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Regrouper l’offre pour rééquilibrer les rapports de force producteurs/distributeurs

Encadré 1 : Calendrier de la collecte des données

1. Moderniser la production et les systèmes de distribution (1945- (1945-1972) (1945-1972)

1.2. L’organisation du marché, cheval de bataille du gouvernement de la filière des fruits et légumes frais

1.2.3. Regrouper l’offre pour rééquilibrer les rapports de force producteurs/distributeurs

La deuxième manière d’envisager l’organisation du marché renvoie à la nécessaire concentration de l’offre via l’incitation au regroupement (même si ces deux options – rationalisation des circuits et regroupement de la production – étaient censées se compléter). A l’époque en effet, les filières sont encore faiblement organisées, à l’exception de quelques filières d’élevage. Dans les fruits et légumes, ces modes d’organisation sont extrêmement marginaux, la production et la commercialisation étant réalisées individuellement.

C’est ainsi que le statut de la coopération agricole, déjà renforcé en 1947, se trouve aménagé par la loi complémentaire du 8 août 1962 sur la création des groupements de

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producteurs. Ceux-ci concernent quatre filières (fruits et légumes, œufs de consommation et poulets de chair, viande bovine, élevage et viande de porc) et reconnaissent comme groupements les coopératives et les Sociétés d’intérêt collectif agricole (Sica). Alors que les coopératives étaient déjà bien implantées dans certaines d’entre elles (notamment celles du bétail et de la viande), les fruits et légumes découvrent ce nouveau mode d’organisation à ce moment-là. Ainsi, sur les 96 dossiers examinés par la Commission Nationale Technique chargée d’étudier la capacité des groupements à organiser la production en 1964, 67 dossiers étaient portés par des groupements de producteurs de fruits et légumes16. Pour prétendre à un statut de groupement, quatre règles portant sur la discipline interne des producteurs devaient être respectées : celles portant sur le contrôle et la sélection des souches utilisées (dans le cas des fruits et légumes, cela se traduisait par le contrôle et la sélection variétale), sur la normalisation des qualités, sur la mise en marché (apport total de la production au groupement), et enfin sur le ramassage et les modalités de règlement du prix aux adhérents.

Néanmoins, cette tentative d’organisation du marché des fruits et légumes autour de groupements de producteurs est rapidement confrontée à ses propres limites. Premièrement, le poids des groupements est très inégal en fonction des régions et leur capacité à se substituer aux expéditeurs privés également, du fait de routines particulièrement ancrées. Par exemple, à Marmande, un marché d’expédition est créé par les producteurs de tomates et les pouvoirs publics afin de concurrencer la pratique du ramassage direct qui place les premiers dans une situation de dépendance vis-à-vis des expéditeurs. Ce marché atteint rapidement un tonnage important (7 000 tonnes de tomates y sont écoulées chaque année). Mais cette solution se révèle insuffisante, puisqu’elle freine en fait l’accroissement des volumes traités par les groupements de producteurs (1 500 tonnes par an) et ne remet pas en cause le pouvoir des expéditeurs privés qui traitent toujours 15 000 tonnes de tomates annuellement (Mainié, 1963).

Deuxièmement, dans un contexte marqué par le développement du commerce succursaliste et la concentration des entreprises du stade de gros, ces groupements sont souvent trop petits pour lutter à armes égales avec les acteurs de l’aval. En effet, au début des années 1960, ces organisations sont encore caractérisées par une taille modeste et des volumes relativement faibles. Dans une étude portant sur 85 groupements de producteurs en fruits et légumes, P. Mainié montre ainsi qu’en 1962 39 % des coopératives de son échantillon avaient

16 Sur ces 67 dossiers, 54 seront reconnus. Les refus concernent « des organismes très divers allant de la société de type capitaliste camouflée jusqu'au syndicat n'exprimant que des déclarations d'intention » (De Fabrègues, 1964, p. 81).

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un volume inférieur à 1 000 tonnes, représentant seulement 10 % des tonnages traités par l’ensemble des coopératives (Tableau 6). La faible capacité en termes de volumes de ces groupements en a incité certains à développer des alliances régionales ou interrégionales autour de gammes de produits élargies pour tenter de peser plus fortement sur les négociations commerciales avec les clients les plus importants et sécuriser des approvisionnements réguliers sur l’année.

Tableau 6 : Répartition de la taille des groupes suivant les tonnages vendus en 1962 Limite des

classes en tonnes

Nombre Pourcentage cumulé

Tonnage traité Pourcentage cumulé du tonnage traité 0 – 1000 exclus 33 39 15 750 10 1000 – 2000 23 66 32 250 30,5 2000 – 3000 14 82,5 33 500 52 3000 – 5000 9 93 31 500 72,5 5000 – 8000 3 96,5 16 500 83 8000 – 10000 2 99 18 000 94 Plus de 10000 1 100 10 000 100 Total 85 156 500 Source : Mainié, 1963, p. 8

Entre les années 1960 et 1970, le premier problème qui accapare le gouvernement de la filière des fruits et légumes frais est donc celui de l’organisation de la distribution. Face à la prolifération des intermédiaires, aux pratiques des expéditeurs privés qui tirent avantage de leur connaissance du marché pour faire baisser les prix et à la concentration du stade de gros, un effort de regroupement de la production est entrepris pour permettre aux entreprises de l’amont lutter à armes égales avec les entreprises de l’aval dans les négociations commerciales. Néanmoins, cette politique plaçant au cœur des problèmes l’organisation de la distribution (soit par la modernisation des circuits, soit en organisant la concentration de l’offre et son regroupement) suppose qu’une autre question soit préalablement réglée, celle de la normalisation des produits qui seront échangés.

En effet, comme le montre bien A. Bernard de Raymond (2007 ; 2013), pour qu’un marché national – et, encore plus, européen – puisse exister, il faut que les acteurs soient en mesure de produire des équivalences entre les produits qui seront échangés, c’est-à-dire de les rendre comparables entre eux (Callon et al., 2000) en réduisant et en standardisant la gamme des variétés produites, en édictant des normes de commercialisation permettant de classer les fruits et légumes en fonction de leur écart à ces normes, etc. Le développement de ces formes

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instituées de marquage des produits traduit un renforcement du poids des intermédiaires, des acteurs du commerce intégré en particulier, dans le gouvernement de la filière.

1.3. La normalisation des qualités, reflet du poids des acteurs de l’aval dans

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