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Partie I: Cadre théorique et problématique de recherche

7. Conclusions

7.3 Deux groupes d’habitants contrastés

Comme l’a montré le chapitre consacré à l’analyse des résultats, les questions de recherche et hypothèses issues de la théorie et de la problématique ne se vérifient que partiellement. En particulier, les groupes qui y apparaissent défavorisés du point de vue de la qualité des contacts, de la participation sociale et de la construction de réseaux sociaux ne sont pas toujours ceux que la théorie prédit. De plus, les différences entre catégories démographiques, sociales et économiques sont souvent minimes et difficiles à interpréter avec le petit échantillon à disposition.

S’il existe des techniques d’analyse statistique complexes permettant de faire ressortir des éléments importants d’un ensemble de données, elles sont difficiles à comprendre et à maîtriser par des non spécialistes. Mais comment faire de façon simple une synthèse de résultats permettant d’illustrer et de mieux comprendre les différences issues de l’analyse des réponses au questionnaire ? Après consultation d’une personne ressource, une démarche simple a été mise sur pied. Elle comprend deux temps. Il s’agit tout d’abord de définir une sorte d’indicateur synthétique des résultats, dans la perspective de la problématique, en mettant l’accent sur les contacts, leur qualité, notamment dans les relations de voisinage et l’intégration à la société mesurée sur la base des participations à des activités collectives et de la constitution de réseaux sociaux, éléments clés du capital social et donc de l’intégration à la société. Ce sera un indicateur global de la qualité des relations sociales et de voisinage. Dans un deuxième temps, la démarche compare les répondants ayant le score moyen le plus élevé à ceux qui ont le score moyen le plus bas, ainsi que les rapports entre l’indicateur global défini et les différents indicateurs utilisés dans l’analyse des résultats.

L’indicateur global de qualité des relations est la moyenne de cinq indicateurs importants pour la constitution de relations de voisinage et, plus généralement, sociales facilitant l’intégration à la société : contacts réels, contacts souhaités, entraide, sociabilité dans les relations de voisinage et intégration à la société. Comme tous les autres indicateurs utilisés dans le chapitre 6, il est compris entre -1 et +1. La valeur la plus élevée obtenue par un répondant est de 0.72, la plus basse de -0.21. La grande majorité des personnes enquêtées se situe entre +0.4 et -0.1, soit sur le quart de l’échelle totale.

Les deux groupes contrastés comprennent chacun 25 personnes. Ce chiffre a été choisi pour qu’il y ait toujours au moins une vingtaine de personnes dans les comparaisons, même lorsqu’il y a des réponses manquantes. Il permet aussi de garder un contraste élevé, en évitant de noyer les extrêmes dans la moyenne. Les 25 personnes au score le plus élevé se situent entre 0.72 et

0.40, les 25 personnes au score le plus bas entre -0.05 et -0.21. Les caractéristiques de ces personnes se trouvent dans la figure 47.

Parmi les différences entre les deux groupes, la plus nette concerne la nationalité : il n’y a que six Suisses dans le groupe ayant le score le plus élevé de qualité des relations, mais douze personnes originaires d’Afrique ou d’Asie. Dans le groupe au score le plus bas, on compte quinze personnes d’origine suisse, mais une seule venant d’Afrique ou d’Asie. Autrement dit, un groupe d’Africains et d’Asiatiques donne le ton dans le premier groupe. Il s’agit plutôt de femmes, surtout parmi les scores moyens les plus élevés, mais il comprend tout de même trois hommes, un Africain vivant avec une femme de même origine ayant elle aussi un score élevé, et deux Asiatiques, en couples avec enfants, mais dont les femmes ont, elles, des scores plus faibles. Toutes ces personnes sont immigrées, plutôt récemment si on les compare à l’ensemble des immigrés.

Parmi les six Suissesses et Suisses figurant également dans ce groupe, seuls deux sont nés en Suisse, un homme et une femme, les autres étant nés à l’étranger et immigrés plutôt de longue date. On peut soupçonner que la plupart de ces personnes ont en fait acquis la nationalité suisse. On compte un couple, trois femmes faisant partie d’un couple avec enfants et un homme responsable d’une famille monoparentale.

L’image des personnes d’origine suisse qui constituent la majorité du groupe ayant le score le plus bas, est assez différente de celle qui vient d’être évoquée. Il est composé de neuf femmes et de six hommes, donc quatre seulement déclarent vivre à Genève depuis toujours (trois n’ont pas répondu à la question) et huit sont immigrées, plutôt depuis longtemps. Cinq autres personnes du groupes proviennent de pays de l’Union européenne (un Français d’une famille monoparentale, né en Suisse, un couple de Portugais ainsi que deux hommes, un Italien et un Portugais, tous en Suisse depuis plus de 10 ans).

Figure 47. Comparaison des 25 personnes ayant un score de constitution de relations de voisinage et sociales élevé ou bas (deux fois 25 personnes)

Personnes ayant un score élevé Personnes ayant un score bas Caractéristiques

socio-démographiques

• 20 adultes de couples avec enfants (4 monoparentales) • 17 femmes (8 hommes) • Un petit peu plus jeunes

• 8 adultes de famille

monoparentales (14 couples avec enfants)

• 12 hommes (13 femmes) • Un petit peu plus âgés Origine nationale • 6 Suisses

• 12 Africains et Asiatiques

• 15 Suisses

• 1 Africain ou Asiatique Dimensions

économiques

• 16 personnes sans activité professionnelle

• Un peu plus de bas revenus • 13 personnes bénéficiant d’une

rente ou aide sociale (12 non) • 9 personnes sans voiture dans le

ménage

• 10 personnes ayant déjà eu un logement subventionné

• 9 personnes sans activité professionnelle

• Un peu moins de bas revenus • 5 personnes bénéficiant d’une rente ou aide sociale (16 non) • 4 personnes sans voiture dans le

ménage • 4 personnes ayant déjà eu un logement subventionné Familiarisation avec le quartier • 5 personnes habitant déjà l’immeuble ou le quartier • Pas d’effet de l’année d’arrivée

• 1 personne habitant déjà l’immeuble ou le quartier • Pas d’effet de l’année d’arrivée Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

Du point de vue du statut socio-économique, le groupe des personnes ayant les scores les plus faibles n’est pas particulièrement défavorisé. Plus de la moitié a un emploi, femmes aussi bien

qu’hommes. Deux (hommes) sont au chômage, et deux (un homme et une femme) bénéficient d’une rente AI ou de l’aide sociale, trois autres personnes ayant en plus une aide sociale d’une autre nature (comme une aide de Caritas). Enfin, on compte dans ce groupe deux femmes et un homme au foyer. Il ne comprend que trois adultes d’origine suisse ou européenne ne disposent pas de voiture dans le ménage, soit moins qu’en moyenne. Selon des critères classiques de la situation économique, il n’y a donc pas dans ce groupe de signes manifestes de pauvreté (même si certains bénéficient d’une aide sociale), notamment pour celles d’origine européenne.

La réalité est un peu différente si on prend le critère de subvention du logement antérieur. Dans le groupe ayant une qualité élevée des relations, quatre personnes sur six habitaient déjà un logement subventionné avant d’arriver à Champ-Joly. Dans le groupe des personnes ayant le score le plus bas, elles ne sont que quatre en tout à avoir déjà bénéficié d’une aide pour le logement précédent, dont trois personnes d’origine suisse. Ces personnes peuvent donc bien avoir un sentiment négatif dans leur nouvelle situation, les obligeant à vivre dans un cadre peut-être sensiblement plus multiculturel qu’auparavant, et entraînant certaines réactions de retrait, voire d’isolement. Une habitante suisse a par exemple précisé que cela avait été un choc pour elle de venir vivre dans un pareil voisinage et qu’elle avait eu besoin de temps pour s’intégrer, pour établir de nouveaux repères.

Avec cette remarque, on glisse d’une différenciation des deux groupes en termes de caractéristiques socio-démographiques et économiques à une différenciation en termes de comportements, de valeurs et d’attitudes, en prise plus directe avec la construction de l’indicateur global analysé ici. La figure 48 montre précisément quelles sont les différences essentielles entre ces deux groupes par rapport aux indicateurs synthétiques du chapitre 6.

Dans l’ensemble, les personnes du groupe ayant un score de constitution des relations de voisinage élevé sont plus ouvertes aux autres, celles qui ont un score bas l’étant moins, voire beaucoup moins. Les différences sont particulièrement importantes sur deux points.

Le premier, le plus frappant, concerne les contacts souhaités. 24 personnes du groupe 1 sur 25 souhaitent avoir davantage de contacts avec leurs voisines et voisins, alors qu’au contraire toutes les personnes du groupe 2 n’en souhaitent pas davantage. Comme on l’avait déjà constaté dans le chapitre 6, les souhaits d’augmenter la fréquence des contacts avec ses voisins ne viennent pas seulement compenser une insuffisance de contacts, mais tendent aussi à renforcer les nombreux contacts déjà existants.

Le deuxième point porte sur le rapport à l’entraide dans les relations de voisinage et au-delà, avec les connaissances, amis et membres de la famille. La moitié des personnes du groupe 1 a une tendance marquée à l’entraide, les autres une tendance plutôt marquée à l’entraide, à une exception près. Parmi les personnes du groupe 2, au contraire, aucune n’a une tendance marquée à l’entraide, et 14 n’ont que peu ou pas de tendance à l’entraide. Cette différence pourrait bien sûr s’expliquer par la moindre fréquence des contacts réels. Mais comme on l’a suggéré plus haut, l’explication est sans doute plus globale, et renvoie à la tonalité de la plupart des relations au voisinage, marquées par un certain repli, un certain isolement. On le constate sur la quasi-totalité des indicateurs synthétiques, dont l’accent mis sur la civilité et sur la sociabilité.

La conséquence est qu’à une exception près toutes les personnes du groupe 1 ont une

intégration à la société plutôt bonne, voire bonne, alors que 18 personnes du groupe 2 ont peu

d’intégration à la société sur la base des critères retenus pour cet indicateur et donc des thèmes abordées dans le questionnaire. Il est en réalité difficile de savoir dans quelle mesure cette différence d’intégration est bien réelle. En effet, le questionnaire met l’accent sur les relations de voisinage, ce qui se voit par exemple dans le fait que les relations de proximité vont dans le même sens que les indicateurs d’intégration active, alors qu’un rapport moins de proximité, plus « cosmopolite » au sens d’ouvert sur la ville, va de pair avec un manque de contacts et de relations de voisinage plus fermées à autrui. Ces accents des indicateurs peuvent résulter pour

une part en tout cas de la centration thématique sur les relations de voisinage, les relations sociales au-delà du voisinage n’étant pas saisies et détaillées avec le même soin.

Figure 48. Comparaison des résultats aux indicateurs synthétiques pour les deux groupes ayant un score de constitution de relations de voisinage et sociales élevé ou bas (deux fois 25 personnes)

Personnes ayant un score élevé Personnes ayant un score bas Satisfaction quant au logement • 18 personnes satisfaites et 4 plutôt satisfaites • 11 personnes satisfaites et 10 plutôt satisfaites Usage du quartier • 14 personnes ont un usage plutôt

de proximité ou de proximité

• 24 personnes ont un usage plutôt cosmopolite ou cosmopolite • 1 seule s’inscrit dans la proximité Mobilité résidentielle • 7 personnes ont une trajectoire

maîtrisée

• 1 seule a une trajectoire maîtrisée

Contacts réels et souhaités

• 18 personnes ont des contacts réels fréquents

• 24 souhaitent des contacts plus fréquents

• Personne n’a des contacts réels fréquents

• 25 ne souhaitent que de rares contacts supplémentaires Ségrégation et mixité • 7 personnes sont orientées vers

la mixité, 4 plutôt vers la ségrégation

• 2 personnes à la société sont orientées vers la mixité, 6 plutôt vers la ségrégation

Rapport aux règles et nuisances, ainsi que contrôle dans les relations de voisinage

• 18 personnes pour les règles 7 « plutôt pour »

• 7 personnes ont tendance au contrôle

0 n’en ont aucune

• 12 personnes « plutôt pour » les règles

13 « plutôt indifférentes » • 2 personnes ont tendance au

contrôle,

• 6 n’en ont aucune Civilité dans les

relations de voisinage

• 17 personnes ont tendance à la civilité

• 1 n’en a aucune

• 6 personnes ont tendance à la civilité

• 8 n’en ont aucune Entraide dans les

relations de voisinage

• 13 personnes ont une forte tendance à l’entraide, 11 en ont une plutôt forte

• 1 seule personne n’a pas de tendance à l’entraide

• Aucune personne n’a une forte tendance à l’entraide, 11 en ont une plutôt forte

• 7 personnes n’ont pas de tendance à l’entraide, 7 plutôt peu de tendance Sociabilité dans les

relations de voisinage

• Positions variées, le maximum étant peu de tendance à la sociabilité (11 personnes)

• Toutes les personnes du groupe n’ont pas de tendance à la sociabilité

Qualité globale des relations de voisinage

• 16 personnes ont l’entraide comme tendance moyenne 9 ont la civilité

• 1 seule personne a l’entraide comme tendance moyenne 24 ont la civilité

Intégration à la société • 23 personnes ont une intégration plutôt bonne (22) ou bonne (1) • 2 ont peu d’intégration

• 7 ont une intégration plutôt bonne (aucune bonne)

• 18 ont peu d’intégration Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

La figure 48 permet aussi de vérifier le sens particulier du rapport aux règles et aux nuisances de voisinage, et à l’orientation vers le contrôle plutôt que vers le laisser-faire. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’absence d’attention aux règles, une certaine indifférence aux nuisances et une attitude plutôt ouverte par rapport au contrôle sont plus fréquentes dans le groupe 2 que dans le groupe 1. Autrement dit, l’exigence par rapport au comportement des voisins n’indique pas une proximité et une bienveillance à leur égard, mais elle est plutôt le

signe de la volonté de construire les relations de voisinage sur une base saine, respectueuse d’autrui. Au contraire, le laisser-faire doit être plutôt interprété comme la conséquence d’une indifférence par rapport à ses voisins, à la limite d’une attitude de repli sur soi et sur son logement.

Ces accents des relations de voisinage et, plus généralement, des relations sociales confortent l’interprétation des différences entre les deux groupes comme des différences de comportements, de valeurs et d’attitudes par rapport à autrui. Elles correspondent pour une part à des traits culturels, plus présents dans certaines sociétés que dans d’autres, comme relevé plusieurs fois dans les analyses du chapitre 6. Mais ceux-ci sont bien évidemment plus ou moins présents selon les groupes et les individus, et aussi selon les contextes sociaux, comme le suggèrent les résultats contrastés des deux groupes définis ci-dessus.