. Le quotidien d’un salarié du nettoyage est en effet d’intervenir, parfois seul, dans un univers vidé de ses occupants (des premiers métros du matin qui le conduisent à son chantier jusqu’aux locaux où il effectue sa prestation). Ses contacts peuvent être rares, l’être encore davantage lorsque la barrière de la langue constitue un obstacle supplémentaire, et se poursuivre jusqu’à son univers familial compte tenu de son rythme décalé.

« Je vous signale un problème de notre profession que nous ne savons pas résoudre aujourd’hui : celui du

travailleur isolé, lié au temps partiel aux horaires décalés. Une personne toute seule est pour nous une préoccupation que nous évoquons en conseil d’administration. C’est une préoccupation des partenaires sociaux car il s’agit de personnel féminin qui peut se retrouver à six heures du matin ou à neuf heures le soir dans une zone industrielle » 114.

Dernier constat sur ce thème de la précarité dans le nettoyage 115 : son caractère évolutif dont les responsables

syndicaux font état lorsqu’ils évoquent la précarisation de la profession du nettoyage qu’ils considèrent à la fois sous l’angle de la dégradation de la condition salariale (« Cette diversification permet au donneur d’ordre de

sous-traiter encore plus de secteurs d’activité et de précariser davantage la situation des salariés » 116) et de sa

paupérisation (« Le problème de ce secteur, c’est l’exploitation de la misère » 117). Autrement dit, la santé

florissante du secteur ne profite pas à ceux qui nettoient. Elle est même en partie permise par l’aggravation de leurs conditions, c'est-à-dire par la réduction de la main-d’œuvre, l’intensification et la pénibilité du travail, la mobilité contrainte entre les chantiers et les économies réalisées à leurs dépens, que n’arrivent visiblement pas à enrayer les organisations syndicales. D’où le questionnement qui va suivre.

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