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L’encadrement des circuits courts par les titulaires : de la redécouverte à la normalisation

MARCHANDE DES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LEGUMES

1. De la marginalisation professionnelle des circuits courts à leur redécouverte redécouverte

1.2. Les circuits courts, un modèle de développement alternatif ou complémentaire au système dominant ?

1.2.2. L’encadrement des circuits courts par les titulaires : de la redécouverte à la normalisation

La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont ainsi été marqués par la progressive réapparition de la question de la commercialisation en circuits courts au sein des instances traditionnelles du développement agricole que sont les Chambres d’agriculture. A ce moment, les circuits courts demeurent pour ces acteurs une agriculture « de vitrine », complémentaire de l’économie des filières. Autrement dit, c’est plus le rôle de valorisation de savoir-faire et de terroirs locaux qu’ils peuvent jouer que leur dimension économique qui, dans un premier temps, intéresse ces acteurs et les amène à se saisir de ces démarches. C’est ainsi d’abord par les démarches d’agritourisme et d’accueil à la ferme que les Chambres consulaires intègrent les circuits courts dans leurs programmes d’action, au moment où la profession commence à s’intéresser à ces démarches généralement portées par des agriculteurs à la marge des référentiels professionnels dominants. C’est en tout cas le récit qui nous est fait par un des responsables de la Chambre d’agriculture de la Gironde :

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« Au niveau de l’activité promotion et agritourisme, la première activité ça a été véritablement l’agritourisme. Bon, c’était dans les années 90, c’était à l’époque une nouvelle activité. Ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas d’agriculteurs qui fassent de l’agritourisme avant, mais c’est dans le milieu des années 90, en 95, 96, qu’en fait la profession agricole a eu peut-être un autre regard par rapport à ces activités touristiques. » (OPA8)

Dans un premier temps, les aspects liés à la commercialisation des produits sont mis au second plan de l’accompagnement proposé par les techniciens des Chambres d’agriculture. L’enjeu premier est, en effet, de professionnaliser les projets d’accueil des visiteurs qui sont encore relativement simples. Ce n’est que dans un second temps que les producteurs et les techniciens des Chambres d’agriculture intègrent à cette offre de services la création de points de vente à la ferme permettant de valoriser en vente directe une partie de leurs produits (fruits et légumes, viande, volailles, produits transformés, etc.). Rapidement, ces démarches sont labellisées et institutionnalisées par la création d’une marque nationale détenue par l’Assemblée Permanente des Chambres d’agriculture (APCA), Bienvenue à la ferme, permettant d’identifier les exploitations pratiquant la vente directe sur l’exploitation :

« Donc le premier pan a été de se positionner véritablement dans l’accompagnement des agriculteurs dans leur projet d’accueil qui était simple à l’époque. On travaillait sur des produits ferme-auberge, ferme équestre, camping et puis hébergement. Aujourd’hui, l’offre a été multipliée par trois ou par quatre, mais à l’époque, notre cœur d’activité c’était ça avec le conseil global auprès des agriculteurs, le conseil technique et puis après les aspects de promotion, de commercialisation au travers de la marque Bienvenue à la ferme. » (OPA8)

Dans un second temps, au début des années 2000, forte de son expérience en matière d’accueil à la ferme et d’un regain d’intérêt de la part des producteurs pour la notion de marché, au moment où de nouveaux systèmes de vente directe comme les Amap se développent (là encore, sans l’appui des Chambres d’agriculture, voire même en opposition avec les modèles d’installation et de développement qu’elles défendent), la Chambre d’agriculture de la Gironde va s’intéresser à l’organisation de marchés de producteurs labellisés :

« Après, au début des années 2000, en 2001-2002, on a commencé à s’intéresser aux notions de marché. Parce qu’on avait une demande d’agriculteurs qui souhaitaient… revenir, ou peut-être créer des marchés… C’est vrai que chez nous on avait peut-être

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abandonné ce type de distribution. Donc on a réfléchi un petit peu et on a… ça a abouti en 2004 sur l’organisation de nos premiers Marchés de Producteurs de Pays, sachant que la marque a été créée en Aveyron en 2001 et nous on l’a déclinée sur le département en 2004. » (OPA8)

Ces marchés sont pensés et présentés comme des vitrines permettant de valoriser les agriculteurs locaux, grâce au dépôt d’une marque Marchés de Producteurs de Pays (MPP), elle aussi détenue par l’APCA depuis 2007. Ce sont des marchés festifs, proposant généralement une activité de restauration sur place, pendant la saison estivale. Du fait de cette saisonnalité, ils ne permettent pas à des exploitations agricoles d’en tirer la source principale de leurs revenus et fonctionnent donc comme des circuits de commercialisation complémentaires permettant d’écouler une proportion plus ou moins importante de leur production.

En Gironde et dans le Sud-Ouest, ces deux réseaux labellisés sont particulièrement bien implantés, du fait du fort attrait touristique de la région, notamment en période estivale. Mais, jusqu’à la fin des années 2000, la dimension économique de ces circuits de commercialisation n’est que faiblement affirmée et les responsables des Chambres d’agriculture les envisagent avant tout comme des instruments de diversification des revenus agricoles, plutôt que comme de véritables modèles de développement et de pérennisation des exploitations. Mais, face au succès rencontré par ces marchés dans certains départements touristiques comme la Gironde, les techniciens de la Chambre d’agriculture sont amenés à les envisager comme de véritables débouchés commerciaux pour certaines catégories de producteurs (éleveurs, viticulteurs, etc.) ayant l’habitude de proposer des produits transformés et / ou des plats cuisinés :

« Après qu’il y ait pas beaucoup de maraîchers… Le prix de revente, je veux dire, c’est pas là qu’on fait le plus de plus-value. Le producteur qui va vendre des magrets, des choses comme ça, oui. Un producteur qui va vendre un kilo de carottes, pas trop. Sauf qu’on leur demande des produits pour la restauration, donc un maraîcher on va lui demander de proposer des choses. Donc il va faire des gratins, il va faire, ça lui demande beaucoup de temps. Du coup y en a, mais est-ce que le retour en vaut vraiment la peine ? […] Mais c’est un nouveau débouché commercial pour certains. Y en a qui ont des fermes-auberge, donc pour eux c’est aussi un moyen de faire du chiffre, mais aussi de faire venir des gens sur la ferme-auberge. Y en a qui ont pas de points de vente, donc c’est hyper important pour eux de pouvoir vendre leurs produits. […] Pour certains au début, c’était surtout une action complémentaire, en plus quoi. Maintenant

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c’est une grande partie de leur chiffre, surtout sur l’été où ils font rien d’autre, ils font que les MPP. » (OPA1)

De manière similaire aux régulations informelles mises en œuvre dans le cas de certains réseaux de vente directe (Chiffoleau, 2009 ; Dondeyne, 2012), on retrouve dans ceux-là des régulations, plus ou moins formalisées, concernant l’attribution des marchés aux producteurs, l’évitement des relations de concurrence, la fixation des prix, etc. :

« Donc [l’attribution des marchés] c’est pas à la tête du client, c’est vraiment avec des règles précises, l’ancienneté est prise en compte, si untel a participé au fonctionnement depuis l’origine, évidemment il est prioritaire. Le secteur géographique, enfin… la priorité géographique. Y a un certain nombre de critères donc. Le nombre de producteurs, faut pas qu’il y en ait trop, sur tel ou tel produit, pas trop de doublons. » (OPA1)

Ces opérations de sélection sont cogérées par les producteurs ayant le plus d’expérience dans ces démarches et une technicienne de la Chambre d’agriculture qui attribuent les marchés aux producteurs ayant posé leur candidature lors d’une commission annuelle. Par ailleurs, un certain nombre de régulations formelles existent qui visent à encadrer les niveaux de prix. Ainsi, le prix de vente sur ces marchés doit être équivalent à celui fixé pour les autres circuits de vente directe par lesquels un producteur commercialise ses produits. De même, le prix des plats cuisinés doit s’inscrire dans une fourchette de prix permettant aux consommateurs de multiplier les achats chez plusieurs producteurs afin « de faire travailler

tout le monde ». Enfin, les adhérents de ces réseaux sont tenus au respect d’un cahier des

charges (fonctionnant en fait plutôt comme un guide de bonnes pratiques) et d’un règlement intérieur dont le non-respect peut entraîner l’éviction de la marque.

La redécouverte par les Chambres d’agriculture de la fonction économique de ces modes de commercialisation pour certaines catégories d’exploitation a incité certaines d’entre elles à étendre et diversifier leurs réseaux de producteurs en vente directe, en s’appuyant notamment sur les réseaux déjà constitués de producteurs labellisés Bienvenue à la ferme ou

Marchés de Producteurs de Pays. Ainsi, les Chambres d’agriculture ont repris et développé

en les labellisant, depuis la fin des années 2000, un certain nombre de concepts de vente directe comme les boutiques de producteurs, la préparation de paniers maraîchers (sur le modèle de ce qui existe dans les Amap) ou la vente en ligne de produits issus des exploitations agricoles.

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Depuis 2012, à l’initiative de la Gironde, les Drive Fermier Bienvenue à la Ferme proposent aux consommateurs des produits issus directement des exploitations agricoles de leur département sur un site Internet. Dans certaines régions comme les Pays de Loire, la Picardie ou le Rhône-Alpes, des plateformes de référencement ont été créées afin d’approvisionner les services de restauration collective en produits locaux issus des exploitations du territoire. Le foisonnement de ces initiatives, dont certaines comme les réseaux Bienvenue à la Ferme ou Marchés de Producteurs de Pays, le Drive Fermier

Bienvenue à la Ferme bénéficient d’une reconnaissance à l’échelle nationale, montre bien

l’intérêt renouvelé des titulaires du gouvernement du secteur agricole pour ces modes de commercialisation caractérisés par l’absence ou la limitation des intermédiaires entre producteurs et consommateurs et la relocalisation des circuits de distribution des produits.

Malgré un intérêt renouvelé pour les circuits courts, y compris de la part des organisations dominantes, des différences profondes subsistent entre challengers et titulaires par rapport à l’encadrement de ces modes de commercialisation et à leur valorisation. Alors que les premiers les envisagent plutôt comme des instruments de pérennisation de petites exploitations agricoles diversifiées autonomes par rapport à leurs modes de production et aux modalités d’écoulement de leurs produits (même si les acteurs de l’AB adoptent aujourd’hui des positions plus orthodoxes sur ce point78), les seconds s’appuient toujours sur une vision de l’agriculture organisée en filières de production et cherchent à développer des modalités de circuits courts labellisés permettant d’introduire plus de transparence dans les filières organisées, sans en modifier nécessairement le fonctionnement (Olivier, 2012). D’un côté les

challengers cherchent à définir et promouvoir de nouveaux modèles de développement

agricole à partir de l’accompagnement de circuits courts permettant de sortir les agriculteurs des logiques de filières et en faisant valoir l’intérêt de ces démarches pour de petites et moyennes exploitations. De l’autre, les titulaires se saisissent des circuits courts comme d’opportunités permettant de répondre à une demande croissante des consommateurs, sans toutefois que ces « nouveaux » systèmes de commercialisation permettent de redéfinir un modèle de développement alternatif.

78 Si la conventionnalisation de l’AB a pu être lue par certains (Sylvander, 1997) au prisme d’une forme d’industrialisation de ses modes de production et de qualification, il nous semble plus pertinent de considérer ce processus à l’aune de la redéfinition des débouchés visés par ses acteurs et ses organisations, ainsi que par de nouveaux modes de structuration, notamment autour d’interprofessions réunissant les producteurs, les groupements, les transformateurs et les distributeurs. De plus en plus, l’AB se structure comme une filière verticale dotée d’institutions spécifiques encadrant ses relations de production, de commercialisation et de financement (Bréchet, Schieb-Bienfait, 2006 ; Stassart, Jamar, 2009) dans laquelle les circuits courts font désormais l’objet de moins d’investissements collectifs que la stabilisation de ces relations verticales.

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Alors que jusqu’à la moitié des années 2000, les circuits courts faisaient strictement l’objet de régulations professionnelles et collectives visant à la fois à les développer et à les encadrer, voire à les normaliser, de nouveaux acteurs vont intervenir dans le gouvernement de ces modes de commercialisation à partir de la seconde moitié des années 2000. En effet, en France, ces initiatives trouvent à ce moment-là un nouvel écho auprès des pouvoirs publics et des autorités gouvernementales qui cherchent à mieux appréhender ce phénomène pour le développer, en vertu des bénéfices sociaux, économiques, environnementaux et territoriaux qu’ils y associent.

2. Une politique nationale pour « renforcer le lien entre

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