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Partie I: Cadre théorique et problématique de recherche

3. Les relations de voisinage

3.4 Dimensions spécifiques des relations de voisinage

Pour terminer ce chapitre, deux aspects particuliers du vivre ensemble sont abordés. Le premier traite de l’entraide dans les relations de voisinage, un des thèmes importants traités dans la recherche de terrain. Le deuxième ne fait pas partie de la problématique de recherche qui sera exposée dans le chapitre suivant, parce qu’il est délicat à aborder et à traiter : il s’agit des effets

négatifs que des relations de voisinage problématiques peuvent avoir sur la santé des personnes qui les vivent.

3.4.1 Relations de voisinage et entraide

Comme le suggère les notions de liens, de réseaux et de capital social individuel et collectif, nouer des relations positives aux autres, qu’ils soient voisins, connaissances, collègues, parents, c’est créer, diversifier, améliorer ses relations sociales, générer un ensemble de ressources potentielles, comme on vient de le voir, et donc augmenter ses chances de résoudre les problèmes que l’on peut rencontrer. Les lignes qui suivent portent sur un aspect particulier de la résolution de problèmes, celui de l’aide qu’il est possible de solliciter et de recevoir dans toutes sortes de circonstances de la vie. Réciproque, l’aide devient entraide. Dans les relations de voisinage, l’entraide constitue un des avantages possibles de la proximité spatiale.

Pour Pattaroni, Thomas & Kaufmann (2009, p. 63), des relations conviviales entre voisins « (…) permettent d’instaurer la confiance nécessaire à la surveillance croisée des enfants et au développement d’autres relations d’entraide. » Les aménités de proximité multiplient les possibilités de passer du temps dans les espaces publics et semi-publics d’un quartier (café, restaurant, piscine, commerces, etc.) et favorisent les rencontres fortuites, premiers pas favorisant l’établissement de relations plus étroites.

A un niveau plus global, Dion (2008, pp. 215-216) développe une analyse intéressante, même si elle n’est pas nouvelle, quant aux effets des mesures étatiques d’aide sur les personnes aidées. Au niveau de l’Etat, la lutte contre la pauvreté est entièrement centrée sur l’individu pauvre, sans jamais viser le système qui a produit cette pauvreté. Exemple type : procurer un travail à la personne au chômage, ou fournir une aide financière directe parce qu’un travail est trop difficile à trouver ou pas suffisamment rémunérateur. L’assistance publique se joue donc essentiellement au plan économique et individuel, sans tenir compte des liens sociaux que possède (encore ?) la personne ou la famille aidée. Un effet pervers très important de cette politique, et du fort contrôle administratif qui lui est associé, est d’engendrer chez les personnes aidées « (…) la perception que leur situation de pauvreté est une conséquence de leurs propres incapacités et non une conséquence économique produite par une organisation sociopolitique. » (Dion, 2008, p. 216). Ces personnes s’estiment dès lors elles-mêmes incapables, se centrent sur les privilèges qui peuvent leur rester et perçoivent alors les autres comme des concurrents menaçant ces ultimes avantages. Cette méfiance tend à produire un isolement, étape vers un retrait de la société, une marginalisation.

3.4.2 Relations de voisinage et santé

Dans la Charte d’Ottawa datant de 1986, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que le logement est un des éléments déterminants de la santé et du bien-être (Raphael & Bryant 2006, Bryant, 2004, cités dans Morin & Baillergeau, 2008, p. 3). Autrement dit, le logement et, plus largement, le lieu de résidence et son environnement, exercent une influence non seulement sur le bien-être individuel, comme on peut s’en douter, mais aussi sur la santé au sens physique et psychique. La qualité de vie ne dépend pas seulement directement de celle de la résidence et des relations qu’elle permet de nouer, mais aussi indirectement, à travers la santé. A son tour, cette qualité de résidence influence la santé, comme le fait remarquer le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec : « La santé des personnes est influencée par les relations sociales qu’elles entretiennent sur le plan individuel et par les liens sociaux qui se tissent à l’intérieur d’une nation tout entière ou à l’échelle des collectivités immédiates auxquelles elles appartiennent (…) » (Ministère de la santé et des services sociaux, 2005, cité dans Morin & Baillergeau, 2008, p. 5).

Citant Renaud (1998), Morin & Dorvil (2008, p. 26) constatent que la santé dépend notamment de l’importance de l’entraide dont on peut bénéficier et de celle de la densité du cercle d’amis. On retrouve ainsi le capital social et le rôle qu’il peut jouer lorsqu’on rencontre des difficultés en procurant un appui psychologique ou social ; on pense en particulier à l’accident ou à la maladie et à la possibilité des les surmonter au mieux, aux difficultés relationnelles que l’on peut vivre dans son couple ou avec ses enfants, aux périodes de chômage, pour n’en citer que quelques aspects importants.

Comme la santé ne fait pas partie des éléments retenus pour l’enquête de terrain de ce travail de bachelor, afin de ne pas trop entrer dans la sphère intime des personnes interrogées et d’éviter les refus de participation qui pourraient y être liés, il nous a paru intéressant de consacrer une brève partie à ce thème sur la base concrète d’une émission de télévision intitulée « Seuls à en mourir » (Fargues, 2010). Un psychiatre parisien, le Dr Christophe André, pose d’emblée le rapport entre environnement et santé, en affirmant que si « le contact social n’est pas là, les ruminations prennent sa place ». Ce que le neuropsychiatre et éthologue médiatique qu’est Boris Cyrulnik reprend avec une de ces formules percutantes dont il a le secret : « Je pense que non seulement la solitude rend malade, mais je pense qu’elle tue ».

James Fowler, professeur à l’Université de Californie, San Diego, a participé à une vaste enquête longitudinale sur les maladies cardio-vasculaires et les émotions, qui a porté sur la génération 1948 de la ville de Framingham (USA), ainsi que sur les deux générations consécutives. Il constate que les émotions tendent à se répandre dans la population à la façon d’une maladie contagieuse ; le bonheur ou la dépression d’une personne peut ainsi dépendre, par l’intermédiaire de ses relations, de personnes qu’elle ne connaît pas elle-même. Les études entreprises ont pu mettre en évidence que la solitude se répand plus rapidement que la convivialité et que « les personnes qui sont dans le bord du réseau et se sentent très seules transmettent fortement leurs émotions aux autres. » (Fowler, 2010, cité dans Fargues, 2010).

Réagissant au cas particulier d’une jeune Croate venue étudier à l’Université de Genève, tombée dans un état dépressif alors qu’elle était logée, isolée, chez une femme dépressive, un psychiatre parisien, le Dr. Christophe André, confirme qu’une solitude subie est un facteur de risque pour la santé. Il se manifeste par un stress chronique, mesurable biologiquement : « Il y a une réalité biologique du rejet social, qui n’est pas seulement une souffrance psychologique, c’est une agression pour notre santé », affirme-t-il notamment (cité dans Fargues, 2010).

Selon un article du New Scientist (Aldhous, 2010, cité dans Fargues, 2010), il apparaît que « la solitude, la précarité, les situations de stress chronique, p. ex. vivre dans un quartier où règne une grande insécurité, influence le comportement d’une tumeur. » L’évolution pourra être ainsi plus ou moins rapide selon le milieu où vit la personne qui en souffre. Boris Cyrulnik (2010, cité dans Fargues, 2010) affirme de son côté que « si je suis seul, je n’ai plus le goût de l’action ». Dans ce cas, tout contact extérieur devient une alerte, produit de l’angoisse. On peut donc conclure avec la journaliste animant l’émission que, sur la base de l’étude de Framingham, il est important de chercher à inclure dans des réseaux les personnes qui sont à la marge.

Cette tâche n’est pas facile, comme le rappelle Boris Cyrulnik (2010, cité dans Fargues, 2010) en affirmant que « les gens dépressifs s’isolent, ils n’ont plus la force de parler, ils n’ont plus le plaisir de rencontrer, ils ne sont pas très amusants donc on les laisse facilement dans leur souffrance, et trois semaines après on voit apparaître un début d’atrophie temporale. Mais c’est l’isolement qui génère l’atrophie, ce n’est pas la dépression. C'est-à-dire que ces gens là si on leur parle, si on les entoure, si on les sécurise, si on les dynamise, on voit les neurones se remettre à fonctionner et l’atrophie disparaît ».

Le Dr André (2010, cité dans Fargues, 2010) précise de son côté qu’en tant que psychiatre il « encourage surtout les personnes à développer le deuxième et le troisième cercle de relations sociales. Le deuxième cercle c’est tous les collègues de travail, toutes les personnes, les

camarades, les copains, les personnes que l’on fréquente assez souvent même si on n’est pas hyper intimes. (…) on insiste aussi beaucoup sur le troisième cercle, c'est-à-dire les relations sociales très superficielles, brèves, bavarder avec un voisin, bavarder avec un commerçant (…) ». Le Dr André a observé que ces petites interactions sociales avaient une importance beaucoup plus grande qu’on l’imaginait. Il précise que lorsque l’on prend le temps de bavarder quelques instants avec des inconnus ou des gens très peu connus, on se montre plus souriant, on se présente sous un jour relativement positif. Ceci génère des émotions positives, « (…) ça va nous faire fabriquer des petits bouts de bonne humeur qui ajoutés les uns aux autres finalement sont un bénéfice de ces petites socialisations superficielles. » (André, 2010, cité dans Fargues, 2010).

A l’écoute des références scientifiques citées, la question des rapports entre cadre social de vie et santé apparaît importante. Thème très délicat, elle ne sera pour cette raison pas traitée dans le cadre de la partie empirique de ce travail de bachelor.