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Partie I: Cadre théorique et problématique de recherche

6. Résultats de recherche

6.2.1 Relations de voisinage : attentes et réalités

Le logement devient de plus en plus en espace de détente et de repos (Breviglieri, 2009, p. 99), plus ou moins loin du lieu de travail, de ses soucis et du stress des déplacements en milieu urbain. Cet aspect de la résidence a été mis en évidence dans la littérature scientifique comme dans la problématique de ce travail de bachelor. Lorsque l’appartement se trouve dans un ensemble d’immeuble, en ville ou à sa périphérie, cette fonction de refuge ne se fait pas dans un espace à l’abri des inconvénients d’une cohabitation, mais offre toutefois une ouverture sur les avantages que peut procurer un voisinage. La recherche scientifique a aussi mis en évidence que les modes de vie peuvent varier, parfois fortement, dans un même espace d’habitation. On peut ajouter que, dans la grande majorité des cas, les habitants ont une conception personnelle, pas toujours partagée, de ce que vivre ensemble veut dire.

Afin d’avoir une idée de cette conception individuelle, le questionnaire a proposé aux habitants des HBM de Champ-Joly de prendre positions sur leurs attentes par rapport aux autres locataires38. Pour l’essentiel, cette conception était illustrée par huit attentes déjà formulées et, comme d’habitude dans cette étude, une partie ouverte permettant de formuler d’autres attentes. Au total, les 134 répondants ont souscrit à 395 propositions, soit une moyenne de trois par personne. Leur analyse est intéressante dans la mesure où elle ne produit pas un hit parade des réponses, mais met en évidence l’importance relative de différents types de relations aux voisins.

L’item le plus choisi est le souhait que les voisins « soient sociables » (92 mentions, soit une très grande majorité des répondants). Le niveau d’échanges, voire d’intimité qu’implique cette item peut varier d’une personne à l’autre, mais la formulation met clairement en avant un contact ouvert, positif, peut-être même amical. Un second item peut entrer dans cette conception sociable, ouverte des relations de voisinage (« qu’ils apprécient les enfants », 47 mentions). Elle est évidemment particulièrement importante dans le cadre des immeubles HBM de Champ-Joly, essentiellement habités par des familles avec enfants. Le sens de cette affirmation peut toutefois être compris de façon un peu ambiguë, renvoyant à la tolérance par rapport au bruit et au dérangement qu’ils peuvent créer.

Cette remarque fournit une transition toute trouvée vers le deuxième thème en ordre d’importance auquel souscrivent les personnes interrogées : celui du respect des règles et de leur contrôle. Ainsi, l’item « qu’ils ne fassent pas trop de bruit » est le deuxième choisi en ordre d’importance (66 mentions, soit près de la moitié des répondants). La partie théorique a mis en évidence l’importance des nuisances dans les inconvénients du voisinage et dans les plaintes de locataires ; leur contrôle, mais un contrôle raisonnable, tenant compte des circonstances, est donc essentiel pour assurer une cohabitation pacifique. D’autres propositions de réponse vont dans le même sens : « qu’ils interviennent lorsque des enfants font des bêtises » (49 mentions), « qu’ils contrôlent un peu la vie de l’immeuble » (42 mentions). On peut aussi interpréter dans le même sens de contrôle des nuisances l’item souhaitant « qu’ils me laissent tranquille », qui recueille toutefois nettement moins de mentions (21). C’est peut-être dû au fait que l’idée de « laisser tranquille » ne renvoie pas seulement à l’absence de nuisances, mais aussi, de façon plus globale, à l’absence de contacts. Et de nombreux indices tirés des résultats de l’enquête de terrain vont dans bien davantage dans le sens d’un vivre-ensemble ouvert que dans celui d’une fermeture sur son logement. Les réponses à la partie ouverte de la question, formulation d’autres souhaits, comptent une douzaine de mentions, majoritairement orientées vers les règles d’un bon voisinage, ou les comportements sont contenus39.

En somme, ne pas se déranger ne veut pas dire ne pas se parler (en direction de la sociabilité), ni ne pas s’entraider. C’est précisément l’entraide qui est formulée dans le quatrième item le plus choisi, « qu’ils soient disponibles pour donner un coup de main en cas de besoin » (48 mentions). Cette question de l’entraide sera reprise plus en détail dans l’analyse de la qualité des relations de voisinage, située précisément entre contrôle et sociabilité (contrôle – civilité – entraide – sociabilité).

Sous une forme différente, la nature des relations de voisinage est également saisie dans le questionnaire en termes de fréquence de quelques rapports classiques, impliquant différents niveaux d’intimité. La question est posée deux fois, pour les rapports aux habitants de l’immeuble d’abord, pour les rapports aux habitants des autres immeubles ensuite40. Les

38 Cf. tableau des réponses à la question 24, annexe A4.

39 Cf. liste des réponses ouvertes à la fin du tableau de la question 24, annexe A4.

40 Dans ce cas, il s’agit des autres immeubles, sans distinction entre « HBM » ou « loyer libre ». Les différences de réponses entre les deux questions ne doivent donc pas être interprétées comme un effet de distance sociale, mais

propositions de relation concernent quatre niveaux d’implication : le simple échange de salutations, niveau minimal de reconnaissance réciproque entre voisins, les conversations, dont le contenu n’est pas indiqué et qui peuvent être comprises de façon différente selon les personnes en termes d’implication et d’intimité, les visites d’enfants dans les appartements de l’une des familles, enfin les visites d’adultes aussi dans l’un des deux appartements. La hiérarchie des réponses est exactement la même dans le deux cas, et la répartition des fréquences pratiquement similaire (cf. figures 30 et 31).

Figure 30. Fréquence des contacts dans l’immeuble habité (par répondant, effectifs)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos tableau de la question 25, en annexe

Les résultats en ce qui concerne son propre immeuble indiquent d’abord clairement que le niveau élémentaire des relations de voisinage est les salutations, réciproques bien sûr. Pour plus de 80% des personnes, elles ont souvent lieu, pour presque toutes les autres au moins parfois – étant bien entendu que la fréquence réelle peut varier d’une personne à l’autre pour une même appréciation. Les conversations sont manifestement moins fréquentes (un tiers de « souvent », une moitié de « parfois »). Quelques « jamais » apparaissent même.

De façon nette, les visites d’enfants dans l’un des appartements familiaux sont plus fréquentes que les visites réciproques d’adultes. On ne note pratiquement pas de différence entre chez soi et chez les autres. Près du quart des répondants considèrent que les visites réciproques d’enfants on lieu « souvent », contre quelques pourcents seulement pour les adultes. Même contraste à l’opposé, pour l’absence totale de visites (« jamais ») : un quart des répondants pour les enfants, plus de quatre sur dix pour les adultes. Ce résultat confirme le rôle important que joue la présence d’enfants dans le développement des relations de voisinage.

Figure 31. Fréquence des contacts dans les autres immeubles (par répondant, effectifs)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos tableau de la question 26, en annexe

Comme cela a été dit, la distribution générale des réponses est pratiquement identique lorsque les relations concernent les habitants des autres immeubles. On relève toutefois une tendance générale à des fréquences un peu inférieures dans ce dernier cas, indiquant une légère

6 6 24 27 31 107 18 24 28 33 72 19 47 45 34 33 21 4 52 47 30 32 5 0 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Visites dans leur appartement

Visites dans votre appartement Visites de vos enfants dans leur appartement Visites de leurs enfants dans votre appartement Conversations Echange de salutations

Souvent Parfois Rarement Jamais

7 8 17 19 27 66 18 18 25 26 56 45 34 34 33 36 27 13 58 59 36 37 13 3 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% Visites dans votre appartement

Visites dans leur appartement Visites de vos enfants dans leur appartement Visites de leurs enfants dans votre appartement Conversations Echange de salutations

augmentation de la distance relationnelle lorsque la distance spatiale diminue, notamment en termes de fréquentation d’espaces intermédiaires communs. Deux exceptions, marquant une différenciation plus forte, méritent d’être relevées. La première concerne le fait d’échanger « souvent » ou seulement « parfois » des salutations. C’est sensiblement moins fréquent lorsque les voisins habitent d’autres immeubles que le sien, certainement parce qu’on les croise moins souvent. Cette différence assez subtile reflète sans doute le soin accordé au remplissage du questionnaire.

La deuxième différence marque davantage l’apparition d’une plus grande distance relationnelle lorsqu’augmente la distance géographique. En effet, les visites d’adultes dans les appartements d’immeubles n’existent « jamais » pour la moitié des répondants, alors que c’est quatre fois sur dix lorsqu’ils sont dans le même immeuble. Cette différence confirme que la fréquence des contacts agit favorablement sur le développement de relations plus personnelles.

Cet effet de la distance spatiale dépend d’ailleurs bien des occasions de contacts, et non de la définition implicite du voisin que se donnent les gens. A la question de savoir où habite un voisin ou une voisine – même palier ou étage, même allée, même immeuble, même quartier ou même commune – la hiérarchie des réponses va exactement dans l’ordre inverse de la proximité au niveau du quartier41. Ainsi, 79 personnes cochent le même quartier, 75 le même immeuble, 72 la même allée et 62 le même palier ou étage. Le voisin, c’est donc globalement une personne qui habite le même quartier, la commune étant elle un ensemble trop vaste pour être en général incluse dans le voisinage (22 mentions seulement).

Si des différences apparaissent en fonction de la distance spatiale, c’est d’abord le résultat des occasions de contacts, et non, dans la plupart des cas, celui d’une recherche active de relations dans le voisinage. Bien sûr, l’implication personnelle intervient dès que des contacts existent. C’est un des aspects qui est abordé dans la suite de ce chapitre.