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CHAPITRE IV : Du diagnostic au temps des traitements

2. Les inégalités dans le processus d’annonce

2.1. Une relation asymétrique de la confiance à la défiance

Quelque soit la façon dont le patient a reçu l’annonce du cancer « annonce brutale » « sèche » ou en « consultation dans des conditions adéquates », au moment où le cancer s’impose sur la scène, c’est comme si cet élément extérieur venait constituer une menace mortelle étrangère au moi du patient quelque soit la catégorie sociale. Les réactions face à cette annonce sont très variables et dépendent donc de multiples facteurs liés à l’individu lui-même, à son environnement, mais également –et surtout – à la confiance qu’il accorde au médecin qui a communiqué les informations du diagnostic. La confiance fait partie « de ces sentiments psychosociaux […] et occupe une place centrale, bien que non réfléchie dans les relations sociales ; car sans elle, la société aurait de grandes chances de se disloquer » (Watier, 1996, p. 174).

La confiance a été très souvent abordée par nos enquêtés lors des entretiens, pour une catégorie de patients la confiance au médecin est considérée comme « le premier pas » vers la guérison, puisque le médecin détient le savoir médical. Simmel définit ainsi la confiance comme « un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir » (Simmel, 1999 [1908], p. 381). Pour une deuxième catégorie la confiance n’est pas attribuée facilement, les soignés s’autorisent à douter et à questionner une médecine dont on sait qu’elle n’est pas infaillible, en plus dans un système de santé caractérisé par un « dysfonctionnement ».

Pour éclairer cette question de confiance, (Petitat, 1998) a mis à jour deux types de confiance : la « confiance-attachement » et la « confiance interprétation ». La « confiance-attachement » implique la remise de soi, il s’agit d’une confiance tranquille qui reconnaît l’asymétrie des savoirs. La « confiance interprétation » fait, au contraire, appel « à toutes les facultés interprétatives et à toutes les informations recueillies sur le partenaire » (ibid., p. 207).

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2.1.1 « Confiance-interprétation » et « confiance-attachement » selon de la position sociale

Durant les entretiens, nous avons demandé aux patients s’ils avaient envisagé de demander un second avis, une fois que le diagnostic avait été établi. Les patients oscillent entre délégation, autonomie et critique, voire mise à l’épreuve de l’expertise médicale » (Pennec, 2014, p. 10).

Les soignés qui s’inscrivent dans « Confiance-interprétation » sont issus des classes moyennes et supérieures dotées d’un certain niveau d’instruction plus au moins élevé. Ces soignés perçoivent le jugement médical comme infaillible, ici il semble difficilement envisageable qu’un médecin ne puisse pas se tromper. La plupart de ces soignés considèrent accepte qu’un médecin puisse être meilleur et plus compétent qu’un autre. Pour cette catégorie de soignés la notion de la confiance est fortement associée à celle d’incertitude et celle de risque. Ils considèrent que l’erreur médicale est un risque potentiel à éviter : Abdou témoigne :

« Une fois que j’ai su mon diagnostic, la première des choses j’ai refait mon IRM, et remis le résultat à un professeur qui exerce dans l’hôpital » (Entretien, Abdou, avril, 2016).

Il apparaît qu’Abdou a conscience des risques associés à la confiance. Il considère qu’un médecin n’est pas infaillible, et qu’il peut se tromper, comme il le souligne : « Moi je pense toujours qu’un médecin peut se tromper, la médecine n’est pas une science exacte » » (Entretien, Abdou, avril, 2016).

Pour Abdou, il est important de remettre le diagnostic du médecin en question, et de « réagir ». Autrement dit, être acteur dans la relation de soin et de conserver des marges de manœuvre. L’idée à laquelle adhère également Aicha dont nous avons présenté la trajectoire diagnostique précédemment et qui, si elle a fait confiance à son médecin, elle n’a pas hésité à contester son diagnostic et à insister pour qu’il le révise à différentes reprises. Elle a, par ailleurs, consulté différents spécialistes afin

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Ce que nous venons de présenter, renvoie à la « confiance-interprétation », concernant la plupart du temps les soignés, les plus dotés qui appartiennent aux catégories supérieures et aux classes moyennes. Cette attitude ne permet donc pas de décrire tous les modes de relation que nous avons pu observer. Certains soignés font preuve d’une attitude différente qui fait davantage écho à la « confiance-attachement », décrite par Petitat (Petitat, 1998). Cette forme de confiance renvoie à la remise de soi et à une reconnaissance de l’asymétrie des savoirs. Cette forme de confiance s’observe dans la trajectoire de Fatima que nous avons présenté. Fatima a perdu du temps dans sa trajectoire diagnostique, car elle a fait confiance à l’interprétation initiale de son médecin pour qui sa symptomatologie n’était pas inquiétante. Confiance qui reposait sur ses compétences professionnelles. La posture de Fatima se retrouve chez, Saliha qui nous explique, lorsque nous lui demandons si elle a envisagé de demander un deuxième avis :

« Je n’ai pas trop demandé une fois le diagnostic révélé. Tous les médecins ont le même diplôme et donc les mêmes compétences, en plus j’ai des antécédents familiaux ce qui fait que dès le début je savais que j’ai un cancer » (entretien, Saliha, janvier, 2016).

Ce constat d’une attitude de délégation et de « confiance-attachement », caractéristique des membres des classes populaires, spécialement au contexte de la pathologie cancéreuse. Freidson remarquait en effet que l’on se remet d’autant plus facilement à l’avis médical que l’on souffre d’une maladie grave (Freidson, 1984). Par ailleurs, cette confiance n’est pas figée : elle « n’est pas assurée de durer » (Cresson, 2000, p. 337) et peut-être remise en cause dans le cas de la récidive. La récidive diminue souvent le niveau de confiance du soigné vis-à-vis de la médecine

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et de ses représentants. Anne Cécile Bégot retrouve ainsi chez certaines de ses enquêtés récidivistes une « confiance ébranlée » (Bégot, 2010, p111).

Des résultats similaires ont été tirés par Monique Membrado (2014) qui a étudié l’interaction médecin-patient dans le cadre de la médecine générale. Elle remarquait que certains patients font preuve, dans leurs relations au médecin, d’une « confiance- attachement », une confiance « tranquille » qui reconnaît l’asymétrie des savoirs, tandis que d’autres témoignent d’une « confiance-interprétation » qui renvoie à une appréciation des risques dans l’échange (Membrado, 2014, p. 56). Pour l’auteure, les patients qui font preuve d’une « confiance-interprétation » sont davantage autonomes dans la gestion de leur santé, ont des ressources plus importantes et apparaissent plus critiques sur les compétences cliniques. Ils manifestent par ailleurs un « rapport éclairé » à leur santé. À l’inverse, les soignés qui s’inscrivent dans une « confiance-attachement » ne manifesteraient pas la même attitude active de gestion de leur santé et seraient généralement « moins critiques » et plus « confiants ».