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CHAPITRE IV : Du diagnostic au temps des traitements

1. L’expérience entourant l’annonce d’un diagnostic de cancer

L’expérience liée à l’annonce d’un diagnostic du cancer représente pour plusieurs le début d’un parcours difficile qui perturbe le quotidien de la personne et de sa famille. Cet instant, fondateur dans une trajectoire de cancer, nous a été très fréquemment rapporté puisqu’il marque réellement, « l’entrée » dans la maladie ou, pour reprendre l’expression d’Évelyne Accad, le début de leur « voyage en cancer » (Accad, 2000). De plus, chaque situation d’annonce est unique, et son impact peut être influencé, entre autres, par le déroulement des évènements conduisant à la confirmation du diagnostic. Toutes les phases de la maladie sont des sources d’anxiété et de bouleversement personnel et social

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profond. Dans la période entourant l’annonce du diagnostic, les appréhensions liées à un cancer touchent davantage la perte de la santé, la douleur et la crainte de la mort.

Une étude phénoménologique d’origine américaine, celle de Tobin et Begley (2008), met en lumière chacune des phases du processus, entourant l’annonce du diagnostic de cancer. Cette étude avait pour but d’explorer l’expérience de recevoir un diagnostic de cancer. Les données ont été recueillies à l’aide d’une entrevue individuelle auprès de 10 personnes, dont sept femmes et trois hommes souffrant de cancers (sein, ovaire, côlon et poumon), âgés de 35 à 60 ans. Suite à leur analyse des données, Tobin et Begley (2008) on a distingué trois phases inter-reliées, au cours de cette période ;

La première phase, nommée « perturbation de l’univers quotidien », survient avant la confirmation du diagnostic. Elle est caractérisée par un sentiment d’incertitude, et d’errance qui perturbe le vécu au quotidien. Cette phase débute par l’étape du « Suspected-knowing », soit dès le moment où la personne doute qu’un problème de santé menace son intégrité. De plus, cette phase est régulièrement marquée par un enchaînement d’examens diagnostiques pour identifier la cause des symptômes.

Nos entretiens ont démontré que tout au long de cette période les personnes sont envahies par les sentiments d’angoisse et d’inquiétude et de peur. Amine69

, 37 ans, cancer du sang, nous explique l’état d’esprit dans lequel il était durant cette période ;

« Durant cette période, la détresse est souvent présente chez moi et ma famille. Il y a eu toujours une insatisfaction par rapport aux informations divulguées par les professionnels de la santé, concernant le diagnostic. Et ce malgré la mobilisation de nos ressources externes telle que la recherche active des renseignements reliés à ma maladie sur internet » (Entretien Amine, mai 2013).

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Cette phase prend fin avec la confirmation du diagnostic, à savoir le « Truth-knowing ». Elle est aussi associée par les personnes malades à un autre point déterminant considéré comme « l’avant », c’est-à-dire la vie précédant l’annonce du diagnostic et « l’après », soit la vie succédant au diagnostic (Bataille, 2003). L’aboutissement de cette phase leur permet de corroborer leur suspicion ou de confirmer leur doute auprès d’une autre personne.

La deuxième phase, intitulée « refaire surface dans le monde vécu », réfère à la période suivant la confirmation du diagnostic. Elle est associée à l’expérience existentielle de la vie après avoir reçu la mauvaise nouvelle et elle se caractérise par une impression de rupture, de vivre dans « l’après » plutôt que dans « l’avant » (Mebtoul, 2012). Cette idée Zohra l’exprime :

« Âpres l’annonce du diagnostic, je me levais chaque jour avec un scénario dramatique, ce qui va se passer dans les jours qui viennent, un certain nombre de questions sur cette période de “l’après” aussi bien sur le plan médical que psychologique, au niveau personnel, mais aussi professionnel. Souvent, c’est aussi le moment où on se retrouve seul » (Entretien Zohra, février 2014).

La troisième et dernière phase de la période entourant l’annonce du diagnostic tel qu’interprété par Tobin et Begley, s’avère être « l’incarnation au sein du monde réel », laquelle réfère au processus de déplacement et de consolidation à travers une trajectoire de savoir et d’acceptation. Selon ces auteurs, c’est une phase importante pour la personne atteinte durant cette période d’annonce, caractérisée par la reconnaissance de l’émergence du soi dans « le monde vécu » qui est en constante évolution. Pour cela, l’annonce peut être identifiée comme un « événement » au sens sociologique du terme, c’est-à-dire au sens où elle provoque une « rupture biographique » peu comparable à d’autres expériences » (Bury, 1982 ; Derbez & Rollin, 2016, p. 77).

L’annonce du cancer faite au malade est synonyme de rupture avec l’image intime d’un corps sain et avec l’idéal social sanitaire (Herzlich, 2000). Dès lors, il y a « un avant et un

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après l’annonce du cancer » (Bataille, 2003). Le corps malade s’émancipe du contrôle individuel et social pour être redéfini et réinventé.

Enfin, quelle que soit la catégorie sociale considérée, l’annonce d’un cancer constitue un véritable « choc »70 auquel il est difficile de faire face. Elle est, en effet, décrite comme « brutale », « traumatisante », « choquante ». Il s’agit d’un « verdict » qui prend de court et « tombe sur la tête » telle un couperet. Il nous semble que ce ressenti est le seul indicateur qui se repartie d’une manière homogène entre les différentes catégories sociales des soignés, bien qu’en 2014, l'Institut national du cancer (Inca) a publié un rapport basé sur 4 300 questionnaires de patients. Il révélait qu'en fonction de son âge, de son sexe ou de son niveau d'études, le ressenti n'était pas le même lors de l'annonce du cancer. Les gens les moins diplômés et disposants de faibles revenus avaient jugé le moment plus brutal. Pour des patients plus âgés, c'était moins violent que pour de plus jeunes malades. De même, hommes et femmes exprimaient leurs émotions différemment. Selon une étude britannique, les premiers auraient tendance à plus refouler leurs sentiments, comme s'ils répondaient à un stéréotype du genre (Inca, 2014).

Pour éclairer la mise en forme des inégalités sociales au sein du processus de l’annonce du diagnostic il convient donc de traiter de la relation médecin-patient. Relation asymétrique que de nombreux sociologues et anthropologues se sont attachés à étudier. Plus spécifiquement, nous nous pencherons, d’abord, sur la question « traiter différemment les soignés différents », puis, dans un second temps sur la question de la confiance qui y occupe une fonction centrale, nous traiterons des évolutions récentes du paradigme et les normes qui entourent cette relation.