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CHAPITRE V : L’après cancer entre rémission et guérison

1. Un changement de statut

Parler de la guérison en cancérologie, relève de l’obscur. Les états contingents qui succèdent un traitement anticancéreux ont été, pendant longtemps, « sinon

établies aux Etats-Unis, au Canada, ainsi qu’au Japon, au Brésil en Algérie et à Cuba. Coordonnée par Michel P. Coleman (London School of hygiene and tropical medicine) et John L. Young (Emory University, Atlanta), Concord constitue ainsi, de par son ampleur, une première.

Au total, l’analyse porte sur 1 983 040 cas de cancers colorectaux, du sein et de la prostate dont les diagnostics ont été portés entre 1990 et 1994. Les données sont issues de 101 registres du cancer dans 31 pays et correspondant à une population de près de 294 millions de personnes. Globalement, les taux de survie les plus élevés sont observés dans la population blanche d’Amérique du Nord, en Australie, au Japon et dans les pays de l’Europe occidentale. Les taux les plus bas sont ceux de l’Algérie, du Brésil et des pays de l’Europe centrale et orientale.

La France se situe en première et cinquième position pour le cancer colorectal (respectivement chez la femme et chez l’homme, avec 61,5% et 55,6%), en sixième position pour le cancer de la prostate (73%) et en septième position pour le cancer du sein (79,8%). Pour ces deux affections, les meilleurs taux de survie sont obtenus aux Etats-Unis (respectivement 91,9% et 83,9%). Le Japon arrive en tête pour le cancer colorectal masculin (61,1%). Pour sa part, la Suisse arrive en treizième position (76%) pour le cancer du sein, seule pathologie figurant pour ce pays, dans l’étude à partir des données fournies par différents registres : Bâle, Genève, Grisons-Glaris, St-Gall-Appenzell, Valais, aucune donnée n’ayant été fournie pour ce qui est du cancer colorectal et pour celui de la prostate.

Plus généralement, on trouve par ordre décroissant pour le cancer du sein : Etats-Unis, Canada, Suède, Japon, Australie, Finlande, France, Italie, Islande, Espagne, Pays-Bas, Norvège, Suisse, Allemagne, Autriche, Danemark, Malte, Portugal, Irlande du Nord, Ecosse, Angleterre, Irlande, Pays de Galles, Slovénie, Pologne, République tchèque, Estonie, Brésil, Slovaquie et Algérie. Le décrochage par rapport à la moyenne de l’ensemble commence ici avec le Danemark (73,6%) et s’achève avec l’Algérie (38,8%). Pour le cancer de la prostate, la hiérarchie est la suivante : Etats-Unis, Autriche, Canada, Australie, Allemagne, France, Islande, Pays-Bas, Suède, Italie, Norvège, Finlande, Irlande, Espagne, Estonie, Ecosse, Irlande du Nord, Angleterre, République tchèque, Japon, Brésil, Pays de Galles, Portugal, Slovaquie, Malte, Slovénie, Danemark, Pologne et Algérie. Le décrochage se fait ici à partir de la Norvège (63%) et s’achève avec l’Algérie (21,4%).

Enfin, pour le cancer colorectal masculin, toujours par ordre décroissant : Japon, Etats-Unis, Australie, France, Canada, Pays-Bas, Suède, Autriche, Espagne, Finlande, Norvège, Italie, Allemagne, Islande, Irlande du Nord, Brésil, Portugal, Irlande, Ecosse, Danemark, Angleterre, Pays de Galles, Estonie, Slovénie, Malte, Slovaquie, République tchèque et Algérie. Le décrochage débute avec le Brésil (47,3%) et s’achève, une fois encore, avec l’Algérie (22,5%).

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impenses du moins innommés » (Ménoret, 2010, p. 131). Le contexte d’une incertitude médicale formalisée grâce à l’élaboration de la classification TNM97

et le développement de nouveaux espoirs thérapeutiques a provoqué l’apparition de la notion de « rémission »98. Cette notion est devenue le « moyen de dire un indicible qu’il faut pourtant dire : l’incertitude pronostique inhérente à un diagnostic de cancer » (ibid., p. 135). C’est « une catégorie hétérogène » qui indique « des états bien différents » et « des étapes loin d’être stables ». Elle permet de signifier le caractère incertain du rétablissement (Ménoret, 1997, p. 239-240).

La fin de la maladie est investie de manière différente selon qu’on se place du point de vue du patient, de la médecine, de la santé publique ou encore de l’épidémiologie. Ce que guérir veut dire n’a en effet pas la même signification selon qu’on parle de rémission, de rétablissement, de réhabilitation, de convalescence, d’éradication ou encore d’élimination de la maladie. Déterminée par de nombreux facteurs et institutions (biologiques, sociaux, politiques, symboliques, etc.). En cancérologie les problèmes que soulève la guérison sont multiples. Ils relèvent notamment d’un brouillage des frontières dans l’opposition classique santé/maladie, car si le malade est déclaré guéri, il n’en est pas pour autant en « bonne santé » (Hardy, 2015). Bien souvent, l’après cancer est marqué par certains stigmates, tels qu’une colostomie, une trachéotomie ainsi que des effets secondaires (fatigue, douleurs, perte d’autonomie), ce qui rend difficile à attribuer une qualification au malade, puisqu’il est plus vraiment malade, mais pas vraiment guéri, se pose « la question de savoir dans quel monde évoluer : celui des

97Ce classement repose sur l’analyse de l’extension anatomique d’un cancer. Ce sont d’abord la taille de la tumeur (T), ensuite l’invasion ganglionnaire (N) et enfin la présence ou l’absence de métastases (M) qui l’organise (Ménoret, 2010, p. 132).

98 C’est une notion nouvelle due à la chronicisation de la maladie, qui se trouve entre deux pôles exclusifs : curable et incurable. Selon le dictionnaire, sur le site futura sciences, c’est la « régression du volume d’une tumeur accompagnée de la diminution des symptômes qu’elle provoque. Elle peut être complète ou partielle. Si la rémission est complète, elle s’apparente à une guérison mais il faudra attendre cinq ans sans rechute pour que le malade soit déclaré définitivement guéri ».

http://www.futura-sciences.com/magazines/sante/infos/dico/d/medecine-remission-2836/ consulté le 16 Octobre 2017

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portants, celui des malades ou encore celui des personnes handicapées ? » (Hardy, 2015, p. 22). Alors, finalement, que signifie guérir après un cancer ?

« La guérison n’est pas une qualification d’un état, mais un changement d’état, selon des temporalités et dans des espaces » (Hardy, 2015, p. 25).

D’ailleurs cette idée de processus s’observe dans les termes de « comeback » et de « recovery » mobilisés par les sociologues anglo-saxons pour désigner la phase en question (la rémission). À son tour, Marie Ménoret a utilisé ces termes pour parler de la phase de « comeback » ou de « rétablissement » pour évoquer conjointement « l’idée d’un retour vers un état de “mieux être” puis “d’aller bien” » (Ménoret, 1997, p. 372).

Cette période a été étudiée par Corbin et Strauss (1988), pointant la complexité et les formes multiples de cette phase. D’âpres ces auteurs le retour vers un état de « mieux-être » peut être complet ou partiel, simple ou complexe, voire encore rapide ou lent. S’il existe une diversité des formes d’aller mieux après le traitement d’un cancer, sans doute les caractéristiques sociales des soignés ne sont pas sans lien avec ces expériences. Donc il nous semble que les inégalités face à la pathologie cancéreuse ne se limitent pas à la fin des traitements, mais persistent au-delà. Pour le même type de cancer dans la même localisation, les populations défavorisées, les pronostics sont toujours moins bons (Herbert, 2004). Ces populations présentent, par ailleurs, plus souvent des lésions de stades avancés (Merletti & al., 2011). Pour conclure, faire face au processus de guérison, les soignés dépendent « des ressources dont chacun dispose » (Hardy, 2015, p. 26). Sachant que ces ressources ne sont pas équitablement réparties entre les populations.

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2. Fin de traitement et changement d’identité

Pour la plupart des patients, la fin des traitements par chimio ou radiothérapie marque une nouvelle étape de soulagement, puisque les malades ne souffrent plus du cancer, mais d’un état de fatigue extrême et persistant causé par les effets secondaires du traitement qui détériore considérablement leur qualité de vie (Rosmab, 2004)99. Il s’agit également pour certains d’une nouvelle épreuve. D’abord, parce qu’une série de ruptures, associées à cette période, est à maîtriser. La première tient à l’éloignement ou la mise à l’écart du médical, un monde fréquenté durant la période des traitements. Une deuxième rupture relative au changement de temporalité puisqu’après le choc du diagnostic, l’action des traitements, les patients s’introduisent dans une phase de surveillance et d’attente (Ménoret, 1999). Enfin, une troisième rupture tient au changement de statut : le soigné perd son identité de malade et est confronté à une injonction forte à reprendre sa vie. On requiert, en effet, qu’il fasse son travail de malade afin de reprendre le cours de son existence (Carricaburu & Ménoret, 2004, p. 83).

Ces changements sont perçus pour beaucoup de patients comme un bouleversement difficile à surmonter. Généralement, il apparaît que c’est lors de cette période que de nombreux malades prennent conscience de l’existence d’une « rupture biographique » (Bury, 1982). « Si les soins spécialisés ont permis l’amélioration générale attendue, voire la guérison, le patient, au moment où ils s’achèvent, ressent nettement les effets de ses transformations sociales et psychiques personnelles » (Bataille, 2003, p. 176).

Des transformations sociales dans le sens ou le patient après la sortie qui induit une perte de repères, risque de vivre dans le vide, dans la solitude après qu’il était au

99L’expérience de la fatigue chez les malades atteints de cancer :disponible