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DEUXIEME PARTIE

4. Normes linguistiques Vs normes sociales

5.2. Le français en usage

5.2.1. Le normal et le normatif

« Aucune langue n’échappe à ceux qui l’utilisent »1, car le système de communication ne pourrait fonctionner si la relation langue/ son utilisateur est condamnée par l’isolement. En effet ; la description systématique du discours, l’observation d’un « objet » phonique ou graphique puis l’analyse et ainsi le classement des éléments de ce discours sont des actions qui mènent à établir un modèle abstrait de « relations et de lois, élude les conditions préalables de l’activité de langage. »2.

Cependant, le principe des linguistiques descriptives (distributionnelles et fonctionnelles) n’implique-t-il pas ces conditions préalables ? Étant donné que ces dernières sont mises en évidence par les différentes variations autorisées par tout système de communication, ou même en prenant en considération l’existence d’« un discours sur la langue », ainsi que l’effet de l’action psychologique et sociale sur la communication.

C’est pourquoi, d’ailleurs, il est nécessaire, avant toute tentative de définition de norme, de mettre l’accent sur la conception de deux termes primordiaux : l’un est issu de l’observation ainsi que de la description et l’autre provient de l’accomplissement d’un système de valeurs. Autrement dit ; « l’un correspond à une situation objective et statistique, l’autre à un faisceau d’intentions subjectives »3. Néanmoins, le même mot est utilisé pour désigner les deux conceptions ; on l’utilise parfois pour désigner l’idée de moyenne, de fréquence ainsi que de tendance d’utilisation, mais parfois pour manifester la conformité à une règle déterminée, à un jugement de valeurs ou même, à une finalité assignée.

La distinction, en réalité, entre ces deux notions n’est pas aussi évidente, dans la mesure où en morphologie française on présente catégoriquement une opposition sémantique vis-à-vis des adjectifs « normal et normatif », contrairement au lexique qui rejoint cette

1 REY A., Usages, jugements et prescriptions linguistiques, in : Langue française n°16, 1972, pp. 4-28.

2 Ibid.

3 Ibid.

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ambiguïté de distinction à la polysémie analogue des « loi et règle ». En observant les faits entre le normal et le normatif, on pourrait déduire que d’une part, si l’on entend par normatif

« Un idéal défini par des jugements de valeur et par la présence d’un élément de réflexion consciente de la part des gens concernés, le normal peut être défini au sens mathématique de fréquence réelle de comportements observés. D’autre part, le normatif et le normal sont des notions relatives dont les champs d’application sont définis par les confins du groupe social dans lesquels ils se manifestent »1.

De ce fait, nous concluons que les notions de « normal » et de « normatif » dépendent de l’état d’homogénéité de la société. Car, si celle-ci n’est pas homogène (au niveau de sa structuration globale) et si des conflits sociaux émergent, le normatif et le normal auront des conceptions variablement attribués par chacun des groupes d’individus constituant la société.

De plus, vis-à-vis de l’obéissance ou la désobéissance par rapport au normatif conventionné, chaque groupe réagit selon ses propres conditions qui relèvent de différents ordres extralinguistiques.

5.2.2. L’usage et la norme

On peut définir l’usage en tant que « la façon dans laquelle les membres d’une communauté langagière utilisent leur langue maternelle »2. En réalité, cette conception attribuée à la notion d’usage ne peut être concrétisée dans les réalisations des individus, étant donné que ces derniers manifestent un nombre infiniment variable d’ « usage ». Autrement dit ; la définition citée ci-dessus ne reflète qu’un groupe de membres appartenant à une même communauté linguistique et stationné dans une zone géographique bien déterminée.

Nous pouvons ainsi exemplifier, et également justifier, cette désignation variable de l’usage par la langue qui continue, en permanence, de s’actualiser ainsi que de se renouveler quotidiennement à travers le discours. C’est pourquoi, « l’entreprise du grammairien »3 est problématique car, elle ne peut porter des généralisations sur les usages infiniment variables.

De plus, lequel, parmi tous ces usages, on décide de sélectionner comme modèle ?

1 BEDARD Edith et MAURAIS Jacques, La norme linguistique, Op. Cit.

2 LOPEZ Javier Suso, Norme et bon usage au XVIII siècle en France, in : La linguistica francesa gramática, historia, epistemología, université de Granada, 1996, pp.175-188.

3 Le mot grammaire est utilisé pour le sens de « description de la morphologie et de la syntaxe d’une langue naturelle », selon la même source.

99 5.2.2.1. La norme du bon usage

Avant d’aborder l’idée de la norme du bon usage, nous devons mettre l’accent sur la conception de la notion de « bon usage ». Cette dernière est souvent perçue « comme un ensemble de prescriptions normatives correspondant à un certain modèle socioculturel. Le passage de l’ « usage » au « bon usage » semble impliquer une transition d’un modèle descriptif à un modèle prescriptif, de la norme objective fondée sur l’usage statistiquement dominant à la norme prescriptive, du normal au normatif. »1.

Néanmoins, cette pubescence par rapport au « bon usage » subira une extension où il s’agira d’intégrer « sur le plan diachronique les archaïsmes et les néologismes et sur le plan synchronique une vaste gamme d’usages dont les régionaux et les registres socioprofessionnels »2. Au XXème siècle, également, la formule du « bon usage » est maintenue, mais adaptée à l’époque moderne, sous la connotation du « consentement des bons écrivains et des gens qui ont souci de bien s’exprimer »3.

À partir des définitions citées ci-dessus, nous pouvons, clairement, repérer que le

« bon usage » est restrictivement sélectionné dans « la production écrite du genre sérieux », exposé par les « honnêtes hommes » ainsi que destiné à « un public instruit ». Cependant, on remet en question ce « prescriptivisme » qui n’accepte qu’une seule bonne forme ; c’est à dire que s’il y a lieu de deux formes possibles, on exclut automatiquement l’une des deux et on la considère comme étant « usage pluriel et instable »4.

Contrairement à ce qui a précédé, Grevisse montre, dans son le bon usage (transformé par André Goosse), qu’« il n’y a pas un bon français dont les limites sont tracées au cordeau, bien parler, c’est savoir s’adapter aux circonstances »5. Autrement dit ; le « bon usage » dépend du contexte sociohistorique de l’époque durant laquelle on produit. C’est pourquoi, l’idée de la norme du bon usage provient du souci de parvenir à confectionner un ouvrage modèle, qui pourrait regrouper la « bonne et correcte » utilisation de la langue, auquel chaque locuteur aura la possibilité de se référer.

1 WENDY Ayres-Bennett, MAGALI Seijido (Dir), Bon usage et variation sociolinguistique Perspectives diachroniques et traditions nationales, Ed. ENS, Vol. 1, 2013, p.7.

2 Ibid. p. 10.

3GREVISSE Maurice, Problèmes de langage, Vol. 1, Gembloux, Paris, 1961, p6.

4WENDY Ayres-Bennett, MAGALI Seijido (Dir), Bon usage et variation sociolinguistique Perspectives diachroniques et traditions nationales, p.10, Op. Cit.

5 Ibid. p. 15.

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D’abord, les réformateurs du XVIème siècle, exerçaient, sur la notion d’usage, le principe de restriction : on n’inclut dans cet usage que « les mots qui sont dans le commerce ordinaire des gens »1. Cependant, cette limitation de la langue a subi de sérieuses critiques.

En effet ; les grammairiens du XVIIème siècle, et contrairement à leurs précédents, ont refusé catégoriquement d’avoir fixé la langue française et ont soutenu « l’évolution et le changement de la langue comme un fait auquel on ne peut s’opposer »2 et face auquel on n’y peut rien.

Malgré que les réformateurs aient conçu paradoxalement la notion d’usage, ils ont manifesté un accord vis-à-vis de la qualité de ce dernier. C'est-à-dire que le critère sur lequel il faut s’appuyer afin de sélectionner le bon usage n’est pas celui de la fréquence (usage employé par la majorité des gens) mais, c’est celui de la qualité (usage qui émerge la beauté du discours). La norme du bon usage donc, doit se baser sur la recherche d’un usage bien purifié et non pas sur la description de celui répandu au sein des locuteurs. En reformulant, nous pouvons résumer que la norme du bon usage est exemplifiée par : « la coutume de ceux qui parlent bien est la règle de ceux qui veulent parler »3.

5.2.2.2. du bun usage de la norme

Nous avons souligné, dans le point précédent, la délicatesse de décider sur un usage qui serait qualifié de « bon » et ainsi, couronné comme modèle à suivre par tous. Il s’agira, dans ce point alors, de la norme sélectionnée ainsi que de la méthode de conviction appliquée afin de l’intégrer au sein de la société. En réalité, on a énoncé de multiples critiques à propos de cette notion de norme qu’on juge qu’elle n’est pas objectivement sélectionnée. En effet ; les réformateurs, souvent, ne justifient pas leurs choix et par conséquence, laissent dire qu’on

« doit se fier à l’intuition du grammairien, qui s’apparente alors à ses caprices quant à ce qui est bien »4.

De ce fait, nous déduisons que l’application de la norme, dans certains cas, s’appuie sur « une impression subjective ». C’est pourquoi, « le bon usage peut différer d’un censeur à l’autre, c’est une notion peu précise, qui a varié avec les siècles et sur laquelle les gens qui décident, même les philologues grammairiens d’aujourd’hui, ne s’expliquent guère ».5 Cette subjectivité de choix de norme nous suscite à poser maintes questions à propos de

1 LOPEZ Javier Suso, Norme et bon usage au XVIII siècle en France, Op. cit.

2 Ibid.

3Ibid.

4 Le bon usage, in : theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.1998.jserme&part=4417, [en ligne.]

5 Ibid.

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l’acceptation, mais en parallèle du refus d’une forme par rapport à d’autres. Autrement dit ; par quoi peut-on justifier la sélection de l’inventaire de mots qu’on liste dans les ouvrages qui se proposent en tant que normatifs.

Ainsi, nous attirons l’attention sur les critères de catégorisation faite entre les mots qui appartiennent au bon ou au mauvais usage. Dans ce sens, A.-M. Vurpas témoigne qu’« on est d’abord frappé par le caractère composite de cette liste où figurent à la fois des mots français et des mots régionaux, voire des mots patois. Sans doute leur dénominateur commun réside-t-il dans le fait que, pour l’oreréside-t-ille d’un puriste du XVIIIe siècle, réside-t-ils n’appartenaient pas au bel usage. »1. Ce témoignage évoque d’avantage l’idée que la décision du bon usage se fait subjectivement parce qu’en réalité, « il n’y a pas de règles déterminées et qu’il ne dépend que du consentement d’un certain nombre de gens polis, dont les oreilles sont accoutumées à certaines façons de parler et à les habituer à d’autres »2. Finalement, la norme, qu’on nous prescrit, n’est qu’une question de préférence ainsi que de goût de certains réformateurs alors, pourquoi nous l’avoir imposée en tant que règle ?