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Traitement lexicographique et représentation idéologique

5. La relation lexicographique quaternaire

Il s’agit, dans ce point, non pas de faire une étude puis l’exemplifier ou plutôt la concrétiser à travers des cas bien précis (corpus), mais le sujet est en rapport direct avec

« l’indéfinissable « conscience linguistique » qui finit toujours par faire force de loi chez les lexicographes »2. Nous allons aborder donc, et selon la classification proposée par Jean Pruvost, quatre relations existantes dans le domaine lexicographique et sont centralisées au cœur d’une « conscience lexicographique » ; cette conscience circule entre les dictionnaires d’hier et d’aujourd’hui. Nous tenterons d’énumérer, avec plus ou moins de détails, ces quatre relations complémentaires qui constituent la relation lexicographique quaternaire.

5.1. La relation d’interprétation

Concernant cette relation, on la caractérise de « passionnelle » car, elle est étroitement partagée par trois partenaires : d’abord, la langue qui est, en même temps, une totalité et une beauté qui ne sont jamais atteints. Ensuite, le lexicographe ; celui-ci, de par sa préoccupation, est considéré « un amoureux et/ou un poète de la langue ». Enfin, le lecteur qui peut-être positionné en tant que « confiant ou méfiant ». Dans cette trilogie, l’interprétation se manifeste différemment ; en effet, nous pouvons « facilement » remarquer en consultant un dictionnaire que celui-ci n’est pas forcément ce que l’on croit retrouver (par exemple ; dans certains cas, le dictionnaire nous trompe sur son contenu par rapport à son intitulé), c'est-à-dire qu’« un dictionnaire peut en cacher un autre »3.

1 Ibid. P 92.

2 Jean PRUVOST, La relation lexicographique quaternaire, in : http://linx.revues.org/223 ; DOI :10.4000/linx.223. [En ligne], consulté le 19 juillet 2014

3 Ibid.

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En outre, nous citons une autre forme d’interprétation : celle de l’auteur du dictionnaire ou le lexicographe. Le travail lexicographique effectué par ce dernier est en réalité d’une grande « ampleur », étant donné que la description de la langue nécessite une conscience minutieuse. Enfin, et une fois que le dictionnaire se mette entre les mains de ses utilisateurs, ces derniers consentent leurs propres ainsi que diverses interprétations. On admet donc, à partir de cette relation, que le dictionnaire est un ouvrage qui résulte, d’une part, de l’interprétation de son lexicographe et, d’une autre part, de celle de ses différents lecteurs et lectrices. Nous mettons l’accent finalement, sur le degré de la dépendance de la lexicographie de « l’interprétation consciente et inconsciente »1.

5.2. La relation procédurale

Ce type de relation proclame la méthodologie adoptée par le lexicographe, lors de la description lexicographique, puisqu’il existe maints angles à partir desquels on peut viser la langue. C’est pourquoi, nous retrouvons plusieurs types de dictionnaires ; chacun sa perspective choisie pour son positionnement méthodologique. Il faut donc, que le dictionnaire suive une perspective bien déterminée afin de s’identifier. Il s’agit, en d’autres termes, d’une question de choix de posture ou précisément, le choix entre deux postures ; une posture onomasiologique et une posture sémasiologique. Jean Pruvost les explicite, respectivement, que la première posture part du concept pour aller vers les signifiants, alors que la seconde part du signifiant, de la forme, pour en rechercher les signifiés, les sens. Cette procédure se traduit, par conséquence, par le choix entre « le dictionnaire analogique et le dictionnaire alphabétique ordinaire »2.

Sur l’axe du temps, (jusqu’à la fin du XXème siècle) ces deux postures : onomasiologique et sémasiologique étaient, « radicalement opposées dans les dictionnaires proposés sur le marché »3. Autrement dit ; aucun des deux types de dictionnaires n’acceptait d’assimiler la procédure adoptée par son opposé. Néanmoins, la situation a changé, car l’irruption de l’informatique dans le domaine lexicographique a ouvert l’accès à l’approche onomasiologique dans les dictionnaires de langue. Également, on peut même se permettre une consultation au sein des dictionnaires encyclopédiques informatisés, par le biais d’une quête onomasiologique.

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Ibid.

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En visant toujours l’aspect sémasiologique des dictionnaires, émerge une distinction opposant les dictionnaires synchroniques aux dictionnaires diachroniques. Une dichotomie illustrée par Jean Pruvost en citant quelques dictionnaires : « les Petits ou Grands dictionnaires Robert ou Larousse, tenants d’une synchronie certes assez épaisse, et le Dictionnaire historique de la langue française, dirigé par Alain Rey. »1. Cependant, on assiste également, dans cette période (la fin du XXème S), à une autre forme d’opposition ; celle-ci distingue les dictionnaires généraux des dictionnaires spécialisés.

A partir des différentes manifestations lexicographiques précédemment citées, nous pouvons synthétiser que la relation procédurale se caractérise, surtout, par la décision d’adopter une des diverses postures existantes dans le genre lexicographique. « Elle se révèle aussi le lieu d’une recherche pionnière, à la frontière des positions intellectuelles novatrices et des ouvertures rendues possibles grâce à l’évolution technologique. »2.

5.3. La relation définitionnelle

De par son nom, il parait évident que cette relation s’articule principalement autour de la définition. Cette dernière (comme il a été précédemment développé dans la première partie de notre travail) se distingue en deux majoritaires parties : la définition logique et la définition nominale. Il ne serait probablement pas inutile de rappeler que la définition logique s’appuie sur le principe, justement, de la logique qui va du général vers le particulier ou le spécifique, alors que la définition nominale se manifeste par des procédures synonymiques, antonymiques ou même des informations fondées « sur les rattachements morphologiques ou notionnels ». Comme il existe d’autres types de définitions, citées ainsi par Jean Pruvost :

« les définitions métalexicographiques, stéréotypiques, sans oublier par exemple les gloses définitionnelles inspirées par les conceptions wittgensteiniennes […] ou bien les tentatives heuristiques de définitions naturelles »3.

Malgré la multiplicité de définitions existantes, il manque, en revanche, des informations correspondant à l’aspect culturel des entrées définies. En effet ; les dictionnaires organisent leurs définitions sans pour autant les convertir aux différentes « cultures courantes » et communes aux membres que contiennent une communauté culturelle donnée.

Nous faisons référence, dans ce point, à la question de la « lexiculture »4 ; une notion créée

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Lexiculture : terme relatif au domaine de la lexicographie, voir la page 32.

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ainsi qu’explicitée par Robert Galisson. Nous nous permettons de confirmer concrètement, que cette désignation culturelle que portent certaines unités lexicales « se trouve de fait presque totalement ignorée de nos dictionnaires, malgré son caractère essentiel, notamment pour les locuteurs étrangers »1. Ainsi, le contenu présenté dans les dictionnaires révèle un travail lexicographique dépouillé de la description culturelle des unités lexicales. De ce fait, la dimension lexiculturelle demeure un « tabou » condamné par la tradition lexicographique.

5.4. La relation poétique

S’agissant du domaine de la lexicographie, la relation poétique est conçue d’une manière « délétère ou farfelue » puisque, d’apriori la poésie est loin d’être relative au travail lexicographique. Toutefois, le fond de la relation entre ces deux notions est différent de ce que l’on croit car, les deux : lexicographe et poète sont élus, par leurs lecteurs, comme des interprètes privilégiés. Mais, « le premier interprète le monde des mots pendant que le second interprète le monde qu’il perçoit. Il n’est pas étonnant que la société leur ait souvent confiés une sorte de mission : au premier de dire le sens visible des mots du monde, au second de dire le sens invisible des mots et du monde. Deux interprétations complémentaires. »2.

Historiquement, on a vu la naissance de grands écrivains bien avant la naissance

« officielle » du premier dictionnaire monolingue. En outre, les auteurs qui ont participé à la confection du Dictionnaire de l’Académie Française (fin du Grand siècle en 1680) sont les mêmes personnages qui étaient avant, des écrivains. Egalement, lors de la consultation d’un dictionnaire, on trouve que, dans le but d’illustrer la définition, on fait référence à des citations émises par des écrivains et/ou des poètes. En d’autres termes ; il serait facile de déduire ainsi, que le travail littéraire (quelque soit sa forme) précède la description lexicographique, dans la mesure où « s’instaure d’abord la création littéraire, ensuite la normalisation des mots utilisés, comme s’il s’agissait de garantir une palette lexicale précise, en somme d’offrir à toutes et tous le code lexical utilisé dans la création littéraire. »3.

Nous concrétisons cette idée par des exemples réels, sur lesquels témoigne l’histoire, sélectionnés par Jean Pruvost, dans son article intitulé : La relation lexicographique quaternaire. En commençant par le cas de Thomas Corneille, frère de l’auteur du Cid, était à la fin du XVIIe siècle, bien plus connu pour son activité d’auteur dramatique que ce dernier, il faudrait rappeler qu’il fut aussi, dans le même temps, l’auteur du Dictionnaire des arts et des

1 PRUVOST Jean, La relation lexicographique quaternaire, Op. Cit.

2 Ibid.

3 Ibid.

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sciences de l’Académie française (1694). L’homme de lettres et l’homme de l’alphabet ne faisaient ainsi qu’un seul. Encore, il ne serait pas inutile de rappeler que Paul Robert a déclaré qu’au moment où il commençait la rédaction du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, il lui semblait nécessaire de bien définir les mots pour pouvoir améliorer son style qu’il percevait comme lourd. Sa toute première intention était alors bien d’essayer d’entrer en littérature.

Finalement, et après avoir exposé les quatre relations constituant « la relation lexicographique quaternaire », nous synthétisons que le dictionnaire, avant qu’il résulte de ce travail lexicographique, est nécessairement relatif à des annexes en dehors du domaine de la lexicographie (certes), mais qui symboliseraient une « efficace base de données ».

Conclusion

Après avoir développé, d’une manière plus ou moins approfondie, les idées hiérarchisées de ce chapitre, nous avons constaté que le travail lexicographique dépend, en grande partie, et est relatif à tout un ensemble de critères constituant les convictions idéologiques d’une société donnée. Car, la confection d’un dictionnaire doit,

« impérativement », prendre en considération les principes idéologiques existants dans l’espace synchronique de la société à laquelle est destiné ce dictionnaire.

En outre, sachant que, d’un côté, « les discours d’un groupe social s’organisent sémantiquement selon ce qu’on nomme « cultures » et « idéologies » »1. D’un autre côté, les dictionnaires, qui sont censés exposer cette langue utilisée dans les « discours », sont considérés « des textes culturels dépositaires d’indices idéologiques »2. C’est pourquoi, on (les métalexicographes surtout) tend de plus en plus à s’intéresser au repérage, dans la microstructure du dictionnaire, « des traits d’une idéologie dominante »3.

1 REY Alain et DELESALLE Simone, Problèmes et conflits lexicographiques, Op. Cit.

2 KOTTELAT Patricia, Définitions lexicographiques et idéologie, Op. Cit.

3 Ibid.