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CHAPITRE III : Les inégalités au cœur du processus concernant diagnostic

2. Les contextes du diagnostic

2.2. Le diagnostic séquentiel à un test de dépistage

Un deuxième schéma diagnostic fait suite au recours à un test de dépistage individuel ou organisé. Deux des soignés que nous avons rencontrés dans l’enquête sont concernés par ce mode de découverte. Ce schéma diagnostique concerne Chérifa45, 54 ans qui a été diagnostiquée d’un cancer du sein en 2014. La soignée avait un suivi gynécologique régulier et elle passait des mammographies depuis l’âge de 45 ans. Suite à une mammographie suspecte le médecin l’a conduite à effectuer des examens complémentaires qui ont confirmés le diagnostic de cancer. Deux mois plus tard, Chérifa était opérée, elle a ensuite commencé une chimiothérapie.

Le cancer n’est pas une maladie nouvelle, mais avec l’augmentation de l’incidence et du nombre de personnes atteintes, il est devenu un véritable enjeu de santé publique. Aujourd’hui, on compte 45 000 nouveaux cas par an dans le pays, dont 11 000 cas de cancers du sein. Ce dernier représente plus de 40 % de l’ensemble des cancers de la femme. En Algérie, l’âge moyen des personnes atteintes de cette forme de cancer est de 47 ans, soit 10 ans de moins que dans les pays occidentaux46.

La réduction de la mortalité liée à cette maladie devient ainsi une véritable priorité de santé publique. Pour y répondre, la généralisation du dispositif de dépistage organisé s’est clairement imposée. Cette dernière est aujourd’hui effective depuis 2010 et se concrétise par l’organisation d’un programme national de dépistage organisé. L’acte de dépistage47 répond à un objectif de rationalisation, sous une forme inhabituelle

45Chérifa, 54 ans, cancer du sein, mariée, troix enfants, enseignante, le mari electricien. 46Https://www.tsa-algerie.com/plan-national-cancer-un-bilan-mitige/

47Comme le montre Cantor (2004), l’intérêt porté à la prévention du cancer est aussi ancien que l’interrogation sur ses causes. De nombreux auteurs ont souligné la prégnance, durant tout le XX siècle, des actions en faveur de la détection précoce des cancers. A l’origine, il y a en effet la conviction, acquise par les chirurgiens, que les tumeurs localisées, de petite taille, correspondent a un stade débutant de la maladie, auquel elle est encore curable. Dans un contexte où la genèse du cancer demeure largement mystérieuse, l’idée selon laquelle la lutte contre le cancer passe par une détection anticipée et un traitement rapide de la

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dans le domaine de la santé : s’intéresser à une collectivité, un groupe qui ne présente aucun signe clinique ni demande. C’est une action d’envergure finalisée sur une pathologie. Celle du cancer du sein, de la prostate, du col de l’utérus par exemple.

2.2.1. Les inégalités d’accès au dépistage du cancer

Tous les professionnels de la santé s’accordent à dire que cette phase joue un rôle primordial dans la lutte contre la maladie. « L’État a mis en place des actions depuis plusieurs années, mais, malheureusement, de manière ponctuelle », déclare un professeur oncologue durant la journée d’évaluation du programme national du dépistage du cancer48.

La problématique posée au sujet du dépistage, c’est donner à chaque femme par exemple pour le cancer de sein les mêmes chances de faire cet examen. Or les Centres Régionaux d’Imagerie médicale et des Centres de diagnostic et de dépistage de la Caisse Nationale d’Assurance Sociale (CNAS), dans les plans et programmes nationaux de prévention et de dépistage organisés (Décret exécutif n° 05-69) prennent en charge seulement les femmes âgées entre 40 à 70 ans affiliées à la caisse. Les femmes non affiliées sont exclues davantage du programme. Un médecin-conseil souligne :

« Il faut bien comprendre que, si une mesure venait à être mise en vigueur sans un plan d’évaluation, cela ne servirait absolument à rien, c’est le cas du programme national de dépistage du cancer du sein. Nous n’aurons fait qu’affoler nos

maladie ne tarde pas à s’imposer. Elle constitue en particulier l’un des credo fondateurs de l’action des premières associations de lutte contre le cancer.

C’est en particulier le cas de l’American Society for the Control of Cancer (ASCC), ancêtre de l’ACS, crée a New York en 1913par dizaine de médecins soutenus par quelques philanthropes (Patterson, 1987 ; Ross, 1987). Le développement du diagnostique précoce constitue en effet, dès l’origine, le cœur de son activité.

Apres la seconde guerre mondiale, la culture du diagnostic précoce en cancérologie donne naissance a une nouvelle pratique, celle de dépistage de masse .Klana Löwy revient longuement sur cette histoire dans l’ouvrage qu’elle consacre a la prévention des cancers féminins.

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concitoyennes pour rien. De plus, un tel programme de dépistage, s’il doit s’organiser, devra s’adresser à toutes les femmes, pas uniquement à celles affiliées à la CNAS. » (Notes de terrain, siège CNAS Oran, avril 2014).

Autrement dit, les femmes non affiliées doivent recourir au privé pour une mammographie dans les centres d’imagerie privés, car les « mammographies » dans les hôpitaux sont soit en panne, soit non disponibles. Le dépistage coûte 3 000 DA chez le privé, ce qui représente un cinquième du SMIG, ce que le rend difficile pour les femmes issues d’un milieu défavorisé.

La précarité constitue le facteur constituant le plus grand, un frein à la participation des femmes au dépistage de sorte que deux grands profils de femmes qui ne participent pas au dépistage se dessine : les femmes les plus favorisées socialement et les femmes les plus défavorisées.

Les femmes en situation de vulnérabilité sociale, économique, identitaire, habitent pour la plupart en milieu rural ou dans des quartiers d’habitat social en périphérie des grandes villes, donc éloignées des centres de soins. Elles ne fréquentent pas de gynécologues, mais un médecin généraliste qui ne l’encourage pas systématiquement a participé aux campagnes de dépistage et, ce faisant, elles ne saisissent pas bien l’enjeu du dispositif de dépistage organisé ni le sens du courrier les invitant à y participer. Elles n’ont jamais été dépistées ou l’ont été depuis trop longtemps et ne perçoivent pas la portée préventive de l’acte de dépistage. Saliha49

témoigne :

« Avant ma maladie je consultait toujours chez le même médecin de famille, il ne m’a jamais prescrit pour faire un dépistage du cancer du sein. J’avoue, même s’il a fait je ne le ferai pas, de plus avec l’expérience, aucune sympathie ni confiance dans le corps médical dans son ensemble. Si on rajoute à ça la peur de

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la mauvaise nouvelle — vu ce que je sais de ce cancer-là — plutôt vivre heureuse jusqu’au plus tard possible sans savoir et mourir vite, plutôt que commencer à vivre déstabilisée (silence) Hamdolilah je suis tombé malade avec un cancer du sein » (Entretien Saliha, janvier 2016).

Plusieurs profils de femmes peuvent être distingués et permettent de comprendre la vision de chacune à l’égard du dispositif de dépistage organisé du cancer du sein. Des facteurs structurels peuvent expliquer la perception de l’organisation et du mode de mise en œuvre des campagnes de dépistage. Ainsi, pour les femmes issues de milieux sociaux favorisés, le caractère « organisé » du dépistage est très souvent associé à un sentiment de moindre qualité.

De même, l’expérience personnelle que les femmes concernées ont avec la médecine ou ses institutions peut expliquer leur position à l’égard du dispositif de dépistage organisé. Lorsque cette expérience est critiquée ou vécue de manière traumatisante, les femmes auront une position négative à l’égard du dispositif.

Mais encore, certaines femmes qui sont fortement suivies chez des gynécologues privés auront le réflexe d’effectuer des dépistages, mais en dehors des campagnes, sous contrôle de professionnels connus en lesquels elles ont une totale confiance (Gwenn Menvielle, 2008).

Cependant, deux constats doivent être ajoutés : dans un premier temps, les femmes qui résident dans les zones rurales ont vu plus souvent leur cancer du sein diagnostiqué suite à des symptômes ressentis. Dans un second temps parmi les femmes de plus de 74 ans, qui ne sont plus concernées par le dépistage organisé, les tumeurs étaient plus grosses et plus souvent découvertes suite à des symptômes ressentis, le dépistage individuel ne représentant le premier mode de découverte que parmi les femmes les plus aisées. Même si l’extension du dépistage organisé au-delà de 74 ans n’est pas nécessairement une bonne solution, forcer de constater que les

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femmes les plus âgées subissent des pertes de chances face au cancer du sein, et cela d’autant plus si elles sont issues de milieux peu aisés.

Pour conclure, le dépistage organisé n’atteint pas ses objectifs en termes de réduction des inégalités sociales : si les plus favorisés préfèrent le dépistage individuel (Bertolotto et al., 2003), les moins favorisés y accèdent moins facilement, et ce le plus souvent, du fait d’un manque d’information. De la même manière, un rapport de médecin du monde (2013) met en évidence un moindre accès au dépistage du cancer gynécologique pour les populations précaires. Les femmes fréquentant les centres de soin d’urgence ont une pratique de prévention, statistiquement inférieure à celle observée en population générale (Benjamin Derbez, Zoé Rollin 2016).

Pour conclure sur le bien-fondé du dépistage lui-même, une étude épidémiologique a démontré que le stade au diagnostic reste un élément pronostic absolument majeur, qu’au moins 60 % des cancers du sein sont actuellement identifiés par dépistage dans les pays occidentaux, et que dans les pays n’ayant aucun dépistage, les stades au diagnostic et la mortalité restent dramatiques, même si en partie en rapport avec un accès moindre aux thérapeutiques (OMS 2011).