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1- Regards croisées des gestionnaires en ressources humaines et des juristes en droit du travail

I- Regard des gestionnaires en ressources humaines

49. La GPEC est une composante essentielle de la gestion des ressources humaines74, c’est-à-dire de « l’ensemble des activités qui permettent à une organisation de disposer des ressources humaines correspondant à ses besoins en quantité et qualité »75. Il convient de bien distinguer la discipline gestion des ressources humaines de la pratique GPEC. La gestion des ressources humaines menée au sein des établissements sanitaires doit permettre de disposer, au sein du service requis, en temps et en heure, des compétences nécessaires au fonctionnement de l'organisation. De manière plus prospective, la GPEC consiste à prévoir et anticiper les emplois, les métiers et les compétences pour disposer au même instant « T » des compétences nécessaires.

50. Dépassant l’administration du personnel pour envisager le management stratégique du capital humain, la gestion des ressources humaines a tenté de définir à moult reprises la GPEC. La divergence des auteurs quant à la définition témoigne certes de l’absence de consensus mais plus encore de la nécessité de nous rapprocher d'une vision plus juridique de la notion.

II- Regard des juristes en droit social

51. En créant l'obligation triennale de négocier la GPEC dans les entreprises et groupes comportant au moins 300 salariés, le droit du travail a très vite manifesté son intérêt pour cet « objet juridique non identifié » qu'est la GPEC. Entendu comme « l’ensemble des règles

74 Monsieur Patrice ROUSSEL définit la GRH comme « l’ensemble des activités qui visent à développer l’efficacité collective des personnes qui travaillent pour l’entreprise. L’efficacité étant la mesure dans laquelle les objectifs sont atteints, la G.R.H. aura pour mission de conduire le développement des R.H. en vue de la réalisation des objectifs de l’entreprise. La G.R.H. définit les stratégies et les moyens en RH, les modes de fonctionnement organisationnels et la logistique de soutien afin de développer les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs de l’entreprise. P. ROUSSEL est coordinateur de l’équipe de recherche au LIRHE, Laboratoire Interdisciplinaire de recherche sur les Ressources Humaines et l’Emploi, créé en 1995.

75 Définition reprise par L. CADIN, F. GUERIN et F. PIGEYRE, dans « Gestion des ressources humaines » éditions DUNOD 2007.

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juridiques applicables aux relations individuelles et collectives qui naissent entre les employeurs privés et ceux qui travaillent sous leur autorité, moyennant une rémunération, le salaire »76, le droit du travail s’immisce donc au cœur de l’établissement de santé pour organiser la vie des professionnels de santé salariés. Dès lors, ce droit « vivant »77 ou « flexible »78, dont on dit qu’il « fait corps avec l’histoire, et n’aura pas demain la même utilité qu’hier ou aujourd’hui »79 trouve une place de partenaire privilégié au côté de la gestion des ressources humaines et du droit de la santé.

52. Pluridisciplinaire par nature, le droit du travail interroge d'autres branches du droit dont le droit des obligations, le contrat de travail étant soumis aux règles du droit commun. Il interroge également le droit du contentieux administratif, notamment lors de la mise en œuvre du licenciement d'un représentant du personnel salarié. De même, dans le contexte établissement de santé, la compétence en droit de la santé est tout à fait primordiale, afin de gérer des établissements organisés autour de l’homme, c’est-à-dire du patient ou de l’usager, en tant que sujet de droit. Le droit du travail est également ouvert à d'autres disciplines non juridiques, ayant toutefois le droit du travail pour objet, telles que la sociologie et l'économie du travail, l'ergonomie ou l'histoire sociale80.

53. Ainsi que le précise Monsieur Dominique BALMARY, « comme toujours en matière sociale, il est prudent de bien voir d’où l’on vient avant d’envisager la route à prendre. Le droit naît de la mémoire »81. Dès lors, pour bien comprendre le lien entre GPEC et santé, intéressons-nous aux origines du droit du travail et aux premières traces de salariat au sein des établissements de santé. L'abolition des corporations, consécutive au Décret d'Allarde des 2 et

76 Définition donnée par Monsieur Gérard LYON-CAEN.

77 Monsieur le professeur Jean-Emmanuel RAY parle de droit « vivant », confronté à la société, et qui en subit les crises et les révolutions. J.-E. RAY, Droit du Travail, droit vivant, 22ème éd., Liaisons, 2013. Pour une étude plus approfondie, G. COUTURIER, Droit du travail, Coll. Droit fondamental, éd. PUF, 1991. F. DUQUESNE, Droit du travail, 2° éd., Coll. Manuel, éd. Gualino, 2006. F. FAVENNEC-HERY, P.-Y VERKINDT, Droit du travail, 2° éd., Coll. Manuel, éd. LGDJ, 2009. J. PELISSIER, A. SUPIOT, A. JEAMMAUD, G. AUZERO, Droit du travail, 24° éd., éd. Dalloz-Sirey, 2008.

78 Le Doyen CARBONNIER a développé l’idée d’une flexibilité naturelle des normes juridiques. « Flexible droit – Textes pour une sociologie du droit sans rigueur», LGDJ. Aujourd’hui, le droit du travail est lui aussi très largement concerné par une flexibilité non plus naturelle, mais directement organisée par le législateur.

79 Gérard LYON-CAEN.

80 E. PESKINE, C. WOLMARK, Droit du travail 2014. Dalloz. p. 5-6. Pour une étude approfondie, A. LALLEMANT, Le travail. Une sociologie contemporaine, Folio, coll. Essais, 2007. P. FALZON (dir.), Ergonomie, PUF, 2004.

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17 mars 179182 et à la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 179183, est souvent perçue comme la première forme embryonnaire du droit du travail en France. Pour autant, ces lois n'ont eu pour incidence que d'interdire l'organisation et le regroupement des travailleurs subordonnés. Pour rechercher les origines du droit du travail au sens moderne du terme, c'est-à-dire au sens du droit qui régit le salariat84, il convient de remonter aux premières lois régissant le temps de travail et notamment la loi du 22 mars 184185 limitant le travail des enfants dans les usines.86

54. Précisons également que dans le cadre de la profession médicale, le salariat est souvent perçu comme un mode attentatoire au modèle libéral. Le paiement de vacation dans les dispensaires qualifié de « médecine sociale », constitue la première forme de salariat pour les médecins. Dans la pratique, les professionnels libéraux complétaient leur activité par un temps partiel. Il faudra attendre les années 1950 pour voir se développer le mode d'exercice salarié de la médecine. Les médecins conseil de la Sécurité Sociale, les médecins inspecteurs et médecins du travail sont les premiers praticiens exerçant leur activité salariée à temps plein. Cette forme de pratique médicale sera consacrée par la modernisation de l'hospitalisation publique et privée ainsi que par la création des CHU en 1958, créant un corps de praticien hospitalier à temps plein. Toutefois, dans le secteur privé, l’exercice salarié à temps plein reste rare. Les praticiens ont d’avantage tendances à combiner une pratique libérale de ville, et une pratique en clinique privé, le plus souvent spécialisée87.

82 Le décret « d’Allarde » du 2 et 17 mars 1791, supprime les corporations et de ce fait, introduit un changement radical dans l’économie et l’organisation du travail. Les corporations sont des regroupements de personnes exerçant le même métier.

83 La loi « Le Chapelier » du 14 juin 1791, renforce le décret « d’Allarde », et sera également l’occasion d’interdire le droit de grève.

84 A ce titre, précisons que Monsieur G. LYON-CAEN s’est intéressé aux activités se situant aux limites du salariat. En ce sens, G LYON-CAEN, Le droit du travail non salarié, éd. Sirey, Paris, 1990. 85 Cette loi, limitée au secteur industrielle, interdit le travail aux enfants de moins de 8 ans. Elle sera renforcée par la loi du 19 mars 1874 qui interdit le travail aux enfants de moins de 12 ans, sauf dérogations. Quelques années plus tard, la loi du 2 novembre 1892, viendra également limiter le travail des femmes et des enfants.

86 G. AUBIN, J. BOUVERESSE, Introduction historique au droit du travail, PUF, coll. Droit fondamental, 1995. J.-P. LE CROM (Dir.), Deux siècles de droit du travail, Les éditions de l'Atelier, 1998.

87 F. -X. SCHWEYER, Les médecins aujourd’hui en France - Histoire et démographie médicales - L’essor de la profession médicale en France : dynamiques et ruptures, adsp n° 32 septembre 2000, p. 18.

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55. Rappelons que le statut de médecin salarié est un statut paradoxal88, source de contentieux jurisprudentiel et doctrinal en termes de responsabilité. En effet, ce dernier accepte un lien de subordination, alors même que l'article R.4127-5 du Code de santé publique dispose que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». Dès lors, au regard notamment de l'article R.4127-95 du Code de santé publique qui précise que « le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat n'enlève rien à ses devoirs professionnels et, en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions », les juridictions françaises ont longtemps considéré le médecin comme un salarié « à part ».89 Ainsi, dans une décision du 14 février 200090, le Tribunal des Conflits précisait que eu égard à l'indépendance professionnelle dont il bénéficie dans l'exercice de son art qui est au nombre des principes généraux du droit, le principe d'une responsabilité personnelle du médecin salarié devait être maintenu. Le professionnel libéral salarié apparaissait comme « l'archétype du salarié para-subordonné. Le concept de para subordination semblait, en effet, des plus adapté au monde du salariat libéral. Même salarié, le praticien restait donc, avant tout un médecin, tenu aux mêmes devoirs, déontologiques notamment, et obligations que tout confrère ayant choisi un autre mode d'exercice ».91

56. La Haute juridiction refusait donc d'appliquer au contentieux médical, la jurisprudence « Costedoat » du 25 février 200092, qui précisait pourtant que « n'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui été impartie par son commettant ». Il faudra patienter jusqu'aux revirements jurisprudentiels du 9 novembre 200493, pour que la Cour de cassation fasse du professionnel

88 F. VIALLA, O. BONNIJOLY, Les grandes décisions du droit médical, direction F. VIALLA. LGDJ. p. 563-572.

89 F. VIALLA, O. BONNIJOLY, op. cit.

90 T. confl. 14 févr. 2000, Bull. civ. N°2; D. 2000, IR p. 138. JCP G 2001, II, 10584, note J. Hardy. Cette responsabilité personnelle du médecin salarié, a par la suite été étendue aux fautes commises par son équipe de soins. Cass, 1re civ., 13 mars 2001, Bull. n°72.

91 F. VIALLA, Subordination ou indépendance, Revue Droit et santé, mars 2005, n°4, p. 103.

92 Cass. Ass. Plén., 25 févr. 2000, “Costedoat”, Bull. civ. N°2. R., p; 257 et 315. GAJC, 11ème éd., n°217. BICC 15 avril 2000, concl. KESSOUS, note PONROY. D. 2000, p. 673, note BRUN et somm. p. 467, obs. DELEBECQUE. JCP G 2000, II, n°10295, concl. KESSOUS, note BILLIAU, JCP G 2000 n°26 241 I p. 1244, obs. VINEY. Gaz. Pal, 2000. 2. 1462, note RINALDI.

93 Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n°01-17908; Gaz. Pal, janv. 2005, n°27. G. FAURE, M. DAURY-FAUVEAU, E. REVAUX ESTELLE, F. JAMAY, I. CALLIES, G. GUERLIN, C. MANOUIL, I. MULLER-QUOY, LPA, 20 février 2006, n°36. D. DUVAL-ARNOULD, S. PORCHY-SIMON, JCP G 2005, n°7, II, 10020. F. VIALLA, « Subordination ou indépendance », Rev. Droit et santé, n°4, p. 103. P. JOURDAIN, RTD civ., 2005, p. 143. F. CHABAS, D. 2005, p. 143. J. PENNEAU, D. 2005, p.

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de santé, un salarié « à part entière », protégé par l'immunité posée par la jurisprudence « Costedoat ». Elle affirme que « le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l'établissement de santé privé n'engage pas sa responsabilité à l'égard du patient ». Cette « immunité » est dorénavant applicable à l'ensemble des professionnels de santé soumis au contrat de travail et à sa législation.

57. A bien des égards, droit social et droit de la santé se croisent et s'entremêlent. C'est à ce titre que l'on voit parfois apparaitre la notion de « droit sanitaire et social ».94 Selon certains auteurs, cette terminologie désignerait un ensemble plus large comprenant droit de la santé et droit social.95P (*/ 5 N0 *+/ 42B,)2N0r, /0,+2, C:)4 C 4-+54 5& 2,r- 4/ 0 *24, - 5*5/ (, + 54) 0

santé les trois composantes que constituent les secteurs sanitaire, social et médico-social.96 En tout état de cause, les textes et la législation du travail trouvent une place toute particulière dans la fonction publique hospitalière ainsi que concernant les personnels hospitaliers.97 De même, rappelons que le droit de la Sécurité sociale98 et notamment le dispositif de protection sociale, constitue l'un des fondements de notre système de santé.

58. Dès lors, le droit du travail et le droit de la santé s'affrontent et se conjuguent. On ne peut d'ailleurs que s'interroger sur l'anachronisme de cette relation. Le droit du travail, dont l’étymologie latine tripalium signifie instrument de contrainte ou de torture, s’accommode assez mal de l’état complet de bien-être physique, mental ou social99 visé par le droit de la santé. Cette singularité révèle toute la difficulté du sujet.

407. Cass. 1re civ. 9 nov. 2004, n°01-17168. F. VIALLA, op. cit. F. VIALLA, Retour à Costedoat, Rev. Droit et santé, 2007, n°20, p. 730.

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Cette terminologie est notamment reprise dans la revue de droit sanitaire et social.

95 D. TRUCHET, J. MOREAU, Droit de la santé publique, Dalloz, coll. Mémentos, 2004, p. 14 et s. G. ROUSSET, L'influence du droit de la consommation sur le droit de la santé. Thèse présentée et soutenue publiquement le 25 octobre 2007. p. 44.

96 G. ROUSSET, op. cit. p. 44.

97 Pour une étude approfondie, J.-M, AUBY, Réflexions sur les rapports du droit de la fonction

publique et du droit du travail au travers du cas du secteur hospitalier, Dr. soc. 1989, p. 153. D.

TRUCHET, Le médecin dans l'hôpital public en France, RID comp.; 1987, n° spéc. p. 279. G. ROUSSET, op. cit. p. 37-38.

98 Pour une étude approfondie, BORGETTO (M.), DUPEYROUX (J. -J), LAFORE (R.), Droit de la

sécurité sociale, 16° éd., Coll. Précis Dalloz, Dalloz-Sirey, 2008. DUPEYROUX (J-J), PRETOT (X.), Droit de la sécurité sociale, 12° éd., Coll. Mémentos, Dalloz-Sirey, 2008. MORVAN (P), Droit de la protection sociale, 4° éd., Éd. Litec, 2009. LABORDE (J.-P.), Droit de la sécurité sociale, éd. PUF, éd. 2005.

99 Selon l'OMS, « la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste

pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Préambule de la Constitution de l'OMS,

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59. Tel un droit ambivalent, le droit du travail protège donc d'une part les travailleurs, mais autorise d'autre part leur soumission. Dès lors, pourquoi un droit du travail?100 Quelle est la finalité de ce droit associé au secteur sanitaire? La fonction du droit du travail n'est pas uniquement une contrainte pour le management. Bien au contraire, cette discipline peut aujourd'hui être envisagée comme une technique de gestion de l'établissement de santé, à disposition des dirigeants, permettant notamment d'aménager le temps de travail, d'organiser les services et de gérer stratégiquement le personnel.

§2- Regards croisés des géographes de la santé et des juristes en droit de la