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Chapitre 1. Concepts fondamentaux et revue générale des écrits

1.4 Théories et concepts sur la race et l’ethnicité

1.4.1 L’étude de la race et ses concepts fondamentaux

La race est un concept qui signifie et symbolise les conflits d’intérêts et sociaux qui font référence à la différence phénotypique des corps humains (Omi et Winant, 2005; Murji et Solomos, 2005). Elle peut être définie comme l'ensemble de caractéristiques phénotypiques et biologiques héritées à travers laquelle les frontières d'appartenance ou d'exclusion d'une population ou collectivité sont construites (Wade, 2010, 2002). La race fonctionne dans la négation des rapports sociaux qu’elle naturalise et justifie la violence et l’exclusion du groupe racialisé. En effet, dans l’imputation d’altérité raciale, la « race », en tant que « signifiant », a pour but de signifier la croyance en une différence dont l’origine est biologique et pratiquement immuable (Lorcerie, 2003: 38).

Max Weber (1995) a établi un lien entre ce qu’il a nommé l’« appartenance de race » et la « communauté ». Pour lui, l’appartenance raciale se réfère à la possession de dispositions semblables acquises et transmissibles par l’hérédité et fondées sur la communauté d’origine. Cependant, celle-ci ne conduit à une communauté que si elle est ressentie subjectivement comme une caractéristique commune. Selon Weber il n’y a de « race » que s’il y a une « conscience de race » ancrée dans une appartenance communautaire (Wievirkova, 1991). Cette approche, développée à partir des années 20 au sein de l’école de Chicago, a contribué à déplacer le cadre de référence de la race vers la culture. Par ailleurs, elle a mis l’accent sur les relations interculturelles entre groupes en replaçant la naissance des relations de race dans une perspective historique. Cependant, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la race est généralement restée comme une catégorie

ordinaire de la perception sociale liée à l’idée des positions dans l’évolution biologique (Wade, 2002).

Quant au concept de racisme, certains auteurs suggèrent que, au cours des XIXe et XXe siècles les sciences sociales ont largement contribué à son invention et à sa mise en forme doctrinaire (Murji et Solomos, 2005; Banton, 2002). Par exemple, Goldberg (2005) indique que, à cette période, une conjonction particulière entre des changements économiques (l’industrialisation), idéologiques (l’égalitarisme), scientifiques (biologisme, historicisme), liés de manière indissociable à l’expansion européenne et le projet colonial, a engendré cette adaptation des discours de la domination aux conditions de la « modernité » (Goldberg, 2005). Au contraire, Wacquant (1997) indique que l'expansion coloniale et le racisme ne sont pas des processus concomitants, ce qui s'exprimerait par le fait que le racisme ne s'est pas seulement dirigé vers des gens de couleur (people of color). En effet, pour Wacquant, les premiers groupes humains qui ont été racialisés par l'Occident étaient aussi des Européens.14 Il suggère qu'il existe aussi une tradition non occidentale liée au racisme. Wacquant indique également le besoin de dépasser les analyses sur le racisme et la race qui se focalisent sur le discours et de plutôt se tourner vers le besoin de démasquer les mécanismes à travers lesquels l'ordre racial ainsi que les divisions et fictions raciales sont mises en oeuvre. Il propose donc d'analyser les formes élémentaires de la domination raciale.

Pour sa part, Guillaumin (2002) soutient que l’idéologie raciste joue un rôle particulier dans la perpétuation d’un système de domination, et c’est donc en lien avec celui-ci que l’idéologie raciste doit être comprise. En effet, elle permet aux dominants de légitimer le maintien des groupes racialisés dans un état de double dépendance : dépendance physique, par l’oppression économique et légale, et dépendance symbolique, considérant que c’est par les catégories mêmes du majoritaire (qui se définit comme le général) que les minoritaires (toujours particuliers) existent (Guillaumin, 2002).

Guillaumin (2002) a élaboré une critique radicale des études sur le racisme en soutenant que ceux-ci n’interrogent pas les modes de construction sociale des catégories qui permettent de penser la race. Elle estime que ces études considèrent les groupes raciaux comme donnés et prennent comme référence implicite la construction majoritaire,

hégémonique des groupes racialisés et du racisme. En outre, Guillaumin (2002) a indiqué que le racisme ne se situe pas dans un rapport à « l’autre réel », mais à la construction symbolique de la différence. Autrement dit, le racisme, loin d’être une réaction à une différence réelle de l’autre, est une création imaginaire de cette différence fondée sur la croyance en la différence de nature entre soi et l’autre dans l’univers symbolique.

Pour sa part, Essed (2002) définit le racisme comme un processus produit et renforcé à travers les pratiques quotidiennes. Cette auteure propose d’étudier le racisme au moyen du concept de « racisme quotidien » (everyday racism). Ce concept vise à rendre compte de l’articulation des facteurs structuraux du racisme et des pratiques routinières quotidiennes en reconnaissant que les individus participent d’une façon différente dans la reproduction du racisme selon la position qu’ils occupent dans l’espace social (selon plusieurs facteurs tels que le genre et la classe sociale). De cette façon, ce concept rend visibles, d’un côté, les liens entre les dimensions idéologiques du racisme avec les attitudes quotidiennes, et, d’un autre côté, il vise à interpréter la reproduction du racisme dans l’expérience quotidienne.

Quant au concept de formation raciale (raciale formation) élaboré par Omi et Winant (1994; 2002), il vise à rendre compte de la façon dont les significations raciales sont omniprésentes et façonnent tant les identités individuelles que les actions collectives et les structures sociales. Autrement dit, ces auteurs définissent la formation raciale comme le processus sociohistorique au moyen duquel les catégories raciales sont créées, occupées, transformées et même détruites. Ainsi, selon Omi et Winant (2002), la formation raciale implique le processus de construction d’un projet historiquement situé au moyen duquel les corps humains et les structures sociales sont représentés et organisés. Ceci veut dire que la formation raciale concerne en même temps les structures sociales et les représentations culturelles. Dans ce modèle, Omi et Winant (2002) estiment que les projets raciaux jouent un rôle idéologique fondamental. Ceux-ci impliquent simultanément l’interprétation, la représentation et l’explication des dynamiques raciales ainsi que les efforts d’organisation et redistribution des ressources selon la race (Omi et Winant, 2002). Ainsi, les projets raciaux établissent les liens entre les significations données à la race dans les pratiques discursives spécifiques et les manières à travers lesquelles les structures sociales et les expériences quotidiennes sont organisées en termes raciaux. Omi et Winant (1994)

soulignent également que l'importance des catégories raciales est déterminée par les forces sociales, économiques et politiques. Dans cette optique, bien que ces auteurs considèrent la race comme un ensemble complexe, instable et décentré de significations sociales continûment transformées par les luttes politiques, ils estiment que la race est un principe fondamental de la vie sociale qui a des effets sur la construction des différences et les inégalités structurelles (Omi et Winant, 2002).

Finalment, Michael Banton (2002) a introduit le concept de racialisation en sociologie pour mettre en lumière les processus qui, au début du XIXe siècle, définissent les « autres » en termes de différences biologiques. Ainsi, La racialisation est le processus de catégorisation et de représentation à travers lequel les autres (the others) sont définis (souvent, mais pas exclusivement) sur la base de leurs caractéristiques physiques. La racialisation comprend les processus à travers lesquels les idées sur la race sont construites et assumées comme significatives. Cela veut dire que ce sont les codes perceptifs et socialement significatifs de chaque société qui constituent certaines propriétés en symboles de « différence originaire » (Wade, 2002). La racialisation a été comprise de façon à rendre compte de pratiques idéologiques grâce auxquelles la race acquière sa signification. Cela comprend les processus et les situations politiques et culturelles où la race est appelée à être utilisée comme source d’explication pour divers phénomènes sociaux.