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Partie I: Cadre théorique et problématique de recherche

6. Résultats de recherche

6.1.1 Les habitants des logements sociaux de Champ-Joly

Par rapport aux logements d’utilité publique de la Tambourine déjà évoqués, les appartements HBM de Champ-Joly n’ont pas été octroyés dans le but d’atteindre une certaine forme de mixité sociale. A y regarder de plus près, les locataires de Champ-Joly présentent cependant bon nombre de caractéristiques qui donnent également à cette population une allure d’hétérogénéité.

Une première caractéristique des ménages va toutefois dans le sens d’une homogénéité forte ; c’est la présence massive d’enfants (figure 13). Sur 91 ménages, seuls 8 (moins d’un sur dix) ne compte pas d’enfants. Une autre caractéristique de ces ménages est la grande proportion de familles monoparentales (35 sur 91, soit environ quatre sur dix). Ces deux traits sont il est vrai assez caractéristiques des logements subventionnés du canton de Genève.

Figure 13. Type de ménages (effectifs des ménages)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

Les couples se déclarent mariés dans leur très grande majorité (95 sur 98, cf. figure 14). Dans les familles monoparentales, ce sont comme on peut s’y attendre des personnes divorcées (18 sur 36) et séparées (11 sur 36) qui dominent nettement. Ces différences constituent un critère important d’hétérogénéité de la situation des adultes du ménage, entre trois quarts de familles biparentales et un quart de familles monoparentales.

Figure 14. Adultes dans le ménage et état civil des répondants (nombre de répondants)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

La présence massive d’enfants mineurs indique déjà une certaine homogénéité en termes d’âge des habitants de Champ-Joly. C’est ce que vérifie la figure 15, qui montre qu’une centaine de personnes enquêtées sur les 133 qui ont répondu aux questions a entre 30 et 49 ans. On relèvera également qu’une majorité des répondants sont des femmes, qui constituent l’essentiel des adultes dans les familles monoparentales… et tendent également à répondre un peu plus souvent à des enquêtes que les hommes, ce qui se vérifie pour celle-ci.

Figure 15. Sexe et âge des répondants (% en lignes)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

Classique dans la population, la représentation de logements HBM remplis d’immigrants récemment arrivés, aux origines « exotiques », ne se vérifie guère dans le cas de Champ-Joly (figure 16). Plus de 40% des locataires sont d’origine suisse7, et ils ne sont « que » un sur cinq à venir du Maghreb et d’Afrique noire. Un habitant sur cinq également est en Suisse depuis toujours. C’est quatre sur dix pour les habitants de nationalité suisse, ce qui signifie sans doute qu’une bonne partie a demandé et acquis la nationalité suisse. Au total, 85% environ des locataires sont en Suisse depuis au moins dix ans, et un seul est arrivé (d’Afrique) il y a moins de cinq ans. Ces différentes caractéristiques ne créent pas une population homogène du point de vue des origines, mais correspond plutôt au métissage habituel dans certains quartiers de

7 Parmi les 5 personnes déclarant une seconde nationalité, quatre donnent la Suisse comme première origine. Nombre d'enfants

Type de ménage Aucun 1 2 3 4&+ Total

adulte seul 4 9 13 7 2 35

couple 4 2 25 21 4 56

Total 8 11 38 28 6 91

Etat civil

Type de ménage Célibataire Marié(e) Séparé(e) Divorcé(e) Veuf(ve) Total

adulte seul 5 0 11 18 2 36

couple 2 95 0 1 0 98

Total 7 95 11 19 2 134

Sexe

Age Femme Homme N=100%

20-29 83.3 16.7 6

30-39 77.3 22.7 44

40-49 54.4 45.6 57

50 et + 46.2 53.8 26

Genève, entre Suisses d’origine et migrants, naturalisés ou non, arrivés lors de différentes vagues migratoires.

Figure 16. Première nationalité et durée de présence en Suisse (par répondant, % en lignes)

Note : données plus détaillées dans l’annexe A4. Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

La formation est un facteur important d’accès à l’emploi, d’évitement du chômage comme, plus généralement, d’intégration dans la société. Les locataires des logements HBM de Champ-Joly (cf. figure 17) se distinguent de ce point de vue de la population résidente genevoise par un taux plus élevé de personnes n’ayant accompli que l’école obligatoire (45%), surtout si on tient compte de leur âge8. La proportion d’adultes ayant atteint une haute école est de près de 20%, ce qui semble a priori élevé pour une population bénéficiaire de logements sociaux. Comme les réponses sont pré-formulées, il y a peut-être une surévaluation du niveau de formation, notamment lorsque la scolarité s’est découlée à l’étranger, dans un système d’enseignement ayant une autre structure.

Figure 17. Niveau de formation selon le sexe (par répondant, % en colonnes)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

En tout cas, cette proportion de locataires ayant fréquenté une haute école professionnelle ou universitaire ne se reflète pas dans les professions déclarées, ni dans la situation socio-professionnelle élaborée sur la base de la profession et de la situation socio-professionnelle9 (figure 18). Cette situation tient compte tout d’abord du rapport à l’emploi (en emploi, en recherche d’emploi, à l’aide sociale ou sans emploi), subsidiairement de la catégorie socio-professionnelle (CSP) élaborée à partir de la profession et du statut dans la profession. Dans le cadre du logement social, il paraît en effet opportun de mettre en évidence la diversité des situations par rapport à l’emploi, tout en conservant une touche de différenciation en termes de profil socio-professionnel. Dans la CSP moyenne figurent essentiellement des personnes se déclarant

8 Cette proportion est de 21% pour les adultes habitant Genève selon l’enquête ALL, cf. Amos et al. (2006). Relever les défis la société de l’information. Les compétences de base des adultes dans la vie quotidienne. Rapport genevois de l’enquête internationale ALL 2003. Genève : Service de la recherche en éducation.

Habite la Suisse depuis… Première

nationalité - de 5 ans 5-10 ans + de 10 ans toujours Total=100%

Suisse 0.0 5.6 53.7 40.7 54 UE-25 0.0 4.0 80.0 16.0 25 Balkans 0.0 22.2 77.8 0.0 9 Amérique 0.0 40.0 60.0 0.0 5 Afrique 4.0 32.0 60.0 4.0 25 Asie 0.0 22.2 77.8 0.0 9 Total 0.6 11.2 50.2 16.7 127 Sexe

Formation Femme Homme Total

École obligatoire 50.0 38.5 45.4

École de commerce, école de métiers, apprentissage 23.1 25.0 23.8

Ecole de culture générale 3.8 9.6 6.2

Maturité gymnasiale, maturité professionnelle 6.4 3.8 5.4

Haute école (HES, université) 10.3 17.3 13.1

Autre 6.4 5.8 6.2

employées dans les secteurs du bureau et du commerce, comme dans la fonction publique au niveau de « col blanc ». Dans la CSP inférieure se trouvent à la fois les ouvriers, ainsi que le personnel peu ou pas qualifié des bureaux, du commerce, de la santé et du social.

Sur 124 personnes ayant donné les informations nécessaires à l’établissement de leur statut socio-professionnel et de leur formation, une sur cinq environ est en activité professionnelle à plein temps ou à temps partiel de niveau CSP moyenne, trois sur dix dans un emploi de niveau CSP inférieure, un peu moins d’une sur six en recherche d’emploi, une sur cinq est au bénéfice de l’AI ou d’une aide sociale comme le RMCAS, une sur cinq encore sans emploi (homme ou femme au foyer, à la retraite pour quelques rares cas).

Figure 18. Niveau de formation et statut socio-professionnel (par répondant, % en colonnes)

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

Le rapport à l’emploi de la population HBM de Champ-Joly est donc plus souvent problématique que ce n’est le cas dans la population en général. Un habitant sur trois est au chômage ou au bénéfice d’une assurance ou d’une aide sociale, alors que ces situations concernent sans doute moins de 10% des adultes genevois. Il y a également davantage d’actifs de CSP inférieure par rapport à ceux de CSP moyenne que ce n’est le cas, par exemple, parmi les parents d’élèves de l’enseignement public genevois qui sont comparables du point de vue de l’âge10. Si le profil d’activité professionnelle des locataires est nettement défavorisé, il n’est cependant pas homogène. Un locataire sur deux est en cours d’emploi, un sur trois au chômage ou tributaire d’un soutien financier (AI, OCPA, Hospice général, Caritas, etc.).

Ces différences de situation, de même que l’existence de familles monoparentales et de ménages ayant deux adultes actifs, entraîne des différences de revenu importantes (figure 19). Un ménage sur quatre gagne moins de 35'000.- annuel (normalement un revenu brut, basé sur les salaires), plus d’un ménage sur deux moins de 50'000.-. Il s’agit de revenus plutôt bas pour un ménage avec enfants, même s’il est monoparental11. La borne haute de cet intervalle doit correspondre à un revenu brut mensuel de 4'000.- par mois, et donc un revenu disponible aux alentours de 3’000-3'500.-. A l’opposé, seuls quelques ménages disposent de plus de 80'000.-, soit de plus de 6'500.- par mois12.

10 Par rapport aux données du Service de la recherche en éducation du Département de l’Instruction Publique portant sur la scolarité obligatoire, on compte surtout moins d’enfants issus de la CSP moyenne, et aucun enfant de la CSP supérieure qui représente environ 20% des élèves du canton. Les comparaisons sont plus difficiles pour les personnes sans activité professionnelle, mais la proportion dans la population enquêtée à Champ-Joly est probablement de 3 à 4 fois supérieure (cf. Mémento statistique de l’éducation à Genève, édition 2011, Genève : Service de la recherche en éducation).

11 Selon l’Office cantonal de la statistique, le salaire mensuel brut médian est de 6'775 francs dans les entreprises privées, pour 40 heures de travail. Cela représente un salaire individuel brut de 81'300 francs par année (site Internet de l’OCSTAT, consulté le 21 mai 2012 : http://www.ge.ch/statistique/domaines/03/03_04/apercu.asp)

12 Dans quelques cas, les chiffres donnés par les deux adultes vivant ensemble ne correspondent pas, mais la différence est en général d’une seule catégorie.

Formation Statut socio-professionnel Ecole obligatoire Ecole de comm., ap-prentissage Ecole de culture générale Maturité gymn. ou prof. Haute école (HES,

université) Autre Total

Actif CSP moyenne 12.1 23.3 28.6 71.4 14.3 12.5 19.4

Actif CSP inférieure 31.0 43.3 14.3 0.0 14.3 25.0 29.0 En recherche d'emploi 17.2 10.0 14.3 0.0 28.6 12.5 15.3 Bénéficiaire aide sociale 17.2 13.3 42.9 14.3 7.1 37.5 17.7 Sans emploi, au foyer 22.4 10.0 0.0 14.3 35.7 12.5 18.5

La figure 19 met en évidence un autre aspect de la diversité des situations économique et sociales. Un peu plus de quatre locataire sur dix déclarent bénéficier d’une aide sociale, la question précisant l’AI, l’OCPA (avance sur pensions alimentaires) ou les services sociaux tels que l’Hospice général, Caritas ou le Centre social protestant. Ce chiffre est bien sûr aussi sans commune mesure avec la situation dans la population genevoise adulte d’âge comparable.

Figure 19. Niveau de revenu et soutien financier (par répondant, % en lignes

Source : enquête Champ-Joly, 2010, © Christophe Amos

Un autre critère fréquent caractérisant les populations défavorisées, voire marginalisées, est la différence de langue. La question 22 du questionnaire aborde les langues « habituellement parlées » dans le ménage enquêté13. Les réponses ne sont sans doute pas entièrement représentatives des pratiques linguistiques des habitants HBM de Champ-Joly, puisque le questionnaire n’était proposé qu’en français. Compte-tenu du taux de réponse élevé, on peut toutefois admettre qu’une grande majorité peut communiquer en français. En effet, sur les 132 répondants ayant indiqué une première langue habituelle dans le ménage, 88 donnent le français ; mais 42 autres l’indique comme deuxième langue, ce qui fait un total d’au moins 130 personnes plus ou moins francophones. A noter encore que sur 127 répondants, 117 déclarent que tous les membres de leur ménage parlent couramment le français. L’obstacle linguistique à l’intégration ne se pose donc guère ; on peut y voir le reflet de la durée de présence en Suisse.

Les langues étrangères viennent loin derrière le français. On retrouve parmi elles la grande variété qui est habituelle à Genève. Le portugais vient en second, avec 22 mentions en 1ère, 2ème ou 3ème langue. De façon très groupée autour de 10 mentions, on trouve dans l’ordre l’albanais, l’anglais, l’espagnol et l’italien. L’allemand est pratiquement inexistant (2 mentions), alors que diverses langues d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique sont mentionnées au total 54 fois. Si le français semble à l’évidence être suffisamment répandu pour que la langue ne soit qu’exceptionnellement un obstacle aux relations de voisinage, le quartier n’en doit pas moins ressembler, à certains moments, dans les familles, dans les espaces intermédiaires, à une petite tour de Babel.