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Problèmes et conflits de la « lexicographie culturelle » 2

Traitement lexicographique et représentation idéologique

1. Description lexicographique et idéologie

1.5. Problèmes et conflits de la « lexicographie culturelle » 2

Le travail dans le domaine lexicographique est d’une nature plus ou moins compliquée, s’agissant surtout de « grands dictionnaires ». Nous pouvons dès lors, synthétiser que les problèmes et les conflits lexicographiques tournent, principalement, autour de la complexité de l’objet même à décrire (la langue) et ainsi, de l’insuffisance des dichotomies de méthodes à vouloir appliquer. En abordant le thème des problèmes et conflits lexicographiques, Alain REY et Simone DELESALLE ont énuméré cinq difficultés majeures qui, selon eux, trahissent cinq oppositions. Nous les présentons dans les cinq points suivants.

1.5.1. Description fonctionnelle et description des évolutions

Dans le but d’aboutir à la description d’un lexique, qui serait appréhendé à travers les divers fragments de discours agencés sur l’axe du temps, la lexicographie a adopté trois modèles de procédures. Le premier modèle manifeste une « panchronie relative » ; celle-ci est illustrée par Littré dans son dictionnaire qu’il intitule « historique » et dans lequel il expose, pratiquement, pour chaque entrée, deux répartitions distinctives d’exemples. Le second type de procédure est exécuté dans les « grands dictionnaires historiques des langues germaniques, à commencer par l’Oxford, qui enregistrent tous les items lexicaux que la philologie extrait d'un stock d'énoncés, et les traitent de manière homogène, en « descendant

» de la première date d'attestation à la période la plus récente. »3.

1 Ibid.

2 REY Alain et DELESALLE Simone, Problèmes et conflits lexicographiques, in: Langue française, n°43, 1979. p. 12.

3 Ibid.

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Cette forme de présentation nous permet d’obtenir par conséquence, une organisation chronologique de l'information pour chaque unité. En dernier, nous retrouvons la troisième procédure ; elle caractérise les dictionnaires plus récents ; tels que le Robert ou le Grand Larousse. Ce procédé est mis entre les deux premiers ; c'est-à-dire qu’on cherche à échapper à la « panchronie » (du premier type) tout en désirant mentionner des informations d’ordre historique (concernant des états de langue disparus). On signale alors le contenu par des marques comme : « vx, vieilli (Robert) ou class, (classique) qui implique une visée plus explicitement didactique (GLLF). »1. A partir de ces trois formes citées, nous signalons que leur distinction révèle en réalité une opposition, cachée, entre « fonctionnalité — compatibilité des valeurs dans un modèle empirique de communication — et non-fonctionnalité. ».

1.5.2. Compétence lexicale, variations sociales ou connotations ? problèmes de description

Il s’agit, dans ce point, de la question de compatibilité au sein du système produisant des discours dans un même usage. Néanmoins, l’aspect chronologique n’est pas le seul critère selon lequel varie l’usage, car il est variable aussi selon des critères géographiques (dialectes), sociaux (sociolectes), etc. « Or, les grands dictionnaires donnent tous de nombreuses informations à propos d'usages multiples et souvent incompatibles; ils y ajoutent des informations explicitement extra-fonctionnelles : données étymologiques, jugements de valeur métalinguistiques. »2. Ainsi, le conflit est entre l’objectif et les méthodes. L’objectif consiste à présenter une description des compétences lexicales qui seraient adéquates à l’ensemble de productions « virtuellement » homogènes. En d’autres termes ; l’objectif visé est d’aboutir à une possibilité de compréhension englobant l’ensemble de discours hétérogènes et, en même temps, correspondant à une compétence de base « hypothétique et non moins fictive ».

De ce fait, et afin de pouvoir réussir une telle adéquation, élaborer un modèle culturel et idéologique s’avère nécessaire. Ceux-ci sont renforcés par un modèle « normatif » ; il se manifeste, au niveau de la nomenclature, par des jugements, des sélections et des exclusions.

Cette idée est concrétisée, dans la pratique lexicographique, par les dictionnaires « sans corpus limitatif (Littré, Robert, GLLF) » qui exposent maints exemples ; du type observé ou forgé. Mais, pour d’autres dictionnaires, en particulier « Le T.L.F. », on exemplifie à travers un corpus fermé, pourtant l’exploitation d’un tel corpus « lors de l’élaboration des articles

1 Ibid. p. 13.

2 Ibid. p. 14.

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pose de redoutables problèmes »1. Etant donné que d’une part, l’exemple présenté est censé refléter l’usage hypothétiquement unifié et d’une autre part, il manifeste également un usage socialement diversifié.

1.5.3. Utilisation philologique d’un corpus ou construction d’un modèle linguistique On confondait, dans une période passée, entre la philologie et la linguistique. Cette dernière fournissait des efforts pour s’en distancier mais, le conflit entre les deux persistait.

De ce fait, la philologie finit par figurer comme « un instrument de la linguistique historique ou de l'histoire. Et c'est ainsi que figure le principe philologique qui gouverne la lexicographie historique conçue au XIXème siècle, et ses prolongements plus ou moins saussurianisés. »2. En fait, en voulant décrire un lexique fonctionnel en synchronie, les rédacteurs de dictionnaires ne peuvent se passer de la base empirique de ce lexique, ni d’ailleurs de l’objectif (explicité dans le point précédent) de présenter une compétence hypothétique, productrice de discours virtuels, de nombre illimité.

A partir de cet angle de réflexion, la lexicographie et en faisant référence à la philologie ; toutes les deux s’appuient sur les faits de discours observés. Ainsi, « le dictionnaire « philologique » prétend donc construire un modèle linguistique à partir de la pure observation, un modèle empirico-inductif. »3. Toutefois, un tel modèle « prétendu » a besoin d’être exemplifié par le biais d’un corpus qui pourrait fidèlement le concrétiser. Pour se faire, il faut que ce corpus soit symbolisé par un échantillon qui serait très vaste car, il doit représenter pratiquement toute forme de discours produit, évidemment, selon la norme du système : puisqu’on exclue les différentes productions de discours observables n’étant pas conforme au système ; tels que les discours de jeunes enfants, apprenants débutants, immigrés récents, etc.

En réalité,

« il est exclu de pouvoir décrire la totalité des variantes appartenant au même système, à la même langue, quelle que soit la restriction apportée (du type « français moderne »). […]

surtout, la linguistique est par nature incapable de fournir les critères d'une telle typologie, puisqu'elle construit un modèle de la « langue », et ni la sociologie ni la sémiotique ne sont encore en mesure de le faire. Sans évoquer plus avant ce problème, on

1 Ibid.

2 Ibid. p. 15.

3 Ibid. p. 16.

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remarquera que tous les dictionnaires à dominante philologique (Oxford, Littré, T.L.F.) recourent à une conception très restrictive et normative des « discours pris en compte », rejetant dans la non-pertinence la majorité des faits de discours observables. »1

1.5.4. Analyse du signe en fonction de conditions d’emploi ou par neutralisation de langue

En évoquant cette opposition, il ne serait pas inutile de rappeler que l’objet primordial du dictionnaire est de fournir le plus d’informations possibles à travers l’analyse sémantique de l’unité lexicale. C’est pourquoi, nous retrouvons, au sein de l’article dictionnairique, un enchainement organisé de renseignements encadrant la définition consacrée à l’entrée. La question qui se pose dans ce cas, est que lors du traitement des unités lexicales (formant le lexique et les vocabulaires d’une langue), sur quelle sémantique s’appuie-t-on ? Sur la

« sémantique extensionnelle » ; s’agissant de la classification des types d’occurrences, des distributions, des fonctions. Sur la « Sémantique intensionnelle » ; par rapport à l’article du dictionnaire : lors du traitement par des unités différentielles (sèmes). Sur la « Sémantique de l'unité lexicale » ; par rapport à l’analyse des verbes et des adjectifs qui sont relatifs à l’analyse du syntagme. Sur la « Sémantique dénotative » ; celle-ci dépend en grande partie des différentes connotations manifestées par les faits de discours présentés.

Le sens ainsi, largement conçu de la sémantique, résulte des effets de l’usage et du discours ; en effet, les « actes de parole sont interindividuels, socialisés et idéologisés. Les usages qu'ils servent à construire sont appelés à entrer en conflit, et la norme sociale en matière de langage représente la résolution, toujours provisoire, de ces conflits. »2. L’intervention de la norme sociale dépasse l’aspect sémantique des unités ainsi que ses diverses connotations car, elle atteint même « le fonctionnement le plus général » de ces unités. A ce niveau, le dictionnaire ne dispose pas de moyens suffisants pour un tel apport, à titre d’exemple : « des marques du genre péjor., distribuées de manière incertaine hors de, et dans la définition ». Alors que, la norme sociale pourrait être décisive à propos de l’utilisation des mots dans les différentes situations de communication ; « un adjectif comme méchant en 1979, ne s'applique normalement aux humains que dans un type de discours spécifique

1 Ibid.

2 Ibid. p. 21.

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(communication entre adultes et enfants, ou entre enfants, surtout dans la classe bourgeoise);

hors de ces situations, l'usage du mot implique un effet rhétorique. »1. 1.5.5. Analyse des signes et description des notions

Parmi les ambigüités et les conflits signalés dans le domaine de la lexicographie, la distinction opposant le « dictionnaire de langue » et le « dictionnaire encyclopédique ». Nous visons, plus précisément dans ce point, l’objet d’étude de chacun de ces deux types de dictionnaires ; « les signes (pour le premier) et leurs visées dans le monde (pour le second) ».

En réalité, par rapport aux objectifs lexicographiques, on révèle d’autres différences au niveau de ces deux dictionnaires. En effet : pour le dictionnaire de langue, on retrouve des définitions constituées de syntagmes « brefs » correspondant à des « traits minimaux du sémème ». En outre, on ajoute d’autres traits de pertinence « culturelle ». Mais, pour les dictionnaires encyclopédiques, les syntagmes sont plus ou moins longs, contenant des accumulations didactiques de caractères propres.

Par ailleurs, les éléments distinctifs de ces deux dictionnaires ne les rendent pas autant séparés car, « tout dictionnaire de langue possède de tels aspects encyclopédiques (ex. : « houblon n.m. Plante grimpante cultivée dans l'Est et dans le Nord de la France, et dont les fleurs sont utilisées pour donner son arôme à la bière »). [D.F.C.] : les traits pertinents, qui distingueraient le houblon des autres plantes grimpantes ne sont pas dégagés botaniquement;

ils sont, très consciemment, remplacés par des traits non minimaux, comme la zone de culture (curieusement, en France seulement) et la finalité industrielle : ce dernier contenu, indispensable culturellement, ferait l'objet d'un exemple, dans un « pur dictionnaire de langue

»2. Par un tel exemple, et d’autres exemples également, Alain Rey et Simone Delesalle confirment qu’une présence de traits encyclopédiques au sein des définitions proposées par les grands dictionnaires de langue, devient évidente et absolument indispensable.

Qu’il s’agisse de définitions de signes ou de notions, les deux approches de traitement sont en fait, complémentaires. C'est-à-dire que le « mot thématique » désignant l’objet est lui-même l’unité « définissable ». C’est pourquoi, il est normal de confondre la définition de signe en fonction (lexicographique) et la description de notion (de concept) concernant la même unité. Quoi qu’on pourrait rencontrer des conflits qui opposeraient l’unité par rapport à l'acceptabilité linguistique, ainsi qu’à la valeur de vérité d'un emploi.

1 Ibid.

2 Ibid. p. 23.

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