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Chapitre 3. La construction sociale du corps genré

3.1 L’adolescence et les changements corporels à l’épreuve: avoir un corps de femme

3.1.2 Le regard féminin sur les changements corporels des hommes

Comment les femmes parlent-t-elles des changements corporels des hommes? Quels sont changements chez les hommes qui leur paraissent significatifs et pourquoi? À première vue, dans les discours des femmes, les hommes sont présentés comme étant éloignés de leurs changements corporels et même de leur corps. Par exemple Karla, une femme urbaine :

57 P : Es más difícil para la mujer, los cambios porque (…) se va formando su cuerpo de mujer así es más

trastorno para ella viene su período, le crecen las bubis, sus caderas.

58 P : Creo que para la mujer es más difícil. Me imagino que sí. Por lo menos una mujer es más delicada, en sí,

aunque sean fuertes hasta más fuerte que uno, pero sí tienen más delicadeza, pasan más cosas ellas que uno. Los cambios que tiene un hombre cuando crece en sí en sí no es doloroso. Cuando pasa su menstruación y le llegan sus cambio y sí es más doloroso.

C : Comment penses-tu que les hommes vivent leurs changements corporels?

P : Je crois qu’ils les vivent de façon peu consciente. Je ne sais pas. Cette question est difficile, parce que je ne suis pas un homme. Je crois qu'ils vivent ces changements dans l’inconscient, comme s'ils ne sont pas tellement au courant des changements qu’ils vivent […] « Oh oui, c’est ça qui se passe », « Ah! J’ai une érection », « Oui, ça devait arriver » (Karla, 24 ans, non-Autochtone, urbaine) 59. Tout d’abord, le témoignage de Karla montre à quel point il est difficile de penser les hommes, en tant qu’êtres incorporés à un corps, qui traversent également des changements corporels lors du passage de l’enfance à l’adolescence. Pour les participantes, la norme et l’apprentissage des usages sociaux du corps impliquent un rapport au corps différent que celui-ci qu’ont les femmes. Les hommes apprennent à valoriser leur corps d’une façon différente que les femmes :

P : […] Je l'ai vu avec mon frère. Je crois qu’ils expérimentent ces changements plus facilement que les femmes. Pour eux, c’est plutôt de dire « Moi, je suis déjà un homme, et maintenant je peux faire ça et ça, je peux fumer, je peux flirter, je peux importuner les jeunes femmes, je peux, car je me sens plus fort (Luisa, 36 ans, non- Autochtone, urbaine) 60.

En effet, ce témoignage nous montre, comme nous l’avons vu précédemment au cours de notre analyse du discours des hommes, que, pour presque toutes les participantes, le corps des hommes est représenté comme étant plus fort. Soulignons que les positions dissonantes à cet égard (sur la plus grande force du corps des hommes) sont contestées par les femmes provenant des milieux ruraux, socialement défavorisées et âgées de plus de 40 ans (nous y reviendrons). Remarquons que, pour parler des changements corporels des hommes, Karla décrit ce qu’on peut faire avec un corps masculin. Ceci fait allusion à une division sexuelle, de genre perméable et dynamique, qui organise socialement les usages sociaux du corps, leurs limites et leurs possibilités. Dans ce schéma, le corps masculin est perçu comme un corps « sujet », actif, habité par le pouvoir de faire, ce qui contraste avec

59 I : ¿Cómo imaginas que los varones viven sus cambios corporales?/P: Creo que muy en la inconsciencia.

No sé. Es difícil esa pregunta porque no soy un hombre. Creo que ellos lo viven más en la inconsciencia, que no son tan conscientes de los cambios que tienen (…) “sí tenía que pasar”, “tengo una erección”.

60I : Los hombres ¿cómo vivirán estos cambios corporales?/P: Yo lo vi con mi hermano y pienso que es

mucho más pasable el trago para el hombre que para la mujer. Es más decir “ay ya soy hombre ya puedo, ya puedo hacer esto o aquello, puedo fumar, coquetear, corretear a las chavas, me siento más fuerte”.

tout ce qui n’est pas possible de faire avec un corps féminin. Notons que les rapports de genre sont une partie intégrante de la vie sociale et de l'organisation sociale ainsi que de la masculinité. Celle-ci est impliquée dans tous les aspects de la sociabilité (sociability), ce qui s’exprime par une présence plus affirmée des hommes dans l’espace public.

D'ailleurs, certaines participantes (surtout celles qui sont les plus scolarisées) ont indiqué implicitement et parfois explicitement l’origine sociale des contraintes qu’expérimentent les femmes et des libertés des hommes à l’égard de leurs corps, en soulignant comment les hommes sont encouragés à devenir des sujets autonomes dans des contextes comme le contexte mexicain :

P : Je crois que c’est plus facile de traverser ces changements en étant un homme, je crois qu’il est plus facile d'enseigner aux femmes à avoir honte de leurs corps, les hommes sont encouragés […] dans la société mexicaine, « Toi, homme, grandis, crie, regarde; par contre, toi, femme, tais-toi, couvre ton corps (Tatiana, 24 ans, non- Autochtone, urbaine) 61.

Le témoignage de Tatiana suggère que, dans un ordre corporel qui dévalorise et réifie les corps des femmes, il devient plus facile d'enseigner aux femmes à avoir honte de leur corps. Dans le même contexte, les femmes ne sont pas souvent encouragées à agir comme des sujets autonomes, et un des moyens pour favoriser leur adhésion à la normativité hégémonique est de les enraciner dans leurs corps. Notons que les femmes âgées de moins de 35 ans, de classes sociales moins défavorisées, avec un haut niveau de scolarité (plus de 12 ans) et provenant des milieux tant urbains que ruraux ont tendance à élaborer des interprétations qui leurs permettent de remettre en question cet « enracinement corporel féminin ».

En outre, chez presque toutes les femmes participantes, il y a aussi la tendance à penser les changements corporels des hommes comme étant moins problématiques. Grosso modo, les participantes ont tendance à définir les conséquences de ces changements chez les hommes comme plus positives sur le plan de leur identité sociale et sur le plan des émotions qui accompagnent ces changements :

61 P : Creo que sería más fácil vivir estos cambios siendo hombre. A las mujeres, creo que es más fácil

enseñarles vergüenza de su cuerpo, a los hombres se les alientan más (…) creo que dentro de la sociedad mexicana al hombre le dan como que si tú crece, grita, observa y las mujeres tú tapate, tú ni digas

P : Je crois qu’ils vivent leurs changements corporels en sachant qu’ils sont déjà hommes, qu’ils sont mieux (ils les expérimentent) avec plus de joie, avec plus de satisfaction (Edith, 33 ans, non-Autochtone, urbaine) 62.

Il est remarquable que cette femme affirme que les garçons sentent qu’ils sont mieux quand ils ont un corps d’homme. Ceci fait référence au schéma classificatoire de Bourdieu (1980) selon lequel le corps est valorisé et qu'il se trouve doublement fondé : dans la division sociale et dans la division sexuelle du travail. Rappelons que l'efficacité de ces usages sociaux et de la valorisation du corps est fonction de leur intériorisation et de leur incorporation. Ces processus confèrent leurs caractères naturels et légitimes aux identités, à la hiérarchisation des corps ainsi qu’aux inégalités qui en découlent. En même temps, ces processus permettent la naturalisation et l’incorporation des possibilités, des restrictions et des contraintes du corps : ce que l’on peut faire avec un corps d’homme ou de femme, ce qui à la fois exprime une hiérarchisation du masculin et du féminin.

3.2 La corporéité féminine et les changements corporels plus significatifs chez les