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3.1. La lexicomatique

Grâce aux moyens informatiques, nous assistons à l’émergence de la

« lexicomatique »3: une nouvelle technique à travers laquelle on obtient des « dictionnaires-machines ». Il sera question, dans cette perspective, d’un rapprochement entre, d’une part, les domaines propres aux dictionnaires destinés à la consultation humaine, et, d’autre part, la lexicomatique. Cette dernière associe la base des connaissances lexicales avec tout ce qui relève des dictionnaires-machines, afin de parvenir au traitement automatique des langues et les industries de la langue. La recherche prend de fait son plein envol, les moyens

1 TURCAN Isabelle, La composante lexicographique et grammaticale du fonds de la bibliothèque jésuite des Fontaines entreposé à Lyon In : Revue de la bibliothèque municipale de lyon, 2003, pp. 28-33

2 LERAT Pierre, les langues spécialisées, linguistique nouvelle, PUF, 1ère édition janvier 1995, p. 161.

3 HUMBLE Philippe, Dictionnaire d’apprentissage du français des affaires,Dictionnaire de

compréhension et de production de la langue des affaires, Didier, Meta, vol. 48, No 4, 2003, Paris, pp.601-604.

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informatiques permettant des travaux de très grande ampleur, la lexicographie, « au sens Quémadien du terme »1, risque de battre son plein.

En effet ; l’informatique, avant même la naissance des premiers cédéroms et d’Internet, autorise la démultiplication des dictionnaires destinés au public en partant de bases de données bien nourries. De nombreux petits dictionnaires apparaissent ainsi, diversifiés selon les âges, la dictionnairique peut même désormais dépasser l’adaptation des données offertes par la recherche, pour parfois avoir son autonomie, en dehors de la lexicographie.

Néanmoins, « ce n’est plus de la recherche, c’est de l’adaptation des données, avec autant de

« cocktails » avec les données que de publics potentiels. Diversifier pour mieux vendre »2. Il s’agit, dans certains cas, d’une adaptation talentueuse et efficace des acquis : par exemple le cas du « Dictionnaire historique de la langue française » (Le Robert 1992) qui présente de manière agréable des informations étymologiques offertes par les chercheurs, du CNRS notamment. Dans d’autres cas au contraire, il ne s’agit que d’un rebrassage3 assez plat des informations sélectionnées, ciblées pour un profit commercial parfaitement calculé ; à la manière d’un produit bien conditionné. Faire en sorte que la lexicographie ne se referme pas sur elle-même et que la dictionnairique ne s’auto-reproduise pas, tel est alors le cap à ne pas perdre.

Quant à la dernière période ; de la fin du XXème siècle jusqu’au début du XXIème siècle ; marquée par le développement d’Internet. Elle se distingue d’abord, par le renouveau des stratégies éditoriales, étendues et adaptées aux nouveaux espaces virtuels ; espaces infinis d’informations accessibles en temps réels. Elle se définit aussi, par une métamorphose profonde des réflexes de consultation.

Néanmoins, un problème émerge : ce sont surtout des adaptations électroniques de produits, offerts il y a peu sur le papier, qui sont en cours d’élaboration ou bien proposés sur le marché. C’est de la «redictionnairisation»4. On passe du papier à l’électronique, en y ajoutant toutes les balises propres à la consultation la plus riche et la plus croisée possible et on l’assortit avec des liens sur Internet.

1 Ibid.Avec la lexicographie, on se situe en fait dans le domaine de la recherche, sans préoccupation d’une mise en valeur pour un public non initié, sans avoir le souci d’adapter le contenu à des locuteurs acheteurs d’un produit.

2 HUMBLE Philippe, Dictionnaire d’apprentissage du français des affaires,Dictionnaire de compréhension et de production de la langue des affaires, Op. cit.

3 Terme utilisé par Jean PRUVOST, directeur du laboratoire CNRS, université de Cergy-Pontoise.

4 HUMBLE Philippe, Dictionnaire d’apprentissage du français des affaires,Dictionnaire de compréhension et de production de la langue des affaires, Op. cit.

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Il manque alors, à inventer des dictionnaires conçus d’emblée pour le support informatique, avec, sans doute, de réels décloisonnements par le biais hypertextuel entre l’encyclopédie et la langue, entre la synchronie et la diachronie, entre le vocabulaire général et le vocabulaire spécialisé, entre les exemples textuels et l’exemple imagé, sonore,

« synesthésique »1 en somme. En y intégrant la lexiculture que nous exposerons dans le point suivant.

3.2. La lexiculture

3.2.1. Le rapport avec le FLE

La « lexiculture »2 désigne « la culture courante partagée par tous et en dépôt dans les mots »3. Car, à coté de la dimension sémantique, le mot prend une dimension particulière ; il s’agit de la dimension culturelle qui constitue une « partie intégrante de la définition du mot »4. La présence de cette dimension se révèle aussi indispensable pour un utilisateur étranger que pour un natif, afin de leur permettre de discerner les différentes interprétations ainsi qu’utilisations des mots.

La notion de lexiculture, selon R. Galisson, se manifeste surtout à la disposition des locuteurs étrangers lorsqu’ils rencontrent des difficultés dans l’apprentissage de la langue française. On se focalise sur le « caractère novateur »5 des termes pour l’apprentissage efficace du vocabulaire. En effet ; dans le but de mieux cerner l’explication d’un mot, il convient d’englober la présentation du mot dans toutes ses perspectives culturelles en les associant à ses composantes lexicales.

Pour qu’un locuteur puisse comprendre et/ou produire parfaitement un mot dans une conversation ou dans un texte donné, nous devons, en plus de la définition sémantique attribuée au mot, le « contextualiser » culturellement ; «Pour être parfaitement expliqué, le mot doit effectivement être présenté dans toutes ses perspectives, avec tout son poids lexiculturel »6. Chaque mot a, en plus des composantes lexicales, ses composantes culturelles, mesurées différemment par chaque pays qui colore ce mot par son propre usage. Définir un

1 Ibid.

2 Terme et concept propre à GALISSON Robert, désigné, dans les études de linguistique appliquée, en 1987.

3 PRUVOST Jean, quelques concepts lexicographiques opératoires à promouvoir au seuil du XXIe siècle, in : http://www.u-cergy.fr/index.html [en Ligne], consulté le : 13/10/2010.

4 Ibid.

5 GALISSON Robert a donné à l’approche définitoire des mots une nouvelle dimension, issue de son observation attentive des obstacles à l’apprentissage du vocabulaire de la langue française, en tant que langue étrangère.

6 PRUVOST, Jean, quelques concepts lexicographiques opératoires à promouvoir au seuil du XXIe Siècle, Op. Cit.

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concept sémantiquement est associé donc, à ses conceptions culturelles spécifiques au pays auquel il appartient ou vers lequel il est destiné et dans lequel il apparaît.

3.2.2. définition sémantique Vs définition « lexiculturelle »1

Le dictionnaire, dont le but est de pouvoir expliquer un mot à l'égard de son apparition dans toutes les situations de communication possibles, est censé englober les deux définitions pour le même mot : « sémantique et lexiculturelle » ; c'est-à-dire ne pas se limiter au sens cerné dans l’habituelle définition qui ne correspond qu’à un seul aspect du mot, celui propre à la norme et à l’emploi syntaxique : ce que R. Galisson appelle la « culture savante ».

La définition sémantique est « limitée »2 dans la mesure où elle représente les informations concernant le mot en tant que neutre ; il n’est pas encore mis en usage par le(s) locuteur(s). Cependant, la définition lexiculturelle intègre tout ce qui se rapporte à la relation et à l’attachement du locuteur avec ce mot. Elle touchera ce teneur populaire du mot et elle éveillera également l’attachement inexprimé à ce mot que partagent les membres d’une même communauté linguistique dans le cadre d’une culture commune à ces derniers ; R.Galisson l’a nommée « la charge culturelle partagée »3.

Nous sélectionnons un des exemples qui s’imposent dans l’exploitation de la dimension culturelle que prennent les mots dans leurs définitions : le mot accordéon qui peut bénéficier d’une définition lexiculturelle si on lui regroupe ses traits lexiculturels qui sont d’ailleurs, quasiment les mêmes chez tous les locuteurs français.

Tout d’abord, l’instrument fait immédiatement penser à un instrument populaire, le « piano du pauvre »4 qu’on apprend très rarement ou jamais dans un conservatoire de musique.

Chaque français sait que traditionnellement, ce ne sont pas les enfants des milieux riches qui apprennent l’accordéon. Ensuite, c’est un instrument dont le son est perçu comme joyeux, faisant immédiatement penser à l’atmosphère des guinguettes, à ce que l’on appelle les « bals populaires »5, ces bals du samedi soir où l’on peut danser, au son de l’accordéon, des tangos et des valses. On l’associe notamment au « bal du 14 juillet ». Ajoutons enfin que, dès que l’on évoque l’accordéon, un nom vient immédiatement sur toutes les lèvres des français :

1 Ibid.

2 Ibid.

3 GALISSON Robert. la pragmatique lexiculturelle pour accéder autrement, à une autre culture, par un autre lexique, in : Mélanges CRAPEL n0 25, université de Sorbonne-Nouvelle, paris, pp. 47-73.

4 Ibid.

5 Ibid.

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Yvette Horner. Elle incarne en effet, la femme sympathique du peuple devenue la reine de cet instrument, avec de nombreux refrains connus. Ainsi, nous déduisons que ces trois traits cités sont essentiels à la résonance profonde du mot « accordéon ».

La définition lexiculturelle ou la lexiculture est le reflet de l’implicite culturel partagé par la même communauté linguistique. C’est donc, une valeur adjointe à la valeur significative d’un mot et qui est « presque toujours absente dans les dictionnaires, censés refléter la signification complète d’une unité lexicale. »1. Mais, il faut admettre qu’en lexicographie, il est difficile de fonder des recherches sur des corpus de manière à relever les fréquences d’emploi des mots qui créent de nouveaux effets par rapport à l’usage courant de ces mots.

Cela est pour une simple raison ; c’est que le lexicographe et/ou le dictionnariste est, tout simplement, paralysé par cette objectivité, l’empêchant de cerner les critères d’enregistrement des emplois des mots définis dans un dictionnaire. En effet ; l’auteur du dictionnaire craint associer, à la définition sémantique présentée par le dictionnaire, l’enregistrement encadré par la définition lexiculturelle ; celle-ci pourrait ne pas être perçue de la même conception par tous les utilisateurs du dictionnaire. Alors, il faut tout un travail à établir, et peut être même à rétablir, avant d’offrir le « prêt à utiliser »2 au locuteur.