• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I : Inégalités sociales de santé : État des lieux

3. État des lieux

3.2. Des disparités ou des inégalités de santé ?

Les inégalités sociales de santé symbolisent toutes les relations entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale. L’existence de différences sociales n’est pas en soi une condition suffisante pour que celles-ci soient définies comme des

43

inégalités. Pour les définir beaucoup de chercheurs se référant à la définition proposée par Margaret Whitehead. Celle-ci les conçoit comme des « différences systématiques, injustes et évitables, car socialement construites, faisant renvoi à la justice sociale », ce qui n’est pas le cas des notions de « différences », de « variabilité » ou de « disparités » qui, elles relèvent davantage du constat (Whitehead, 2007). Selon le sociologue Pierre Aïach, parler d’inégalité sociale exige que le principe de justice sociale soit remis en question. « Deux conditions doivent être réunies pour que l’on puisse parler d’inégalités sociales s’agissant de santé ou de tout autre objet. La première est qu’il doit s’agir d’un objet socialement valorisé : la vie par opposition à la mort, la santé et le sentiment de bien-être par opposition à la maladie, au handicap, à la souffrance physique et psychique. La deuxième est que cet objet socialement valorisé concerne des groupes sociaux hiérarchisés dans une position de dominants/dominé : classes sociales, et catégories socioprofessionnelles, les groupes différenciés en fonction du revenu, de la richesse, du patrimoine du niveau d’instruction ou encore de la position dont ils disposent dans la société peuvent être comparés sous l’angle des inégalités sociales de santé (Aïach, 2010, p.117). Descartes affirmait dans le Discours de la méthode (1637) que « la conservation de la santé [...] est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie » (Descartes, 1637 [1991], p.131). Encore, à la question « Qu’est-ce qui est pour vous le plus important pour être heureux ? », plus de 40 % des individus interrogés pensent spontanément à la santé. C’est la réponse la plus fréquente avant la famille, le « travail », l’« argent » et le « logement » (Baudelot, Gollac, 1997) (Cousteaux, 2011, p.35). La santé constitue : « le bien le plus précieux dans les pays riches puisqu’elle permet de jouir plus longuement de l’hédonisme consumériste qui caractérise l’Occident d’aujourd’hui en termes de civilisation » (Hours, 2003, p. 113).

Pour Pierre Aïach, les inégalités en matière de santé ne deviennent des disparités sociales que si elles respectent la hiérarchie entre les groupes sociaux. L’espérance de vie s’est extrêmement améliorée au cours du XXe siècle dans la majorité des pays développés. Les écarts en la matière entre les pays les plus riches et ceux les plus pauvres restent, néanmoins, immense. Si en Europe, l’espérance de vie est de 74 ans

44

pour les hommes et 81 ans pour les femmes, en Afrique elle ne s’élève qu’à 58 ans pour les hommes et à 62 ans pour les femmes. Pendant qu’un petit garçon né au Lesotho aura une espérance de vie moyenne de 43 ans, une petite fille née au Japon pourra espérer atteindre les 87 ans (Pison, 2015, p. 2 & 3). En France, cette espérance de vie s’élève à 79 ans pour les hommes et à 85 ans pour les femmes en 2015 (Blanpain, 2011).

Les différences sont principalement marquées en ce qui concerne les sexes et les catégories socioprofessionnelles (Drulhe, 1996). Si toutes les catégories sociales ont profité d’un progrès en la matière, les écarts entre cadres et ouvriers, hommes et femmes, se sont maintenus21.

Les inégalités sociales en matière de santé ont donc ceci de spécifique que les femmes y occupent une position plus favorable que les hommes, ce qui dans tous les autres domaines est loin d’être le cas. Ainsi, les ouvrières vivent, en moyenne, 1 année et demi de plus que les hommes cadres (Blanpain, 2011). Néanmoins, si les femmes ont une espérance de vie supérieure à celle des hommes, l’écart entre les sexes ne cesse de se réduire.

Quels que soient les indicateurs utilisés pour mesurer l’état de santé (maladies, santé perçue, risque de décès, handicap) ou la situation sociale (éducation, revenu, profession), les personnes relevant aux milieux les plus favorisés bénéficient d’un meilleur état de santé (Leclerc & al., 2000). Ces inégalités se mettent en forme avant même la naissance, dès la grossesse. On observe ainsi un taux de prématurité et de petit poids à la naissance plus important parmi les membres des classes populaires. Ces inégalités se retrouvent ensuite à tous les âges de la vie22 (Dress, 2015). Mortalité

21Les hommes cadres vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les ouvriers. Chez les femmes, les inégalités

sociales sont moins marquées, 3 années séparent les cadres et les ouvrières. Les femmes vivent par ailleurs plus longtemps que les hommes, quelle que soit leur catégorie sociale (Blanpain, 2011).

22Par exemple, les enfants d’ouvriers et ceux scolarisés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) ont un état de santé Bucco-dentaire plus mauvais et sont plus souvent en surcharge pondérale. La proportion d’enfants et d’adolescents obèses est ainsi, respectivement, en grande section de maternelle, de 4,5% (pour les ouvriers) contre 1,2% (pour les cadres), de 5,8% contre 0,8% en CM2 et de 5,5% contre 1,6% en classe de 3e (Dress, 2015).

45

et morbidité sont donc sujettes à des variations importantes en fonction du sexe, de la classe sociale, de l’âge ou encore du statut d’étranger. Cela témoigne de ce que les troubles de santé sont le produit d’une rencontre entre le corps humain et les divers éléments matériels et culturels produits par la société qui les entoure (Druhle, 1996). Selon l’OMS — montre qu’il est « devenu impossible d’ignorer que plus de soins n’équivalent pas nécessairement à une meilleure santé des populations, et que la solution aux inégalités sociales de santé dépasse les seules politiques de santé » (Quesnel-Vallée, 2007 b, p.1)

La maladie n’a pas uniquement des causes biologiques, mais est également socialement construite, ce fait est pourtant longtemps resté dans l’ombre. Les premiers constats sur les inégalités sociales ont été faits il y a plus d’un siècle, en Grande-Bretagne, où deux universitaires : John Graunt et William Petty ont initié la documentation et la surveillance des disparités sociales de santé (Cockerham, 2016, p.73). En France, l’étude des inégalités sociales de santé a été plus tardive et moins abondante. On peut toutefois citer les rapports de Louis René Villermé qui a montré que l’inégalité devant la mort dépendait de l’inégale répartition des richesses (dans les Annales d’hygiène publique en 1830) et que les manufacturiers, fabricants et négociants avaient une mortalité moins importante que les tisserands et les ouvriers6 (dans son Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie en 1840).