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CHAPITRE II : Sociologie du cancer et inégalités sociales

3. Les objets cachés de la sociologie du cancer

Si la sociologie du cancer a pris de l’ampleur, dans le domaine de recherche de la sociologie de la santé, certaines questions ont au contraire été modestement étudiées dans le contexte de la maladie cancéreuse. C’est le cas, comme l’ont montré Hélène Lecompte et Anne-Chantal Hardy, des enfants et de la thématique de la guérison qui avant leurs contributions avaient été peu étudiées (Lecompte, 2013 ; Hardy, 2013 ; Hardy, 2015). Les travaux qui portent sur le cancer s’intéressent davantage à l’oncologie adulte et à la période de la maladie.

De nombreuses recherches se sont attachées à étudier les catégories de population et la localisation cancéreuses, telles que l’expérience des femmes et des soignées atteintes d’un cancer du sein. Cependant, peu de travaux se sont intéressés par exemple à l’expérience des hommes, des personnes âgées ou des membres des classes populaires. Également, certaines localisations cancéreuses n’ont pas fait l’objet d’études spécifiques. C’est le cas, par exemple, des cancers des VADS (Le cancer des voies aérodigestives supérieures) et des thyroïdes qui présentent pourtant une situation singulière puisqu’ils se sont les plus grands contributeurs aux inégalités sociales face aux cancers.

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Enfin, notre thématique de recherche ne fait pas l’exception. Si les chercheurs sont peu intéressés aux inégalités sociales de la santé, il en est de même en ce qui concerne la pathologie cancéreuse. Les travaux sur les inégalités sociales face aux cancers sont extrêmement négligeables. Pourtant, il est aujourd’hui admis que de très fortes inégalités existent face à cette pathologie qui, d’ailleurs, joue un rôle majeur dans l’inégalité sociale face à la mort en Algérie, puisqu’elle en est la deuxième cause de décès, après les maladies cardio-vasculaires27.

Néanmoins la littérature sociologique consacrée à cet objet est relativement maigre. Pierre Aïach est l’un des pionniers sociologues français qui ont mené des recherches sur cette question dans le contexte de la région Nord–Pas-de-Calais. À partir des données fournies par l’Inserm et par l’Insee, il a mobilisé une approche chiffrée et son travail a donné lieu à la publication d’un rapport : Essai sur les inégalités sociales devant la mort dans la région Nord–Pas-de-Calais (2000) et d’un ouvrage collectif : Pourquoi ce lourd tribut payé au cancer ? Le cas exemplaire du Nord–Pas-de-Calais (2004). Cette publication propose une synthèse des données existantes sur la question. L’incidence et la mortalité par cancers sont les deux nouvelles données qui sont apparues sur cet ouvrage, il a posé les bases d’une thématique jusqu’alors inexplorée. Cet ouvrage a concouru à décrire les inégalités sociales face au cancer dans la région Nord–Pas-de-Calais et à comprendre le « surcroît » de cancers observé dans cette région.

Depuis, les recherches sociologiques traitant la thématique des inégalités sociales face au cancer n’ont été que trop peu poursuivies. On peut citer le travail d’Annie Thébaud-Mony qui a consacré sa carrière à l’étude des cancers professionnels. Ces cancers souffrent d’une faible visibilité et un déficit de connaissance et de reconnaissance, dans le champ de la santé et sont pour l’auteur, « un révélateur des processus de construction des inégalités sociales face au cancer » (ThébaudMony, 2004, p. 103). Pour elle réduire les inégalités sociales face au cancer qui concernent

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bien plus souvent des ouvriers que des cadres, consiste a l’éradication des risques cancérogènes.

Josette Brassart et Christophe Niewiadomski (2008) dans une approche « santé-précarité », ont exploré le temps d’un chapitre, les cancers des VADS (Le cancer des voies aérodigestives supérieures) dans les classes populaires du Valenciennois. Ils décrivent une « culture populaire » avec de fortes valeurs culturelles issues du monde du travail, « où l’on ne s’écoute guère » et où être malade, s’arrêter, « c’est être un fainéant ». Mais aussi un « fatalisme » face à la maladie et notamment, au cancer consécutif d’une « culture de la mort dans la force de l’âge ». Enfin, les auteurs soulignent une difficulté majeure d’accès aux structures de prévention et de soins pour cette population.

Enfin plus récemment, Yann Benoist (2016) s’est penché sur la pathologie cancéreuse et à ses conséquences chez les personnes sans domicile fixe. Il a montré que contradictoirement le cancer pouvait amener à une amélioration des conditions de vie des SDF (sans domicile fixe). La maladie leur permet, en effet, d’accéder à des avantages et à des droits dont ils étaient jusqu’alors privés. Elle leur permet, par exemple, dans certains cas, d’accéder à l’allocation adulte handicapée AAH et à de meilleures conditions d’hébergement. Néanmoins, cette amélioration est limitée dans le temps, du moment où la guérison entraînant la perte des avantages acquit. Ainsi, « l’amélioration paradoxale des conditions de vie » n’est pas sans effets sur les parcours thérapeutiques. Elle participe à orienter les comportements des personnes rencontrées qui, parfois, en arrivent à élaborer des stratégies « mortifères » qui, à moyen terme, risquent de mettre leur vie en danger. La guérison entraînant la perte des avantages acquit, certains soignés SDF font en sorte de « ne pas guérir ». Ainsi, l’auteur expose bien comment face à l’amélioration des conditions de vie le temps de la maladie, certains malades SDF choisissent des stratégies à risque. Il permet d’éclairer certaines situations de non-observance condamnées par les professionnels

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de la santé, qui stigmatisent ces patients qui « ne veulent pas se soigner » et ne font rien pour guérir.

Ce recensement partiel des études sociologiques qui se sont emparées de la thématique des inégalités sociales faces à la pathologie cancéreuse nous permettent de constater : si les inégalités sociales ont été peu considérées, les sociologues à s’être intéressés à l’expérience des soignés issus des classes populaires sont également très peu nombreux.