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Les collectifs CGT du nettoyage sont nés en 1996 en opposition au syndicat des agents de propreté de l’Ile de France. Dénonçant les dysfonctionnements de ce syndicat, son manque de démocratie interne le caractère opaque de sa gestion et sa collusion avec les directions d’entreprises de propreté, ils se développeront à partir d’un certain nombre d’Unions Locales (UL) notamment parisiennes. Très rapidement, leur combat se donnera pour objectif de transformer les structures des syndicats du nettoyage à l’intérieur de la CGT, en leur donnant une base territoriale 135.

« Nous, on ne se bat pas pour avoir la tête de quelqu’un mais pour changer de structure. Car celle qui existe, le syndicat

régional, ne correspond pas à la réalité du terrain. Un syndicat régional ne peut pas gérer un bassin d’emploi de 15 0000 salariés aux conditions de travail aussi typiques que les nôtres. Un salarié ne va pas traverser toute la région parisienne pour aller au syndicat alors qu’il y a des UL toutes proches. Nous sommes pour adopter une base territoriale car cela correspond à la réalité d’un secteur adossé sur des chantiers. Nous voulons nous organiser comme dans le commerce sous la forme d’une union de syndicats » (Syndicaliste CGT).

Ils adosseront cet objectif organisationnel sur une critique de la représentativité des nettoyeurs à l’intérieur de la Fédération Ports et Docks et l’aspiration à l’autonomie de ces derniers par rapport à l’emprise des dockers. Devant le caractère explosif de cette opposition, un certain nombre de rencontres sera organisé entre les collectifs, le syndicat régional et la fédération mais qui ne donneront aucun résultat.

« Le collectif avait un journal [Les échos du nettoyage] qui était très dur vis-à-vis de la direction du syndicat. Lors d’une

réunion avec l’UD, l’URIF, la confédération, la fédération et le syndicat régional le 23 octobre 2003 pour réfléchir à un plan de travail pour mettre en place des collectifs interdépartementaux et progressivement les transformer en syndicats, on nous a demandé, comme on accédait à nos souhaits, d’arrêter le journal pour calmer les esprits. On l’a arrêté mais le syndicat régional a tout bloqué. Il y en a eu des dizaines de rencontres de ce type avec des engagements qui n’ont jamais été tenus. Encore une fois, nous ne demandions pas la dissolution du syndicat mais de nous donner la possibilité, alors que le congrès confédéral venait de voter la possibilité de créer des syndicats de bassin, de nous organiser ainsi. On ne peut pas adopter cela d’un côté et nous dire de l’autre que cela n’est pas possible parce que c’est la fédération qui doit décider… »

(Syndicaliste CGT)

Dans un premier temps, ces collectifs réussiront à effectuer un véritable travail de syndicalisation auprès des salariés du nettoyage. Ils participeront également à un certain nombre de luttes (conflit Arcade) et de manifestations avec SUD-Rail et la

133 Il sera l’objet de nombreux articles de presse dans Libération, le Canard Enchaîné, Le Parisien. Invité lors de l’émission

« Service Public » sur France Inter le 18 octobre 2006, Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT secteur économie en charge des retraites, a ainsi déclaré être parfaitement au courant des problèmes internes au nettoyage dans la CGT.

134 « Ces conflits durent depuis feu le camarade Krasucki. N’est-il pas opportun, plus de 20 ans après sa mise en place [celle

du syndicat des agents de propreté], de répondre aux vraies interrogations des syndiqué(e)s et salarié(e)s de la profession »,

Lettre ouverte à Daniel Lefebvre, Secrétaire général de la Fédération des Ports et Docks, Collectif CGT du Nettoyage, 10

avril 2006.

135 Selon certains syndicalistes, cette lutte des collectifs se fera avec l’aide plus ou moins ouverte de l’Union Régionale de

CNT 136 (en faveur de l’obtention d’une convention unique pour le nettoyage par exemple). Mais ils se heurteront à la forte

opposition du syndicat régional et de la fédération. Celle-ci visera tout d’abord leur action de syndicalisation. « Il y a un moment où l’on était environ 200 syndiqués du nettoyage au niveau de l’UL du 17e

car on a mis en place un plan de syndicalisation. Mais on n’a absolument pas pu les former car ils ont été écartés par la fédération qui a refusé de nous fournir les timbres d’adhésion. On ne peut plus faire adhérer de salariés car la fédération ne nous donne plus de matériel pour le faire. On peut donner un coup de main à une section syndicale mais pas plus. On n’a aucune réalité statutaire »

(Syndicaliste CGT). Puis leurs délégués.

« Le cas est fréquent où deux listes CGT se retrouvent face à face, l’une présentée par la fédération et l’autre par les UL.

Cela se règle au tribunal. Il est arrivé fréquemment que le syndicat démandate un DS d’une UL. Le pire, c’est que celui-ci n’est pas forcément au courant et c’est la direction de l’entreprise qui lui apprend. Comme le délégué a souvent mené des actions revendicatives dans l’entreprise, c’est lui couper la tête. Aujourd’hui, le collectif ne peut plus mener d’action revendicative, on est en permanence devant les tribunaux. Et du coup, on a des collègues qui continuent à faire partie du collectif tout en adhérant à une autre organisation syndicale pour ne pas se faire flinguer. Dans une entreprise, Y… a réussi à s’inscrire sur la liste CGT. La fédération n’a pas voulu. Elle a présenté une deuxième liste. On s’est retrouvé CGT contre CGT au tribunal. On passe plus de temps à se battre entre nous devant les tribunaux que contre les patrons » (Syndicaliste

CGT) 137.

Ces collectifs seraient aujourd’hui totalement exsangues et ne rassembleraient plus un nombre de militants suffisants pour continuer leur action d’opposition interne, malgré l’obstination de quelques uns de leurs fondateurs « à ne pas laisser le terrain libre ».

La longévité de ce problème, et son insolubilité, tiendraient tout d’abord à son ampleur, qui ferait préférer le

statu quo à un règlement potentiellement dévastateur pour la Fédération voire pour la Confédération (alors que

les relations entre la première et la seconde sont plutôt exécrables, la fédération étant sur une ligne oppositionnelle à la politique menée par Bernard Thibault).

« Je pense que si le problème de corruption n’est pas aujourd’hui résolu à l’intérieur de la CGT, c’est que cela

voudrait dire de faire le ménage y compris au-delà de la fédération. Et effectivement, c’est un secteur où les syndicats se sont servis. On est donc dans un statu quo général » (Syndicaliste CGT).

Le maintien de ce statu quo serait « facilité » par l’autonomie dont bénéficient les fédérations à l’intérieur de la CGT – comme dans les autres confédérations –, les structures confédérales n’ayant pas de pouvoir hiérarchique sur ces dernières 138, même si un dispositif de règlement des conflits est prévu par les statuts de la CGT 139, qui peut aller jusqu’à l’exclusion en cas de manquements graves de la part de l’organisation considérée 140.

« J’ai saisi la commission de contrôle fédéral en 1987. On a fait semblant de vouloir arranger les choses car on

sait très bien ce qui s’y passe mais cela ne s’arrange jamais. On nous a régulièrement répondu que la CGT, c’était le fédéralisme et que la Fédération Ports et Docks était autonome. On ne peut donc rien faire puisqu’elle ne veut pas mettre de l’ordre. Je pense qu’il y a des limites et que lorsque la ligne jaune est franchie, la confédération devrait prendre ses responsabilités. » (Syndicaliste CGT).

Une troisième piste évoque plutôt le décalage croissant entre le champ de syndicalisation des dockers (7 593 postes rémunérés dans la manutention portuaire en 2004 selon le fichier Alisse de l’INSEE) et celui des agents

136 Voir tract en annexe 137 Voire Annexe

138 « Les relations entre organisations de la CGT sont fondées sur les principes de la démocratie syndicale et du fédéralisme.

Toutes les organisations qui la composent : disposent d’une pleine autonomie d’expression, de décision et d’action, dans le respect des présents statuts… », article 21 des statuts de la CGT adoptés au 45e congrès de la CGT, Montreuil, 1995.

139 « La pratique de la concertation, le respect des présents statuts, et l’information complète et régulière des syndiqués

concernés, sont la base des solutions aux différends et conflits qui peuvent survenir entre des organisations de la CGT. La Commission exécutive confédérale est habilitée à traiter de ces différends et conflits. Elle propose un processus de règlement après avoir entendu les parties en présence, afin de parvenir à une solution équitable. En cas de désaccords persistants, les parties peuvent faire appel devant le CCN ou le Congrès. Jusqu’au règlement du différend ou du conflit le CCN prend toute mesure conservatoire qu’impose le fonctionnement des organisations concernées. », article 24 des statuts de la CGT. Selon D. Andolfatto et D. Labbé, suite aux informations qu’ils ont recueilli à ce sujet, la commission des « conflits » prévue dans les statuts de la CGT n’aurait jamais vraiment fonctionné (1997, p. 143).

140 « En cas de manquement grave ou d’actes contraires aux présents statuts, le CCN, sur proposition de la Commission

exécutive confédérale, peut décider de l’exclusion d’une organisation confédérée. Celle-ci devra préalablement être entendue. Elle pourra faire appel de la décision devant le congrès confédéral », article 25 des statuts de la CGT.

de propreté (381 200 salariés en 2004), du pouvoir des dockers à l’intérieur de la Fédération Ports et Docks,

inversement proportionnel au nombre d’adhérents et d’adhérents potentiels 141. Car, si en termes de timbres

payés, les dockers constituent la première branche de la fédération avec 58 581 timbres et la propreté la troisième avec 28 002 timbres (derrière la branche des personnels des Ports autonomes et chambres de commerce maritime et de pêche avec 44 149 timbres), elle est la première en nombre d’adhérents (8 000 selon le taux réduit du paiement de trois timbres en moyenne dont les salariés bénéficient) devant les dockers (5 325, sur la moyenne de 11 timbres payés). Leur départ dans une autre fédération représenterait donc une catastrophe pour celle des Ports et Docks, comme on peut le lire en filigrane dans cette déclaration de son Secrétaire général : « Un des derniers aspects sur lesquels je voudrais intervenir, vous l’avez bien compris dans mes interventions, c’est la pérennité de la fédération. Nous devons y veiller les uns et les autres. Je crois que j’ai été clair sur les montages et les idées en cours au sein de la CGT. Il va falloir protéger la fédération, y compris sur des volontés de remises en cause des

champs fédéraux… » 142

De fait, deux tentatives parallèles seront menées par les opposants internes à la Fédération des Ports et Docks au milieu des années quatre-vingt-dix pour sortir de cette situation de blocage. La première consistera à chercher à la quitter pour rejoindre la Fédération du Commerce. Tentative qui échouera entre autres en raison de l’article 8 des statuts de la CGT qui stipule que « dans le cas où un syndicat envisage le changement de son affiliation fédérale […] celui-ci doit intervenir avec l’accord de la fédération d’origine et de la fédération d’accueil ». « Le passage du nettoyage dans la Fédération du Commerce a été demandé plusieurs fois. De façon récurrente,

la Fédération du Commerce et des Services a cherché au milieu des années 1990 à regrouper tout ce qui avait trait aux services. Cela a été également une solution avancée pour régler les problèmes à l’intérieur de la Fédération des Ports et Docks. C’était une position défendue par ceux, au sein de la Fédération du Commerce, qui cherchaient à renforcer le poids de leur fédération, mais également par de nombreux nettoyeurs qui travaillaient par exemple dans les grands magasins. Sur cette opération, je crois que beaucoup de monde a eu peur de mettre les doigts dans quelque chose qui pouvait s’avérer explosif » (Syndicaliste CGT).

L’autre voie, dans ce contexte de problèmes internes à la CGT mais également de développement de la sous- traitance dans le secteur du nettoyage, sera de favoriser l’ancrage des adhérents et militants dans les UL et de développer l’activité de celles-ci.

« Avec l’externalisation croissante des années quatre-vingt-dix, on s’est retrouvé avec un gros paquet de

salariés qui n’étaient pas pris en charge par les fédérations traditionnelles. Il y avait un vrai phénomène d’atomisation des entreprises et des salariés, avec des situations où une dizaine d’entreprises interviennent sur le même site alors qu’il y en avait auparavant qu’une seule. À partir de là, la question se pose de savoir comment faire pour avoir des garanties collectives sur un site de travail. Cela a conduit un certain nombre d’entre nous à penser qu’il était nécessaire de syndiquer directement ces salariés dans le cadre des UL, et cela en liaison également avec le bordel à l’intérieur de la CGT. L’UL pouvait paraître un peu éloigné à la fois du métier, des sites voire des donneurs d’ordre mais en même temps, cela constituait une certaine protection à l’égard des directions, une garantie pour que l’on puisse discuter tranquille. On a pu construire un certain nombre de choses à partir de là, notamment des droits. » (Syndicaliste CGT).

Cette orientation répondait également à l’objectif, au moins dans la tête de ses concepteurs, de favoriser et de faciliter l’intervention des syndicalistes sur des questions autres que salariales, notamment d’intégration, posés en autres par les salariés du nettoyage ; cela, en droite ligne avec la définition du rôle joué par les UL lors du

congrès confédéral de la CGT à Grenoble en 1978. 143

141 L’ancien secrétaire général, que nous avons interviewé, docker de profession, a laissé sa place suite à son départ à la

retraite en 2006… à un autre docker, âgé de 31 ans au moment de sa prise de fonction, et sur la même ligne oppositionnelle à la direction confédérale. Lors du congrès fédéral de 2005, il critiquera ainsi l’entrée de la CGT dans la Confédération Européenne des Syndicats : « La CGT et la CES accompagnent la société réformiste d’aujourd’hui et essaient d’obtenir des avancées sociales par des amendements : c’est une position défensive quine ressemble pas à la CGT », XVIIIème congrès de la Fédération Nationale des Ports et Docks, Montreuil, 15-17 juin 2005, p. 38.

142 XVIIIe congrès de la Fédération Nationale des Ports et Docks, op.cit., p. 100.

143 Les UL jouent un « rôle éminent, irremplaçable, non seulement du fait de leurs responsabilités interprofessionnelles, mais

surtout en ce qu’elles sont et doivent être un relais direct avec toutes les entreprises, l’organisation la plus proche de leurs problèmes, la plus apte à les conseiller, à les aider et à prendre en compte les aspirations des travailleurs pour l’élaboration de la politique d’ensemble de la CGT dans tous les domaines, et notamment : logement, école, santé, transports, culture », Document d’orientation du 40e congrès confédéral, cité par D. Andolfatto et D. Labbé (1997, p. 87).

« Les UL étaient des lieux où les trois types de lutte (salariales, logement, sans-papiers) se sont retrouvés. Alors

que l’on n’a jamais vu les dirigeants de la CGT et de la CFDT là-dessus. Car il y avait un lien très concret entre ces trois questions : veiller que ceux qui nettoient les bureaux des ministères dans le 7e arrondissement ne mettent pas deux heures pour venir à leur boulot. Aujourd’hui, ce lien est assuré dans les URI-CFDT (Union Régionale Interprofessionnelle), dans les UL pour la CGT, et dans les bourses du travail pour SUD ».

(Syndicaliste CGT).

Cette voie alternative, selon laquelle la solution des salariés du nettoyage syndiqués à la CGT peut passer par un changement de structure, sera notamment portée par les Collectifs du Nettoyage CGT constitués au milieu des années quatre-vingt-dix (cf. encadré). Pour autant, elle ne donnera pas lieu à un apaisement des tensions…

« La fédération a très mal pris le développement de ces UL. Cela a été très conflictuel. Sur Paris, on était 4 à 5

UL à se mobiliser en ce sens (le 17e arrondissement, le 1er, le 2e et le 19e). Il y a eu une commission de conciliation impulsée par la confédération qui a duré plusieurs années afin d’éviter la guerre civile. Mais aujourd’hui, cette commission a échoué et les problèmes restent entiers. Elle a cherché à instaurer un modus vivendi à partir duquel la fédération garde ses prérogatives sur le conventionnel, les problèmes de terrain restant gérées par les UL. » (Syndicaliste CGT).

… qui seront portées jusque devant les tribunaux (cf. annexe 6)…

« Sur les aspects juridiques, quand vous n’avez aucune représentation possible, aucune personnalité morale, il

est très difficile de faire-valoir la prééminence d’une structure sur une autre. Mais au final, on l’a vécu avec les UL car elles sont déposées en mairie et ont la personnalité morale. Le problème est que l’on s’est retrouvé un paquet de fois au tribunal avec une désignation du syndicat régional. Quand vous avez un dossier dans lequel vous trouvez une lettre où il est écrit que la fédération ne reconnaît que le syndicat régional, le juge ne va pas faire le ménage à l’intérieur de la CGT. Ce n’est pas son problème. Du coup, c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. » (Syndicaliste CGT).

… et qui aboutiront à ce type de situations ubuesques…

« J’ai deux cartes. L’une à la CGT car je travaille dans une UL CGT et une à la CNT pour le secteur particulier

du nettoyage. Quand il y a des salariés du nettoyage qui viennent me voir à l’UL [pour régler leurs problèmes de

droit et ester en justice en leur faveur], je les syndique à la CNT. Pour nous, au niveau de l’UL, la CGT c’est fini

au niveau du nettoyage. Et ailleurs, en gros, c’est également terminé. On ne peut plus rien faire et les UL ont décidé de ne plus rien faire, totalement usées. C’est trop difficile de se retrouver dans des conflits CGT contre CGT avec une confédération qui a décidé ne pas régler les problèmes. Il y a 4 ou 5 ans, j’ai dit à mes responsables que ce n’était plus possible de fonctionner comme cela et j’ai annoncé publiquement mon adhésion à la CNT compte tenu de la corruption qui règne dans le secteur. J’ai remis mon mandat en jeu au niveau de mes instances dirigeantes à l’UL. Et ses responsables m’ont gardé leur confiance sans tous forcément apprécier la situation. Et depuis ces quatre ou cinq années, c’est toujours la même mafia qui dirige le syndicat régional du nettoyage CGT. » (Syndicaliste CGT).

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