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LA GPEC ET LE CONTENTIEUX DES RESTRUCTURATIONS

Section 2- Articulation contentieuse entre GPEC et restructuration

II- Articulation contentieuse quant au statut collectif

456. Si aujourd’hui la plupart des établissements sont conduits à fusionner ou plus largement à coopérer, les Conventions Collectives Nationales du secteur sanitaire, social et médico-social semblent également contraintes d’évoluer, voire d’être « révisées » ou « rénovées » sous la pression des organisations patronales et des financeurs. Ainsi que l’affirme Madame Céline POULET, directrice adjointe de la FEGAPEI654

« on se situe aujourd’hui dans un nouveau contexte, et l’outil conventionnel doit s’adapter ».

457. Les « rénovations » des Conventions Collectives 51 et 66 semblent pourtant particulièrement difficiles à mettre en œuvre, dans un contexte de rigueur budgétaire et de climat social fortement dégradé. Alors que le 1er septembre 2011, la FEHAP décidait de dénoncer partiellement la Convention Collective 51, les négociations tendant à rénover la Convention Collective 66 semblaient également demeurer au point mort. En effet, afin de s’adapter à la logique de marché et de la concurrence généralisée entre établissements, la FEHAP a présenté un projet de révision de la Convention Collective rénovant notamment le déroulement de carrière des salariés, la reprise de l’expérience professionnelle à l’embauche, la reprise d’ancienneté à l’occasion d’une promotion, la récupération des jours fériés ainsi que les indemnités de départ à la retraite et de licenciement. Somme toute, après 18 mois de

653D. LE ROUX, Le Cercle des DRH européens milite pour une gestion active de l’emploi. Actuel Ressources Humaines, 06-12-2012, www.actuel-rh.fr. Entre PEC anticipatrice et PSE, le Cercle des DRH européens propose la mise en place d’une Gestion Active de l’Emploi. Cette mesure devrait avoir été envisagée dans l’accord GPEC, être activée d’un commun accord par les signataires, et n’intervenir qu’après un accord de maintien dans l’emploi.

654Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées (FEGAPEI).

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négociations non fructueuses, l’organisation patronale a décidé de procéder à la dénonciation partielle de la Convention Collective.

458. La procédure de dénonciation décrite à l’article L.2261-10 du Code du travail, doit nécessairement respecter un calendrier s’échelonnant en trois étapes. Dans un premier temps, la dénonciation ne devient effective qu’à l’issue d’un délai de préavis de trois mois. En l’espèce la FEHAP a notifié sa dénonciation le 5 septembre 2011, celle-ci n’a donc été effective que le 5 décembre 2011. Dans un deuxième temps, la négociation entre les organisations syndicales et patronales doit s’engager pendant une période dite de survie de la Convention Collective, débutant à l’issue du préavis de trois mois, en l’occurrence le 6 décembre 2011. Dans un troisième temps, le délai de survie prend fin à l’entrée en vigueur d’un nouvel accord dit de substitution, ou à défaut d’accord, à l’issue d’une période d’un an, dans notre cas précis le 6 décembre 2012.

459. La dénonciation de la Convention 51 par la FEHAP ne s’est pas réalisée sans heurt, mais dans un climat social tendu, caractérisé par des mouvements de grèves, pétitions et contestations unanimes émanant des syndicats. En effet, les négociations entre les partenaires sociaux peinant à aboutir, et afin d’éviter tout vide conventionnel, le Conseil d’Administration de la FEHAP a pris la décision de formuler le 4 septembre 2012, et ce en cours de période de survie, une « recommandation patronale655

» ayant force obligatoire pour l’ensemble des adhérents. Cette recommandation dont l’objectif est de « répondre aux évolutions importantes des secteurs sanitaire, social et médico-social qui impactent l’environnement des établissements656

» reprend à l’identique l’accord de « restauration » présenté par la FEHAP. Pour autant, dans ce climat peu propice au dialogue social, le ministre de la santé a refusé d’agréer la décision unilatérale de la FEHAP. Ainsi, dans un communiqué de presse daté du 15 octobre 2012, Madame Marisol TOURAINE a rappelé « son attachement au dialogue social, [...] et se déclare favorable à la reprise des négociations dans un cadre permettant aux parties prenantes de se remettre autour de la table ». La FEHAP a donc été priée de reprendre

655Les recommandations patronales sont des décisions unilatérales prises par un groupement ou un syndicat d’employeurs, qui s’imposent à tous ses adhérents.

Définition Recommandation patronale - Editions Tissot http://www.editions-tissot.fr/droit-travail/dictionnaire-droit-travail

definition.aspx?idDef=686&definition=Recommandation+patronale#ixzz2BLL9ZmH3. 656FEHAP, Recommandation patronale du 4 septembre 2012.

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un calendrier de négociation, et ce, dans le respect du délai légal de négociation, à savoir le 6 décembre 2012.

460. En dépit de ces conflits, un avenant de substitution a finalement été conclu entre la FEHAP et les syndicats CFDT et CFE-CGC, le 12 novembre 2012657

. Pour autant, l’opposition majoritaire des organisations syndicales CGT, CFTC, et FO a rendu cet avenant inopposable aux 25 000 salariés des établissements concernés. Cette situation demandait donc à être clarifiée au plus vite. En effet, du fait de l’opposition majoritaire des organisations syndicales, la recommandation patronale prise par la FEHAP s’appliquait de droit aux établissements sanitaires non soumis à l’agrément. Les salariés des établissements sociaux et médico-sociaux, quant à eux, devaient attendre l’agrément de cette recommandation patronale. Ces établissements étaient donc soumis au régime pur et simple du code du travail et de l’avantage individuel acquis (AIA). ®t €{~ z } w|zˆ „€|¯z„°w~ |v†xwxy†}„œœ±²³ et après l’échec des négociations, le 2 décembre 2012, la FEHAP avec l’agrément du ministère imposait à tous les établissements sa recommandation patronale. Le 20 février 2014, un avenant dit de « rétablissement d’un socle conventionnel » a d’ailleurs été signé par la FEHAP, la CFDT, la CFTC et la CGC.

461. En tout état de cause, la dénonciation de la Convention 51 sera lourde de conséquences pour la gestion des ressources humaines et le management des établissements concernés. On peut d’ailleurs envisager que les organisations patronales de la Convention 66, SYNEAS658

et FEGAPEI, décident à leur tour de dénoncer leur Convention Collective... Dans de telles situations, il convient de s’interroger. Comment organiser la gestion des ressources humaines de ces établissements soumis à des statuts juridiques particuliers ainsi qu’à des grilles de salaires différentes par le jeu des avantages individuels acquis ? Comment anticiper l’évolution des emplois et des compétences, et négocier une démarche GPEC dans un établissement doté de personnels ayant des statuts et des cultures différentes, émanant du privé commercial, du privé non lucratif ou du public ?

462. Somme toute, dans les établissements dont la Convention Collective aura été dénoncée, il conviendra de mener à bien une démarche GPEC en tenant compte des avantages individuellement acquis par les salariés embauchés avant l’effectivité de la dénonciation. Les

657 Avenant n°2012-04 du 12 novembre 2012.

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salariés présents au jour de la négociation, c’est-à-dire trois mois après l’expiration du préavis, pourront prétendre au maintien de leurs avantages individuels acquis. En revanche, les salariés embauchés après cette date, c’est-à-dire pendant la période de survie de l’accord, ne conserveront pas ces avantages. En effet, selon la chambre sociale de la Cour de cassation, les salariés engagés après la dénonciation d’un accord collectif peuvent bénéficier des stipulations de cet accord pendant la période où il continue à produire ses effets, mais ils ne peuvent prétendre au maintien des avantages individuels acquis, à l’issue de cette période, dont seuls peuvent bénéficier les salariés engagés avant la dénonciation de l’accord659

. En dépit du principe « à travail égal, salaire égal », des différences de traitement peuvent donc s’opérer entre salariés, dès lors que le maintien des avantages individuels acquis a pour objet de compenser un préjudice subi par les salariés présents dans l’entreprise lors de la dénonciation de la Convention collective660

.

463. Selon la jurisprudence, l’avantage individuel est « […] celui qui procurait au salarié au jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif un droit dont il bénéficiait à titre personnel661

». Un droit individuel est donc un droit susceptible d’exercice individuel, éventuellement devant le Conseil de prud’hommes. Il s’oppose à l’avantage collectif susceptible d’être exercé par une représentation syndicale. La rémunération constitue ainsi un droit individuel qu’il s’agisse de son montant ou de sa structure662

. L’avantage acquis, quant à lui, est « […] un avantage correspondant à un droit ouvert et non simplement éventuel663

». Ainsi, les indemnités de licenciement ou de départ à la retraite, nés au moment de la rupture du contrat de travail, ne constituent pas des avantages déjà ouverts et donc acquis664

. Lorsque la Convention Collective sera dénoncée, l’avantage individuel acquis s’incorporera naturellement au contrat de travail. Seule une modification du contrat de travail pourra supprimer cet avantage « contractualisé ».

464. Au sein d’une même entité pourront donc coexister des salariés engagés avant la dénonciation et bénéficiant d’avantages individuels acquis, ainsi que des salariés n’en bénéficiant pas soumis à la stricte application du code du travail. En effet, les salariés

659Cass. Soc., 15 mai 2001, pourvoi n° 99-41.669. 660Cass. Soc., 21 février 2007, pourvoi n° 05-43.136. 661Cass. Soc., 13 mars 2001 – N° 99-45651.

662Cass. Soc., 1er juillet 2008 – N° 07-40799. 663Cass. Soc., 13 mars 2001 – N° 99-45651. 664Cass. Soc., 23 juin 1999 - 97-43162.

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embauchés pendant la période de survie de la convention, même s’ils ont bénéficié des avantages de cette convention pendant le délai de survie, ne bénéficieront pas des avantages individuels acquis proprement dits à l’expiration de cette période. Toutefois, la rémunération constituant un élément essentiel du contrat et ne pouvant être modifiée sans l’accord préalable du salarié, devra être maintenue à l’issue du délai de survie d’un an. En définitive, les salariés embauchés pendant la période de survie, ne bénéficieront pas des avantages individuels acquis à l’expiration de celle-ci, mais conserveront le montant et la structure de leur rémunération. Par ailleurs, les salariés embauchés à l’expiration du délai de survie ne bénéficieront d’aucune disposition dénoncée. L’employeur ne sera donc tenu, en aucune manière, d’effectuer une reprise d’ancienneté lors de l’embauche. Le montant de la rémunération sera également déterminé en vertu du principe de liberté contractuelle, sous réserve du respect du SMIC horaire et de l’adage « à travail égal, salaire égal ». Une inégalité de traitement entre salarié d’une même structure, appliquée en vertu du maintien des avantages individuels acquis, ne constitue donc pas une inégalité sanctionnée par la jurisprudence.

465. Si la différence de traitement ne constitue pas une inégalité sanctionnée, il sera toutefois difficile d’anticiper la gestion des emplois et des compétences auprès de salariés statutairement différents et ne bénéficiant pas des mêmes avantages en termes de rémunération ou de reprise d’ancienneté. Par ailleurs, il est certain qu’il ne sera pas aisé de d’anticiper l’évolution de l’emploi de professionnels issus de cultures différentes, émanant du privé commercial, du privé non lucratif ou du public. En effet, du fait de la dénonciation de la convention, l’employeur pourra être amené à recruter du personnel au niveau minimal légal du SMIC, sans aucun avantage conventionnel en termes de rémunération. Cependant, on peut difficilement imaginer que des salariés émanant du privé non lucratif accepteront des postes moins bien rémunérés que leurs collègues, ou que dans leur précédente association. En tout état de cause, si le directeur veut conserver un bon niveau de compétence dans son établissement, il est probable qu’il devra, même si la loi ne l’y contraint pas, négocier la grille de salaire ou la reprise d’ancienneté de ces salariés nouvellement embauchés. En outre, il sera complexe au cours d’une démarche GPEC, de proposer à des salariés de même qualification, des formations de développement des compétences identiques, mais ne débouchant pas sur un même niveau de rémunération du fait du maintien des avantages antérieurement acquis. Entre le minimum légal et l’avantage conventionnel, le directeur d’établissement devra donc trouver le juste milieu lui permettant de conserver son attractivité et l’équilibre financier de sa structure. À terme, la dénonciation des conventions risque de favoriser le jeu de la négociation

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individuelle au détriment de la négociation collective. En raison du manque de lisibilité des établissements par rapport à leur tarification, il est probable que le directeur privilégie le traitement individuel au traitement collectif, la tendance actuelle favorisant d’ailleurs l’accord local à l’accord de branche.

466. En effet, les réformes relatives aux systèmes de financement et de tarification665 , ont notamment instauré les tarifs plafonds, les EPRD666

, la fin du mécanisme de reprise des résultats et surtout la fin de l’opposabilité des conventions collectives pour les EHPAD et autres établissements d’accueil, d'hébergement et d'insertion667

. C’est dans ce contexte de rigueur budgétaire que l’établissement devra mener une politique dynamique de GPEC, en tenant compte des exigences de l’organisme financeur.

467. Le bouleversement de la logique budgétaire et tarifaire de ces établissements, vient ébranler la « culture » et « l’histoire668

» de ce secteur peu habitué à fonctionner avec une enveloppe plafonnée. En effet, « le statut de l’établissement, sa convention collective, son mode de gestion des ressources humaines ou encore ses coûts historiques, ne constituent plus à moyen terme des éléments déterminants du financement attribué669

». Dans un environnement financier contraint et tendu, il paraît ainsi difficile de garantir le maintien des avantages de la convention dénoncée au niveau de chaque salarié. Afin de s’adapter à cette nouvelle logique budgétaire, il est notamment probable que les départs à la retraite à venir entraînent un gel ou un redéploiement des postes, ceci afin d’éviter les licenciements.

468. En tout état de cause, les démarches GPEC entreprises par les établissements devront s’adapter à la logique de cet acteur qu’est la tutelle. Pour répondre aux enjeux du secteur, les organisations patronales ont d’ailleurs pour projet de créer une Convention Collective unique de branche modifiant les grilles de classification et de rémunération, et regroupant l’ensemble des conventions collectives couvertes par UNIFED, à savoir, la CCN 51, 66, Croix Rouge

665 Les réformes relatives aux systèmes de financement et de tarification ont été mises en œuvre par les lois de finance et de financement de la Sécurité sociale pour 2008 et 2009.

666État des Prévisions des Recettes et des Dépenses (EPRD).

667SSIAD (Services de Soins Infirmiers à Domicile), CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociales), SAD (Service d’Aide à Domicile), ESAT (Établissements et Services d’Aide par le Travail). 668UNIOPSS, Réformes de la tarification, Réflexion sur le positionnement politique de l’UNIOPSS, 22 sept. 2010.

669Assemblée Nationale, 13e législature. Réponse publiée au JO le 16-03-2010, p. 3164, à la question publiée au JO le 12-05-2009, p. 4500.

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Française, et Centres de lutte contre le cancer. Somme toute, beaucoup considèrent aujourd’hui que le système est « à bout de souffle », « car le secteur fonctionne avec des fonds publics sans que les pouvoirs publics jouent leur rôle d’acteur. Les employeurs ont perdu beaucoup de légitimité et n’arriveront plus à négocier seuls, ils sont assujettis à des contraintes externes et manquent de marge de manœuvre, ils n’ont plus la maîtrise ! 670

». 469. Si au regard de l’actualité juridique, l’articulation entre GPEC et restructuration est

source de conflits quant au statut juridique des professionnels, il apparaît qu’elle est également l’objet de contentieux prud’homaux quant à la procédure de licenciement