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§2 - Regards croisés des géographes de la santé et des juristes en droit de la santé

Section 3 Présentation de l’étude

73. « Adopter une innovation c’est aussi l’adapter »113. Assurément aborder la GPEC sous l’angle du droit de la santé vise à nous permettre de découvrir des voies jusque-là inexplorées. En effet, il n’y a pas une vérité, mais un outil, qu’il convient d’adapter aux spécificités des établissements pour en faire une véritable « GPMC » attachée au secteur sanitaire.

74. Issue des pratiques RH et consacrée institutionnellement par le droit du travail, la GPEC trouve donc un intérêt particulier dans le domaine de la santé, où elle est confrontée au particularisme et au pluralisme de ses établissements. L’« invariant », la règle commune de droit du travail est confrontée aux « contingents », aux cultures d’entreprise de chaque établissement de santé, véritable originalité et richesse du sujet. La transposition de la GPEC au domaine de la santé, trouve ainsi des orientations différentes en fonction de la nature des établissements concernés et nécessite une conception de la GPEC dite « sur mesure », le

111 Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens. 112 Colloque AFDS-ISFCD, op. cit.

113 M. CALLON, Eléments pour une sociologie de la traduction. L’année sociologique, n°36. 1986. M. CALLON, B. LATOUR, Les paradoxes de la modernité – Comment concevoir les innovations. Prospective et santé, n°36.

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dénominateur commun de chaque établissement demeurant, encore et toujours, la qualité de la prise en charge du patient.

75. Le fil conducteur de cette thèse sera donc la qualité des soins, à laquelle toute démarche GPEC doit participer. Pour définir la notion de soin, nous ferons référence à l’ambivalence de la prise en charge, ainsi qu’à la notion de soin « équilibré », oscillant entre « cure » du latin curare et « care », renvoyant au prendre soin. La singularité du secteur de la santé, impose à la GPEC d’être une démarche « sur mesure », répondant aux prescriptions des tutelles c’est-à-dire de l’ARS et épousant les formes de l’établissement en s’adaptant à son volet social ainsi qu’à ses valeurs. Ce n’est qu’à ce prix que l’établissement pourra tendre à former du personnel compétent, disponible, adaptable, prêt à réaliser un travail de qualité.

76. A travers cette étude nous démontrerons que la GPEC en santé s’articule autour de deux « cercles vertueux », visant d’une part à améliorer la qualité de prise en charge du patient, d’autre part à l’équité dans l’accès aux soins.

77. Le premier « cercle vertueux » établit une filiation entre GPEC et qualité des soins, via l’amélioration des conditions de travail des professionnels de santé. Ainsi, lorsque la GPEC tend à promouvoir l'amélioration des conditions de travail, elle tend à favoriser l'accomplissement d'un travail de qualité, et corrélativement la qualité des soins.

78. Le deuxième « cercle vertueux » s’inscrit dans le cadre territorial pour établir une filiation entre GPEC Territoriale, géographie de la santé et justice sociale dans l’accès aux soins. Ainsi, lorsque la GPEC s’appuie sur le diagnostic des inégalités territoriales des géographes, elle tend à anticiper les inégalités de demain et participe de l’équité et de la justice sociale dans l’accès aux soins.

79. Au cours de cette démonstration nous nous attacherons à présenter la GPEC sous l’angle du binôme théorie - pratique. En effet, « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi »114. Ici nous avons fait le choix de réunir notion et pratique, « droit savant » et

114 Albert EINSTEIN. « La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique: Rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi ! ».

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« droit vivant »115, car au-delà de l’objectif scientifique, cette thèse a une portée essentiellement expérimentale.

80. La relation entre notion et pratique, entre savoir et action est essentiellement une relation asymétrique. La notion précède et détermine nécessairement la pratique. En effet, la théorie peut être construite de façon autonome, or la pratique n’existe que parce qu’elle est dépendante de la théorie. La pratique GPMC est donc née d’un savoir juridique dont elle est la mise en œuvre ou l’application.116 Si de toute évidence, le droit du travail représente le socle juridique de la notion, nous ne pouvons que constater que loin d'être figée, la GPEC est en perpétuelle évolution. Elle se construit pas à pas, au gré des établissements de santé, l'adaptant aux particularismes et aux exigences du droit de la santé.

81. Du praticien au pratiquant, cette thèse a vocation à confronter la règle de droit à la réalité du terrain, le principe prescrit et l’exécution qui en est faite. Cette forme d’étude expérimentale de la GPEC nous permettra de constater le « processus de transformation d’une réalité en une autre, requérant l’intervention d’un opérateur humain »117. Cette méthode heuristique présente l’intérêt d’interroger ce qui est transformé par la pratique mais aussi la plus-value apportée par la transformation. L’objectif ici étant de constater l’efficacité de la pratique.

82. La GPEC étant une notion complexe et vivante, ces travaux sont destinés à un public de juristes mais également de professionnels de santé et de directeurs d'établissements intéressés par la dynamique GPEC. Face à la complexité croissante du droit des établissements, cette thèse vise à transmettre les connaissances nouvelles et nécessaires à la compréhension du mécanisme GPMC, aux directeurs d'établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

83. De fait, la GPEC est souvent perçue comme une notion paradoxale, à double visage, dont les contours mal définis lui confèrent de multiples interprétations. En tant que dispositif technique très encadré, la GPEC serait une notion mal définie source de contentieux, une

115 F. VIALLA, op. cit. p. 4.

116 M. GUIGUE, Autour du mot « pratique ». Recherche et formation, n°27, 1998. p. 115-122.

117 J.-M. BARBIER, L'analyse des pratiques : questions conceptuelle, dans C. Blanchard-Laville, D. Fablet, L'analyse des pratiques professionnelles, Paris, L'Harmattan, 1 996, pp. 27- 49, (p. 31). M. GUIGUE, op. cit.

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contrainte juridique, mais toujours dans une logique de gestion des risques. Par rapport aux ambitions affichées, elle demeurerait une notion « mythique », controversée, un simple outil au service des ressources humaines dont les applications resteraient limitées. Cependant, de simple mécanisme obligatoire source de contentieux jurisprudentiel, son image devrait changer : la GPEC se doit d'être vue « autrement ».

84. S’il est vrai qu’elle est parfois le signe avant-coureur de restructurations à venir, elle est avant tout une véritable « démarche » prévisionnelle et opérationnelle, favorisant la gestion anticipée des besoins en ressources humaines en direction du développement des activités de santé via une meilleure qualité de la prise en charge des patients. Dès lors, si l’on envisage la GPEC différemment, elle constitue surtout une réelle opportunité, un outil stratégique de management incontournable pour les établissements de santé, permettant de garantir leur pérennisation.

85. Au regard de ces éléments, il est essentiel de structurer notre étude autour de deux questionnements : D’une part, comment la contrainte juridique s’adapte-t-elle aux établissements de santé ? Cette question sera étudiée tant du point de vue de la qualification de la GPEC que des contentieux entourant la notion. D’autre part, comment transformer la contrainte en opportunité stratégique ? Cet aspect sera étudié tant sous l’angle de l’établissement que du territoire de santé.

86. Cette approche de la GPEC en santé sera l’occasion d’appréhender la transformation de la notion en un véritable outil stratégique interrogeant la qualité de prise en charge du patient, l’équité dans l’accès aux soins, et plus généralement l’hôpital de demain.

87. Nous envisagerons donc la GPEC, sous l’angle de la contrainte juridique pour l’établissement (Première partie) et sous l’angle de l’opportunité stratégique pour l’établissement et le territoire de santé (Seconde partie).

Partie I- La GPEC, une contrainte juridique pour l’établissement de santé.

Partie II- La GPEC, Une opportunité stratégique pour l’établissement de santé et le territoire de santé