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CHAPITRE II : Sociologie du cancer et inégalités sociales

5. Fléchissement des inégalités sociales du champ de la sociologie

6.2. Quelques données épidémiologiques du cancer en Algérie

L’augmentation de l’incidence de cette maladie qui est passée de 80 nouveaux cas pour 100.000 habitants en 1990 à plus de 130 nouveaux cas pour 100.000 habitants en 2010 est significative et il est prévisible qu’elle progresse et qu’elle atteigne rapidement 50.000 cas par an (Figure 01).

Source : Plan de cancer (2015-2019)

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L’enquête nationale réalisée en 2004 par l’Institut National de Santé publique (INSP) sur l’incidence et la prévalence des cancers sur la base des 31 000 cas de cancers enregistrés en 2002 relevait que seul un 1/3 des cancers était diagnostiqué à un stade précoce, les 2/3 restants l’étant à des stades invasifs et métastatiques.

En Algérie, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. Avec 6625 nouveaux cas diagnostiqués en 2012 (Terki, 2015) il représente 40 % de l’incidence des cancers chez la femme et se positionne devant le cancer du côlon-rectum du col de l’utérus, du poumon, du colorectal, de la glande thyroïde et de la prostate. Les données du registre d’Alger illustrent bien cette augmentation réelle et régulière. En effet, l’incidence est passée de 14,5 nouveaux cas pour 105 habitants en 1993 à 70,2 pour 105 en 201238.

38Registre du cancer d’Alger. 2012.

Figue 02 : Les formes de cancers les plus fréquents chez la femme en Algérie. Année 2010

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Ce cancer constitue la première cause de mortalité féminine. Les données sont insuffisantes pour estimer la mortalité par cancer du sein en Algérie. Selon les résultats de l’étude Concord (registre de cancer de Sétif), on estime à 3500 décès par an liés à la maladie et le taux de survie à 5 ans est de 39 % alors que dans les pays développés ce taux atteint les 90 %.

Le cancer du sein affecte de manière relativement importante la femme jeune. L’âge médian est à 47 ans selon les données du registre d’Alger de 2012. Les premiers cas de cancer du sein surviennent dès l’âge de 15 ans 39

. Cette caractéristique épidémiologique constitue une différence fondamentale avec le cancer du sein en occident où il survient vers 60 ans.

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Le cancer du sein présente une situation spécifique puisque les femmes ayant une

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situation sociale élevée ont à la fois les taux d’incidence les plus élevés et la meilleure survie. Pratiquement toutes les études publiées retrouvent ainsi un risque de décès augmenté de 30 à 50 % pour les classes sociales défavorisées (Vogel, 2010).

Le cancer du sein présente ainsi une situation spécifique qui le rend particulièrement intéressant en matière d’inégalités sociales. Il est l’un des rares à frapper le plus souvent les catégories supérieures, néanmoins se sont malgré tous les classes populaires qui en payent le plus « lourd tribut » (Aïach, 2004).

Chez l’homme les formes de cancer les plus fréquentes sont celles du poumon, du colorectum, de la vessie, de la prostate et de l’estomac. Ils constituent 52,5 % de tous les cancers masculins.

Le cancer du poumon à lui seul représente environ 15 % des cancers masculins. Ceci confirme et consolide les tendances depuis 2001 avec la prédominance, chez l’homme, des cancers liés au tabagisme (poumon - vessie), du cancer de la prostate qui connaît une augmentation rapide depuis le début des années 2000 et des cancers digestifs notamment colorectaux. L’élévation de l’incidence des cancers de la prostate se confirme. Il est, aujourd’hui, le 3ème cancer chez l’homme.

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Actuellement, l’âge moyen pour tous les cancers est de 54 ans. Cet âge est bas comparé à l’âge médian des cancers dans les pays développés (62 ans en moyenne). L’ascension de la courbe d’incidence s’amorce tôt, avant 40 ans puis évolue de manière exponentielle jusqu’à la fin de la vie. Dès l’âge de 60 ans, les taux d’incidence enregistrés en Algérie s’alignent sur ceux enregistrés dans les pays développés, particulièrement ceux d’Europe du Sud. Ceci se vérifie autant pour les hommes que pour les femmes.

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Les cancers des VADS présentent une situation tout aussi intéressante et radicalement contrastante40. Concernant cette localisation, la difficulté est celle de l’absence d’une définition standardisée, en particulier en ce qui concerne la cavité « buccale » ou « orale ». La définition des cancers relevant de la « cavité buccale » varie en fonction des études41. Par conséquent, il sera parfois question des cancers

40Ces cancers regroupent une grande diversité de tumeurs et de localisations. Ils touchent à la cavité

buccale, au pharynx, au larynx et aux cavités nasosinusiennes. Les cancers épidermoïdes du larynx, de l’hypopharynx, de la cavité buccale et de l’oropharynx

41 Différents termes sont rencontrés dans la littérature, notamment épidémiologique, tels que « oral cancer », « cancer of the oral cavity », « mouth cancer » et les sites inclus dans la définition des cas diffèrent d’un auteur à un autre (Radoi, 2013). Ainsi « la lèvre externe, certaines structures de l’oropharynx (amygdale,

piliers amygdaliens), voire l’oropharynx en entier, les glandes salivaires principales (parotides, submandibulaires et sublinguales) sont souvent incluses dans la définition des cas de cancer de la cavité orale ». Néanmoins, certaines études s’arrêtent « à une définition plus limitée des cancers de la cavité orale excluant les cancers des lèvres externes et des commissures buccales, les cancers de la langue, des amygdales linguales et du palais mou considérés comme appartenant à l’oropharynx » (Radoi, 2013, p.

22). Ce manque d’uniformité a deux explications. D’une part, la combinaison de sites permet d’éliminer l’incertitude portant parfois sur la localisation primaire de la tumeur - en effet, les cancers VADS étant souvent diagnostiqués tardivement il est courant que plusieurs sites anatomiques soient touchés, d’autre part cela permet d’augmenter le nombre de cas inclus et, par là même, la « puissance statistique » de l’étude. Néanmoins, cette façon de procéder pose problème car des cancers ayant des caractéristiques biologiques et épidémiologiques différentes sont regroupés ce qui contribue à masquer certaines de leurs spécificités (Radoi, 2013).

Figue 05 : Cancers Homme : Répartition de l’incidence par tranches d’âges (Incidence pour 100 000 – Année 2010

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des « VADS » (cavité buccale, pharynx, larynx et cavités naso-sinusiennes), des cancers de la « tête et du cou » (langue, cavité orale, oropharynx, nasopharynx, hypopharynx) et du larynx considéré séparément ou encore, parfois, des « cancers de la lèvre, de la cavité orale et du pharynx ».

Bien qu’il s’agisse du sixième type de cancer le plus fréquent, il reste largement méconnu du grand public et il est souvent diagnostiqué trop tard.

Les cancers des VADS sont, quant à eux, bien plus fréquents en termes d’incidence dans les classes populaires. S’il existe des disparités sociales face à l’incidence des cancers, ces derniers sont ceux pour lesquels le lien entre le statut socio-économique et l’incidence est le plus fort. Une étude a chiffré ce surplus d’incidence dans les catégories défavorisées à + 26 % pour les cancers « lèvres -bouche-pharynx » et +23,2 % pour les cancers du larynx chez l’homme, ainsi qu’à + 12,7 % pour les cancers « lèvres -bouche-pharynx » chez les femmes (Bryere & al., 2014).

Conclusion

Pour conclure ce chapitre consacré à la sociologie du cancer et inégalités sociales, nous rappelons que le cancer est longtemps resté un champ d’exploration fondamentale dominé par une perspective biomédicale, Benjamin Derbez et Zoé Rollin soulignent que : « le cancer apparaît encore communément comme un objet essentiellement biomédical, a priori étranger à l’analyse sociologique » (Derbez & Rollin, 2016, p. 3). Il fallait attendre les années 2000, pour qu’une évolution de la production des sciences sociales autour de l’thème cancer commence à s’observer. Cancer et recherches en sciences humaines, propose un premier essai de synthèse des travaux menés sur l’objet du cancer par les sciences humaines en 2008. Graduellement, un champ et un objet de recherche sociologiques se constituent autour

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de la pathologie cancéreuse et la sociologie de santé française rattrape son retard sur le monde anglo-saxon (Hubert, 2008 ; Ben Soussan, 2008). En Algérie Que ce soit dans le champ de la sociologie de la santé ou, plus spécifiquement, concernant la pathologie cancéreuse, les travaux portants sur les inégalités sociales restent marginaux, voire inexistants. Même dans les études épidémiologiques, l’aspect des inégalités face au cancer reste absent.

Les trois chapitres suivants seront consacrés à la présentation de nos résultats. Commençant par les inégalités au cœur du processus concernant le diagnostic.

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CHAPITRE III : Les inégalités au