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Identifier les freins et les leviers pour développer les circuits courts : une démarche consultative sous contrôle

MARCHANDE DES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LEGUMES

2. Une politique nationale pour « renforcer le lien entre agriculteurs et consommateurs » agriculteurs et consommateurs »

2.2. Identifier les freins et les leviers pour développer les circuits courts : une démarche consultative sous contrôle

Conformément à la commande qui leur était faite, les participants identifient un ensemble de freins au développement des circuits courts, tant du côté de l’offre que de la demande. Du côté des producteurs, les freins identifiés renvoient aux difficultés à proposer une offre régulière et pérenne (tant en termes de volumes que de qualité), au coût des équipements et aux besoins de main d’œuvre liés à la transformation et / ou à la commercialisation, au manque d’information règlementaire ou de formation (respect des exigences sanitaires, réponse aux appels d’offre), aux difficultés de financement et d’accès aux prêts bancaires (du fait de l’absence de référentiels permettant d’évaluer la pérennité des exploitations commercialisant principalement via ces circuits), d’accès au foncier (notamment en zones périurbaines), ainsi qu’à la faible mutualisation des moyens de communication sur ces modes de commercialisation. Du côté des consommateurs, les principaux freins renvoient à la question des prix, au manque d’informations permettant d’identifier les circuits courts à proximité de chez eux, à la distance géographique trop importante notamment en zone rurale et au manque de diversité des produits proposés. Pour lever ces blocages, les participants ont formulé des préconisations dont on peut retrouver trace dans l’annexe 3 du rapport du groupe de travail, que nous avons reconstruite de manière synthétique.

Les organisations professionnelles, avec un total de 44 préconisations, devancent les associations ou structures accompagnant le développement des circuits courts (24), les chercheurs (22), les collectivités territoriales (14) et enfin les représentants de la filière et du commerce (11). Individuellement, ce sont elles qui ont formulé le plus de préconisations, avec une moyenne de 6,3 propositions par organisation, contre 5,25 pour les associations de développement des circuits courts, 4,7 pour les collectivités territoriales, 3,7 pour les chercheurs et 3,6 pour les représentants des filières et du commerce. Ceci dit, eu égard au nombre d’organisations présentes dans ce premier groupe (7) et à leurs oppositions internes, ce groupe est certainement le moins homogène des cinq. Néanmoins, à l’issue de ce premier examen, nous pouvons voir que les organisations professionnelles ont massivement investi ce dispositif de concertation, même si inégalement, la FNSEA n’ayant formulé que 3 propositions contre 10 pour la FNAB, 8 pour les Civam et 7 pour l’APCA (Annexe 7, p. 407).

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Afin d’analyser les propositions portées par ces différentes organisations, nous les avons regroupées en six blocs principaux. Nous avons ainsi distingué celles portant sur l’amélioration et la diffusion des connaissances sur les circuits courts, sur l’évolution des normes sanitaires, sur la formation et l’accompagnement à l’installation, sur la création d’une charte réglementant l’utilisation du terme circuit court, sur les outils collectifs et sur la nécessité de régionaliser le gouvernement de ces systèmes (Annexe 8, p. 408). En définitive, nous avons été forcés de sous-diviser certains de ces blocs pour retrouver plus d’homogénéité. C’est le cas des blocs « amélioration et diffusion des connaissances », « formation et accompagnement à l’installation » et « régionalisation ».

Le bloc « amélioration et diffusion des connaissances » est composé de 21 préconisations portant sur l’amélioration des connaissances statistiques sur les circuits courts, sur la diffusion des initiatives et des bonnes pratiques, sur le financement de recherches spécifiques à ces pratiques et enfin sur la production et la diffusion de référentiels technico-économiques propres aux exploitations engagées dans ces modes de commercialisation. Le bloc « formation et accompagnement à l’installation » est le plus important en termes de nombre de contributions (37) et est, de ce fait aussi, le plus hétérogène. Il est composé de préconisations portant sur l’intégration dans les formations continues et initiales de modules spécifiques à la vente en circuits courts, sur les aides à l’installation et l’accompagnement technico-économique de ces démarches et enfin sur la question foncière. Enfin, le bloc « régionalisation » est composé de 18 propositions portant sur le développement de partenariats à l’échelle locale, la relocalisation des approvisionnements (en particulier de la restauration collective) et la participation financière des collectivités territoriales à la mise en œuvre des circuits courts.

L’analyse de ce rapport donne à voir, tout d’abord, le poids prépondérant des organisations professionnelles dans le processus de concertation visant à faire émerger des pistes d’action pour la future politique publique. Pour cinq sur six d’entre eux, à l’exception du bloc « amélioration et diffusion des connaissances », massivement investi par le groupe des chercheurs (48 % des propositions émises), ils détiennent le pourcentage de propositions le plus élevé des cinq groupes d’acteurs. C’est particulièrement le cas pour les deux blocs « évolution des normes sanitaires » et « outils collectifs », dans lesquels ils ont formulé respectivement 50 et 58 % des propositions. Toutefois, les propositions émises par ces organisations révèlent des tensions, voire des oppositions sur certains points.

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Ainsi sur la question de l’évolution des normes sanitaires, alors que la Confédération paysanne revendique un allégement des normes sanitaires pour les producteurs commercialisant exclusivement en circuits courts et se rapproche en cela des positions de l’IRABE, des PRNF et de Terres en Villes, l’APCA et les JA réclament à l’inverse que les normes sanitaires demeurent les mêmes pour tous les agriculteurs (quitte à alléger certaines contraintes règlementaires ou de normalisation commerciale) et se rapprochent de la position de la CGAD, celle-ci réclamant le maintien d’exigences sanitaires identiques à tous les opérateurs économiques. En revanche, la position des représentants des organisations professionnelles sur les outils collectifs est beaucoup plus consensuelle, tous s’accordant à reconnaître les bénéfices de ces outils et la nécessité de les maintenir et de les développer. De manière générale, les acteurs ayant émis des propositions sur ce point (collectivités, associations, représentants de la filière et du commerce) partagent l’idée selon laquelle ces outils sont des leviers importants pour développer les circuits courts, notamment pour les filières animales dont les produits, pour être vendus en circuits courts, nécessitent une transformation préalable.

La formation et le financement ont été particulièrement investis par les organisations représentant la profession agricole qui ont formulé 50 % des propositions pour chacun de ces deux sous-ensembles. Les préconisations portant sur la formation proposent d’intégrer des modules spécifiques à la commercialisation en circuits courts dans les parcours de formation initiale et continue, et sont partagées par l’ensemble des organisations83

. En revanche, la question des aides financières pour les exploitations commercialisant via des circuits courts a été principalement investie par les organisations professionnelles alternatives, celles-ci réclamant une adaptation du cadre fiscal pour les petites exploitations commercialisant via des circuits courts, ainsi qu’une augmentation du niveau des aides à l’installation (FNAB, Coordination rurale). La FNSEA, de son côté, prône plutôt le recours au crédit d’impôt comme moyen d’inciter les agriculteurs à développer des ateliers de vente en circuits courts. Les associations ont, elles aussi, fortement investi ce deuxième volet du financement, en proposant notamment de mettre en œuvre des dispositifs d’aide à l’accompagnement des porteurs de projet en circuits courts (Amap Ile de France), à l’installation et à l’équipement des jeunes agriculteurs (CREAmap, Trame), à la transmission par le biais de mesures fiscales ou financières (Trame).

83 Seule la FNAB propose de développer un système de parrainage sur une exploitation, d’une manière similaire à ce que propose de son côté CREAmap France, par rapport à la mise en place de formations spécifiques à la commercialisation en AMAP et de formations de longue durée sur une exploitation référente.

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De même, la question foncière a suscité un intérêt particulier de la part des associations et des organisations professionnelles alternatives. En effet, elles encouragent souvent le développement de circuits courts sur de petites exploitations dans les zones périurbaines pour des consommateurs urbains et sont donc confrontées aux difficultés rencontrées par les porteurs de projet souhaitant s’installer en agriculture dans ces zones dans lesquelles la pression foncière est particulièrement importante (Aubry, Chiffoleau, 2009). Les préconisations avancées pointent ainsi le rôle des instances de régulation foncière que sont les SAFER et les Commissions Départementales d’Orientation de l’Agriculture (CDOA), afin, d’une part, de faire jouer pleinement leur rôle aux premières dans la préservation et l’identification des terres agricoles disponibles (Civam et IRABE) et d’autre part, de favoriser la représentation de la société civile dans les secondes (FNAB et Amap Ile de France).

L’investissement important des organisations alternatives et des associations accompagnant le développement de ces modes de commercialisation sur les questions de financement et de régulation de l’accès au foncier peut être compris comme une tentative visant à faire valoir leur expertise sur ces problématiques afin de crédibiliser leur rôle d’accompagnement des projets de circuits courts, notamment dans les zones périurbaines. A l’inverse, le désintérêt relatif des organisations dominantes et des autres acteurs pour ces questions marque un certain éloignement par rapport à la réalité concrète de l’accompagnement de ces projets sur le terrain. Pour eux, le développement des circuits courts passe principalement par leur intégration aux parcours de formation professionnelle.

Les deux blocs les plus homogènes en matière de répartition des propositions entre les différentes catégories d’acteurs sont ceux portant sur la régionalisation et la nécessité de faire émerger une charte protégeant l’utilisation de la mention circuits courts. Les propositions identifiées dans le bloc « régionalisation » sont ainsi très consensuelles, y compris à l’intérieur des trois sous-ensembles. Ceci dit, on peut noter que sur les six propositions formulées par les organisations professionnelles, les organisations dominantes n’en ont formulé qu’une seule, dénotant leur faible investissement dans les arènes de gouvernement territorial et la difficulté qu’elles éprouvent encore à faire émerger des relations partenariales avec les collectivités infradépartementales. Ainsi, tous les acteurs mettent en avant la nécessité de « privilégier les démarches territoriales » (MEEDDAT) ou de « développer des organisations collectives impliquant davantage les acteurs du territoire » (FNAB), même si ces propositions fonctionnent finalement plus comme des incantations que comme de véritables propositions d’actions concrètes. De même, la régionalisation des approvisionnements (notamment dans le

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cadre de la restauration collective) a fait l’objet de propositions consensuelles, mais d’une manière plus opératoire, les acteurs proposant par exemple de « faire évoluer la législation des marchés publics pour faire valoir préférence locale pour produits de qualité / proximité » (Terres en Villes) ou encore d’« adapter les marchés publics pour territorialiser les approvisionnements » (Civam). Enfin, le dernier sous-ensemble de ce bloc pointe de manière homogène la nécessité d’un soutien public à ces démarches, la FNSEA proposant par exemple la mise en œuvre d’une charte de service public engageant les collectivités territoriales à soutenir le montage de projets de circuits courts. De son côté, l’AdCF propose de financer les actions de développement local auxquelles se rattachent les actions de développement des circuits courts via l'axe 3 du FEADER.

Si les organisations dominantes sont très largement en retrait en matière de propositions portant sur la dimension régionale des circuits courts, elles réinvestissent plus fortement la question de la protection de l’utilisation de la mention « circuits courts », en formulant trois des six préconisations parmi leur groupe de référence. Ce point est également une conviction partagée par la majorité des participants, puisque sur les vingt-trois organisations ayant formulé des propositions, treize en ont au moins formulé une dans ce bloc. Une partie importante de ces préconisations porte sur l’édiction d’une charte permettant de règlementer l’usage de la notion de circuits courts par les opérateurs économiques (position de la FNSEA, de la FNAB, du Cemagref et de la CGAD), en spécifiant parfois des contraintes qualitatives (position de la Confédération paysanne, de Y. Chiffoleau et de Trame) et / ou règlementaires (position de l’UNFD). Malgré le fort investissement des différentes organisations sur ce point, il est notable qu’il n’ait pas été conservé dans la version finale du plan d’action national, aucune marque ou certification spécifique à la commercialisation en circuits courts n’ayant été stabilisée par les pouvoirs publics ou les organisations professionnelles, en dehors de la définition officielle de ces modes de commercialisation – sur laquelle nous reviendrons.

Le dernier bloc renvoie à l’amélioration et à la diffusion des connaissances relatives aux circuits courts. Contrairement aux cinq autres blocs de propositions, les principaux contributeurs ne sont pas les organisations professionnelles, qui arrivent en deuxième position avec 24 % des préconisations, mais les chercheurs. Celles-ci portent sur la nécessité de faire évoluer les données de la statistique agricole pour pouvoir prendre en compte dans les grandes enquêtes nationales les chiffres associés à la commercialisation via des circuits courts (F. Olivier, J.-B. Traversac et D. Capt), la mutualisation des expériences réussies afin de favoriser la diffusion des connaissances sur ces modes de commercialisation (Y. Chiffoleau et

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F. Olivier) et la nécessité de structurer et financer des recherches à l’échelle régionale et nationale autour de ces objets de recherche (F. Olivier, Y. Chiffoleau et D. Capt). La proposition de produire des référentiels technico-économiques spécifiques aux exploitations commercialisant leurs produits via des circuits courts est portée par D. Capt, la FNAB et Coop de France. Parmi les organisations professionnelles, c’est principalement l’APCA, relativement discrète par ailleurs, qui investit cet axe lié à la production et à la diffusion des connaissances, ses positions se rapprochant assez fortement de celles des chercheurs. Elle préconise en effet l’intégration d’un volet circuits courts aux principales enquêtes de recensement agricole, la diffusion de l’information existante sur les circuits courts à l’échelle nationale, ainsi que la réalisation d’un état des lieux sur les modes de commercialisation existants. Les associations, quant à elles, investissent spécifiquement l’axe de la diffusion des bonnes pratiques et de la mutualisation des connaissances opérationnelles (Trame, Terres en Villes et Amap Ile de France). La centralité des scientifiques dans ce bloc peut se comprendre comme le résultat d’un travail visant à faire valoir leur expertise académique, détachée de tout enjeu politique, au contraire de l’expertise détenue par les Chambres d’agriculture et l’APCA (Paranthoën, 2015).

Le poids prépondérant des organisations professionnelles dans cette procédure ne doit pas tromper le lecteur : elles n’investissent pas la concertation de la même manière et ne défendent pas les mêmes positions. En fait, les préconisations formulées donnent à voir le rôle important des organisations alternatives et leur investissement dans la procédure, notamment sur les questions d’accompagnement et d’installation, points sur lesquels elles ont notamment su nouer des coalitions fortes avec les associations développant ces modes de commercialisation. Toutefois, elles ne parviennent pas à stabiliser un champ d’expertise qui leur serait propre et au sein duquel elles parviendraient à problématiser et institutionnaliser une position commune à l’égard de la distribution des produits. L’investissement des chercheurs dans la proposition de pistes d’action est, à l’inverse, beaucoup plus sporadique et concentré sur le contrôle de la production et de la diffusion des connaissances relatives aux circuits courts, champ dans lequel ils parviennent à imposer leur expertise savante. Enfin, les collectivités territoriales et les représentants de la filière et du commerce sont les deux groupes ayant le moins investi la procédure de consultation. Alors que les représentants des collectivités territoriales ont plutôt investi les champs de l’accompagnement, de la formation et de la régionalisation, les acteurs de la filière et du commerce ont plutôt souhaité émettre des propositions relatives à l’idée d’une charte relative aux circuits courts et à l’utilisation des

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outils collectifs comme instruments de développement des circuits courts, sans toutefois adopter de véritable position commune sur aucun de ces sujets.

2.3. Problématisation et définition des enjeux : des préconisations au plan

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