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Des entreprises aux caractéristiques distinctes : structures, emploi, modes de gestion et circuits de commercialisation

MARCHANDE DES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LEGUMES

1. La production de fruits et légumes frais en Aquitaine : des entreprises aux caractéristiques hétérogènes entreprises aux caractéristiques hétérogènes

1.3. Des entreprises aux caractéristiques distinctes : structures, emploi, modes de gestion et circuits de commercialisation

La production de fruits et légumes, en Aquitaine, est réalisée par des entreprises aux caractéristiques diverses, du point de vue de leur structure technico-économique, de leur

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rapport à l’emploi et au travail salarié, aux modes d’organisation du travail et aux circuits de commercialisation qu’elles mobilisent pour vendre leurs produits.

Les exploitations produisant des fruits peuvent être réparties en trois classes homogènes en fonction de leur taille économique, avec une légère surreprésentation des moyennes et des grandes exploitations57. En revanche, en ce qui concerne les légumes, les écarts sont plus importants, les petites exploitations ne représentant qu’une exploitation sur quatre (Annexe 5, Tableau 5, p. 399), ce qui tient principalement à l’importance des exploitations classées en grandes cultures parmi celles produisant des légumes. En termes de surfaces, les exploitations produisant des fruits ont en moyenne une taille supérieure à celles produisant des légumes, 70 % d’entre elles ayant une SAU totale supérieure à 20 hectares (et un peu moins d’une sur deux a une surface supérieure à 50 hectares), contre à peine plus de 40 % pour les secondes (Annexe 5, Tableau 6, p. 399). Ceci peut s’expliquer à la fois par des aspects intrinsèques à ces deux types de cultures, les vergers nécessitant des surfaces plus importantes que les cultures maraîchères ou légumières, et par des aspects liés à la fréquente combinaison des systèmes arboricoles avec d’autres activités agricoles comme la culture céréalière, sur des surfaces souvent importantes.

La taille des entreprises agricoles est corrélée à des orientations spécifiques en matière de commercialisation des produits, et tout particulièrement en termes de recours à des circuits courts, caractérisés par l’absence ou la présence d’un seul intermédiaire entre producteurs et consommateurs. Toutefois, cet effet de taille est pondéré par le type de produits commercialisé par les entreprises, celles produisant des légumes ayant plutôt plus recours à des ventes en circuits courts que celles produisant des fruits. En effet, alors que les petites et moyennes exploitations produisant des légumes sont respectivement 61 et 46 % à vendre ces produits via des circuits courts, les grandes exploitations n’utilisent ces circuits que dans 23 % des cas. Pour les exploitations produisant des fruits, la relation entre dimension économique et valorisation des produits via des circuits courts est plus compliquée à saisir. En effet, ce sont les petites exploitations qui ont le moins recours aux circuits courts (12 %), alors que les moyennes et grandes exploitations les mobilisent plus fréquemment (Annexe 5, Tableau 7, p. 399). Bien que compliquée à expliquer, cette différence entre entreprises produisant des fruits et des légumes témoigne toutefois d’un rapport au marché différent, les systèmes de

57 La dimension économique est obtenue en additionnant les marges brutes standards des différentes productions d’une exploitation. Elle est ensuite exprimée en unités de dimension économique (UDE). 1 UDE équivaut à 1200 euros ou à 1,5 hectare équivalent blé. La dimension économique d’une exploitation est considérée comme petite si elle n’excède pas 25 000 euros et comme grande si elle dépasse 100 000 euros.

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distribution des fruits étant bien plus souvent organisés, en Aquitaine au moins, autour des OP que les systèmes de distribution des légumes. Ceci peut également s’expliquer par le degré de spécialisation des exploitations produisant des fruits et les volumes qu’elles ont à mettre sur le marché, qui complique le recours à des circuits courts (Enjolras, Aubert, 2013).

Par ailleurs, on constate également une mobilisation différenciée des circuits courts en fonction du type de production principal. De ce point de vue, les producteurs de fruits ont plus fréquemment fréquent recours à la vente indirecte à des magasins ou des commerçants que leurs collègues produisant des légumes. Les producteurs de légumes ayant recours à des circuits courts mobilisent essentiellement des circuits de vente directe, et tout particulièrement des modes de vente traditionnels, la vente à la ferme et sur les marchés étant cités comme premier mode de commercialisation par 78 % d’entre eux (Annexe 5, Tableau 8, p. 400).

Néanmoins, la relation entre taille économique des entreprises et commercialisation via des circuits courts est avérée dans notre échantillon, le chiffre d’affaire moyen de celles y ayant recours étant plus de 2,5 fois inférieur à celles n’y ayant pas recours (Annexe 5, Tableau 9, p. 400). Qui plus est, les circuits courts contribuent plus fortement à la réalisation du chiffre d’affaire des petites et (encore plus) des moyennes exploitations qu’à celui des grandes, puisque pour 75 % de ces dernières, ces modes de commercialisation représentent moins de 25 % de leur chiffre d’affaire (Annexe 5, Tableau 10, p. 401). D’un point de vue économique, on voit ainsi se distinguer plusieurs groupes d’entreprises de production de fruits et légumes. Les plus grandes sont celles qui ont le moins recours aux circuits courts pour commercialiser leurs produits, cet effet de taille étant renforcé par l’orientation productive des entreprises, celles produisant des fruits y ayant aussi moins recours en moyenne.

A ces différences en matière de stratégies commerciales s’ajoutent des rapports à l’emploi et au travail eux aussi différenciés. D’une part, les entreprises les plus importantes en termes de chiffre d’affaire sont aussi celles qui emploient le plus de travailleurs, qu’il s’agisse de permanents ou de saisonniers. De plus, dans les plus grandes entreprises, la part de l’emploi saisonnier ou à durée déterminée dans l’emploi total est plus importante que dans les petites et moyennes exploitations. En fonction du principal mode de commercialisation, ces différences en termes de recours à une main d’œuvre salariée sont tout aussi importantes, puisque les exploitations pour lesquelles la vente via un ou plusieurs circuits courts représente la majorité de leur chiffre d’affaire emploient en moyenne plus de deux fois moins de salariés que celles commercialisant principalement via des circuits d’expédition (Annexe 5, Tableau 11, p. 401). Par ailleurs, les plus petites exploitations, ainsi que celles ayant principalement

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recours à des circuits courts pour commercialiser leurs produits sont aussi celles qui ont le plus souvent recours à de la main d’œuvre familiale (Annexe 5, Tableau 12, p. 401).

Ce rapport différencié des entreprises agricoles au salariat, au recours à la main d’œuvre familiale en fonction de leur chiffre d’affaire et de leur mode de commercialisation principal révèle des modes de gestion différenciés. En effet les petites et moyennes exploitations qui vendent surtout via des circuits courts peuvent être assimilées à de petites entreprises familiales, dont la charge salariale est réduite notamment grâce au recours à une main d’œuvre familiale, parfois non salariée. Cette main d’œuvre constitue souvent la principale force de travail de ces petites exploitations, si ce n’est la seule, du fait de la souplesse qu’elle implique en termes de gestion, de management, voire de versement des salaires. Les parents, la conjointe ou (plus rarement) le conjoint, voire les enfants, peuvent ainsi constituer un appui non-négligeable dans ces entreprises, particulièrement au moment du démarrage de l’activité. Ils interviennent de manière régulière ou plus ponctuelle, sur des postes aussi bien liés à la production qu’à la commercialisation. A l’inverse, les exploitations de taille plus importante ont moins fréquemment recours à de la main d’œuvre familiale, même s’il n’est pas rare que plusieurs générations ou les deux conjoints travaillent ensemble sur la même exploitation. Néanmoins, les travailleurs sont majoritairement des salariés n’entretenant pas de liens de parenté avec les chefs d’exploitation et pour beaucoup, des saisonniers étrangers. En termes d’organisation, le travail y apparaît beaucoup plus spécialisé que dans les plus petites exploitations, permettant une forme de rationalisation du travail et de son management :

« On a vingt salariés permanents. Il y en a 8 en interne, sur la station et dans les bureaux, plus une comptable à mi-temps, plus du personnel en extérieur. […] Le personnel de la station, c’est essentiellement de l’emballage. Ils mettent en plateaux, ils empochent. Ils font la gestion des palox qui arrivent, ils gèrent les frigos et l’expédition. La personne qui est au téléphone s’occupe de prendre les commandes jusqu’à dix heures du matin, et après elle fait les préparations de commande avec des palettes préparées préalablement. Et là, elle prépare les palettes pour différents magasins. Le chef d’équipe s’occupe des travaux du sol, de la taille, des engrais, de l’éclaircissage, de la gestion du personnel, du ramassage. » (P6)

De ce fait, le chef d’exploitation assume des fonctions classiques de chef d’entreprise, et s’occupe principalement des fonctions de management au sens large : recrutement, gestion administrative, gestion des clients (démarchage, négociations, litiges), définition de la

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stratégie globale de l’entreprise. Ils sont en général plus détachés de la gestion technique de leurs systèmes de production comme en témoigne ce producteur en fin d’activité :

« Donc avant je produisais, et je vous disais que je faisais mon rôle de producteur. Alors qu’aujourd’hui, j’ai plusieurs casquettes. Et c’est pour ça que je suis obligé de relire mon activité parce que dans mon métier je peux pas me payer quelqu’un. C’est moi qui fais tout quoi. Avant quand j’employais du monde, physiquement, je travaillais pas. Je pouvais pas, j’avais la gestion, j’avais un chef de culture, c’était un autre travail quoi. Là, c’est vraiment un métier que je découvre en fait. Cet après-midi j’étais sur le tracteur en train de labourer, mais je labourais jamais. » (P2)

Cet examen des caractéristiques des exploitations produisant des fruits ou des légumes nous a permis de distinguer, à grands traits, deux catégories idéal-typiques d’entreprises caractérisées par des modes de gestion et un rapport au salariat différenciés. D’un côté, les plus petites exploitations emploient moins de main d’œuvre et ont un recours à la main d’œuvre familiale plus important que les plus grosses exploitations. L’organisation du travail y est moins rationalisée que dans les secondes, et le découpage entre activité professionnelle et vie privée y est moins clair. Toutefois, plutôt qu’en faire des catégories empiriques homogènes et consistantes, nous invitons pour le moment le lecteur à les considérer comme les deux pôles d’un continuum de situations, n’épuisant pas la diversité des caractéristiques structurelles et managériales des exploitations produisant des fruits et légumes.

Le premier groupe renvoie donc à de petites et moyennes entreprises, dont le chiffre d’affaire est inférieur à cent mille euros, qui ont tendance à privilégier des modes de commercialisation en circuits courts (avec toutefois une différence importante entre les exploitations produisant des fruits et celles produisant des légumes, les premières utilisant moins ces modes de commercialisation). Elles emploient relativement peu de personnes, parmi lesquels une part importante de main d’œuvre familiale, voire de stagiaires. Bien souvent, les deux membres du couple travaillent ensemble sur l’exploitation, que ce soit de manière régulière, en tant que co-exploitants, ou de manière ponctuelle, en tant que main d’œuvre bénévole. Leurs modes de gestion se rapprochent de ceux des Très Petites Entreprises (TPE), les entrepreneurs assumant un ensemble varié et complexe de fonctions allant de la production à la commercialisation, en passant par la gestion administrative, le recrutement, la gestion des approvisionnements, etc.

A l’autre extrémité, nous avons pu faire apparaître des exploitations plus importantes, que ce soit en termes de chiffre d’affaire, de surface, de volumes ou de personnel. Ces

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entreprises ont principalement recours à des circuits d’expédition pour la commercialisation, ce qui n’empêche pas qu’elles vendent en circuits courts des quantités variables de leurs produits (tout comme les entreprises du premier pôle peuvent avoir recours, de manière plus ou moins ponctuelle, à des circuits d’expédition en cas de surproduction). Ces exploitations sont plutôt spécialisées sur quelques produits et mettent en marché des tonnages importants, du fait de surfaces en moyenne plus élevées. Leurs caractéristiques structurelles leur imposent ainsi un recours au salariat important, les classant pour la plupart dans la catégorie des Petites et Moyennes Entreprises (PME). A la différence des exploitations du premier groupe, la part de main d’œuvre familiale y est relativement faible, même si elle reste relativement répandue. Le travail y est spécialisé et rationalisé, les salariés étant embauchés sur des profils de poste aux attributions restreintes, permettant l’optimisation du travail de chacun, chef d’entreprise compris. Celui-ci assume principalement des fonctions de management et fixe la stratégie globale de l’entreprise, en laissant le soin à ses salariés de gérer techniquement les systèmes de production. Les stratégies de ce groupe sont projetées dans un temps relativement long, comme en témoigne le pourcentage élevé d’entreprises ayant eu recours au crédit ces trois dernières années. L’entreprise est considérée comme un actif économique, qu’il s’agit de pérenniser et/ou de développer, pour continuer à survivre dans un environnement, comme nous le verrons, perçu comme fortement concurrentiel. Néanmoins, entre ces deux pôles, une grande variété de profils d’entreprises coexiste.

En Aquitaine, la production de fruits et légumes destinés aux marchés du frais est ainsi réalisée par des entreprises aux caractéristiques structurelles variées. Les plus grandes ont majoritairement recours à des circuits d’expédition pour commercialiser leurs produits, tandis que les plus petites ont plutôt tendance à mobiliser des circuits courts. Le choix d’un système de commercialisation, s’il dépend très largement des caractéristiques de l’appareil de production de chaque entreprise (spécialisation productive et surface), est aussi le produit d’une stratégie entrepreneuriale relevant de la décision du chef d’exploitation, de son profil sociologique et de ses motivations.

2. Les entrepreneurs en fruits et légumes : profils, trajectoires et

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