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Chapitre 2. Les contextes sociaux de notre recherche, la problématique et le design

2.2 Le Mexique contemporain

2.2.1 La politique de population, la planification familiale et la santé reproductive

jusqu’en 1973, la contraception était une pratique illégale au Mexique, alors que le pays maintenait une politique ouvertement nataliste (Gautier, 2002). Dans les années 60, ce pays affichait l’un des taux de fécondité les plus élevés au monde (surtout dans les zones rurales). À partir de ce moment, la politique démographique au Mexique a été définie par la

Loi générale de population et le plan national de planification familiale qui ont rendu possible en 1977 la mise en marche du programme de planification familiale (Lerner, Quesnel et Samuel, 2000). C’est dans ce cadre qu’a été créé le Conseil national de population (CONAPO), dont le but était de coordonner la politique de population. En effet, la politique de population de 1973 a été motivée par la volonté de réduire la croissance de la population et de favoriser le développement économique. Cette politique ciblait dans un premier temps la planification familiale, sa diffusion étant assurée par l’intermédiaire des médias et du système scolaire, le système de santé public assumant un rôle important, lui qui garantissait pour sa part sa mise en œuvre (Gautier, 2002, Lerner et al, 2000). Au Mexique, le plan national de planification familiale a été mis en œuvre fondamentalement par trois institutions publiques de santé : l’Institut mexicain de la sécurité sociale (IMSS), l’Institut de sécurité sociale et services sociaux des travailleurs de l’État (ISSSTE) et le secrétariat de santé (SSA). Ces initiatives ont conduit à une forte médicalisation de la contraception (mais aussi de la grossesse et de l'accouchement) et ont reproduit les rapports inégaux de genre privilégiant des méthodes de longue durée telles que le stérilet et la stérilisation féminine, considérant que ces méthodes étaient les plus efficaces (celles-ci étaient aussi les plus susceptibles d’être imposées) (Lerner et al, 2000; Cosío-Zavala, 2005). Il est important de noter que, à partir de 1977 jusqu’en l’an 2000, le Mexique a élaboré cinq programmes de planification familiale. Parmi ceux-ci, les trois premiers présentaient une importante continuité dans leurs approches et leurs stratégies. Dans la décennie 80-90, une approche fondée sur le risque a été incorporée au programme de planification familiale. Dès lors, l'accent était mis sur les programmes de contraception postnatale dans le contexte post obstétrique destinés à des populations ciblées, c’est-à-dire considérées à risque. En 1984 la planification familiale a été incluse dans la Loi générale de santé, ce qui a renforcé son statut en tant que programme de santé (SSA, 1998). Notons que, en termes généraux, les stérilisations ont été réalisées majoritairement dans des cliniques gouvernementales. Ces stérilisations touchaient principalement les couches sociales défavorisées, et c’est parmi les femmes sans aucune scolarisation ou avec moins de trois ans de scolarité que le niveau de fécondité a le plus diminué, parallèlement à l’augmentation de la proportion de femmes stérilisées (Cosío-Zavala, 2005). Soulignons que vers 1980, près des deux tiers des femmes mexicaines vivant dans des zones rurales qui

ont été stérilisées n’avaient jamais utilisé de méthode contraceptive auparavant (Cosío- Zavala, 2005). À cet égard, il faut remarquer le rôle important de la multiplication des centres de santé dans les régions rurales du Mexique qui, à partir de 1972, a conduit à une augmentation significative des interventions médicales au cours de la vie reproductive des femmes (Lerner et al, 2000).

De telles actions ne sont pas sans conséquence sur la fécondité, qui fut réduite : elle passa de 5,6 enfants par femme en 1976 à 3,6 enfants par femme en 1986 grâce à l'amélioration de la contraception par l’adoption de méthodes modernes (Viramontes et Sánchez, 2009; SSA, 1998). Cependant, malgré le succès des programmes de planification familiale au Mexique pendant la décennie 80-90, les mouvements féministes et certaines études ont documenté la manière dont, dans ces programmes, la santé des femmes et leur liberté reproductive passaient au second plan (spécialement dans le cas des femmes socialement plus vulnérables) (Lerner et Szasz, 2008; Smith-Oka, 2009). L’existence de pratiques coercitives telles que l’imposition de contraceptifs et même la stérilisation féminine a été démontrée (Figueroa, 2007). Ces premières interrogations sur la mise en œuvre de politiques de contrôle des naissances ont commencé à problématiser le contexte et l'ensemble des relations sociales et assujettissements sociaux qui conditionnent les décisions reproductives. C’est ainsi que le rôle du contexte dans les décisions reproductives a été mis en évidence (Petchesky, 1984).

L'expérience de l'imposition de méthodes contraceptives et de stérilisations (non consenties) a démontré que l'accès généralisé à la contraception ne représentait pas automatiquement la libération des femmes, parce qu’il impliquait le contrôle instrumental (élaboré par les politiques publiques) des capacités reproductives des femmes (Ellison, 2003). Cette expérience a aussi démontré l'existence d'évaluations sociales hiérarchiques autour de la maternité et du corps des femmes (Ellison, 2003), lesquelles ont mis en lumière l'intersection de multiples axes d'oppression dans le domaine de la reproduction (Petchesky, 1998, 1990). Par la suite, divers travaux ont commencé à montrer l'importance de remettre en question les conditions matérielles et structurelles oppressives qui entourent les décisions et les pratiques reproductives et corporelles (Petchesky, 1998, 1990). En effet, la violation des droits reproductifs et sexuels des femmes, surtout dans le « tiers monde», a dévoilé à dans quelle mesure il est important de problématiser le « choix » des femmes, car ces « choix »

individuels arrivent dans des contextes socioculturels, économiques et politiques particuliers. Pour ce faire, il faut démontrer le rôle que jouent la race, l’ethnie, la classe sociale, etc., dans la possibilité d’avoir accès aux « choix ». Ces violations ont eu lieu malgré le fait que la planification familiale au Mexique était encadrée juridiquement dans la Constitution et dans des lois qui protégeaient le choix libre et éclairé au moyen de la loi générale de population et la Loi générale de santé. L’objectif de ces deux lois était d’interdire la stérilisation des femmes sans leur consentement préalable. À cette même époque, la qualité des services de planification familiale a été remise en question. Notamment, les années 90 ont été marquées par l’émergence de la perspective de la santé reproductive et des débats théoriques sur les droits reproductifs. Ainsi, dans les années 90, grâce aux pressions des organismes internationaux et des mouvements pour la santé des femmes et leurs droits sexuels et reproductifs, le Mexique a institué la substitution des services de planification familiale pour les services de santé reproductive, par l'intermédiaire du secrétariat de la Santé (SSA). La reconnaissance de l’existence de facteurs sociaux intervenant sur l’état de santé est fondatrice du concept de santé reproductive. Par santé, en matière de reproduction, on entend le bien-être général, tant physique que mental et social, de la personne humaine pour tout ce qui concerne l'appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement et non pas seulement l'absence de maladies ou d'infirmités.15 Ce concept considère les besoins sexuels et reproductifs de l’individu dans leur globalité, faisant appel au bien-être général de la personne. En même temps, cette perspective a contribué à montrer que la liberté reproductive résulte notamment d’un ensemble de transformations sociales dans l'organisation de la reproduction ainsi que d’aspects qui vont au-delà du développement de technologies sophistiquées (Petchesky, 1990).

De plus, en 1993, le Mexique a mis sur pied la Norme mexicaine officielle (NOM-007-SSA2-1993 – Norma oficial mexicana) qui régule tant la planification familiale que les services obstétricaux en matière de contraception, de grossesse, d'accouchement et de santé maternelle et infantile. C’est à partir de 1994 que cette norme fut appliquée en régissant la pratique publique et privée ainsi que les standards de qualité de ces services (SSA, 1998). La même année, le secrétariat de la santé a institué le programme national de santé

15 Principe d’action 7.2, Programme d’action adopté à la Conférence internationale sur la population et le

reproductive (1995-2000) dont un des piliers fondamentaux est la planification familiale, qui intègre les recommandations de la Conférence du Caire (Lerner et Szasz, 2008; SSA, 1998). Il est à noter que la Constitution mexicaine est un cadre normatif important qui garantit le respect des droits sexuels et reproductifs. Les droits sexuels et reproductifs peuvent être vus comme ces droits [...] que disposent toutes les personnes et qui leur permettent l’accès à tous les services de santé reproductive […] Ils incluent aussi le droit de prendre les décisions reproductives, en étant libre de toute discrimination, violence et coercition […] Les droits reproductifs sont intimement liés à d’autres : le droit à l’éducation, le droit à un statut égal au sein de la famille, le droit d’être libre de violence domestique, et le droit de ne pas être marié avant d’être physiquement et psychologiquement préparé pour cet événement (ONU, 1998 : 180). Dans le cas particulier du Mexique, ces droits sont encadrés par l'article 4 de la Constitution mexicaine qui garantit le droit de décider librement du moment pour avoir des enfants, de leur nombre et de l’intervalle entre les maternités.

Notons que les politiques et les programmes de santé reproductive ont été appliqués au Mexique dans un contexte marqué par l'affaiblissement de l'État et par une profonde réforme du système de santé. En effet, le système de santé a récemment suivi un modèle de libre marché qui permet une participation majoritaire du secteur privé tant dans la prestation des services que dans son financement. Remarquons que ce nouveau modèle remplace la notion des droits sociaux par celle d'égalité d'opportunités pour favoriser le développement du marché dans le domaine des services de santé. Sous cette approche, les politiques de santé sont guidées par des critères d'efficience inspirés par l'idéologie de l'entreprise privée, qui subordonne l’équité sociale aux impératifs économiques et du marché (Lerner et Szasz, 2008).

Il faut souligner que la mise en pratique des nouveaux protocoles de santé reproductive n’a pas réussi à bien refléter les recommandations internationales en ce qui concerne la santé sexuelle et reproductive et ses droits afférents (Camarena et Lerner, 2008; Erviti, Sosa et Castro, 2007). D'une part, la santé reproductive des hommes et leur participation dans celle-ci, ainsi que les services de prévention et les diagnostics d'infertilité, ont été laissées de côté. D'autre part, les services ciblant les adolescentes et d'autres populations vulnérables comme les personnes handicapées et les Autochtones n'ont pas réussi à combler les besoins en matière de santé sexuelle et reproductive de ces

populations (Camarena et Lerner, 2008). Ces services offrent un répertoire de méthodes contraceptives réversibles limité. Par exemple, en 1996, ces services comptaient en moyenne moins de quatre méthodes contraceptives modernes (dont la stérilisation) (Camarena et Lerner, 2008). En effet, bien que les programmes de santé reproductive au Mexique reconnaissent l'existence des besoins de santé différents pour les hommes et les femmes et accordent une place centrale aux droits sexuels et reproductifs, ces programmes doivent affronter l'existence de valeurs traditionnelles qui octroient aux femmes un rôle reproducteur fondamental, le pouvoir important (symbolique et politique) de l'Église catholique, ainsi que la diminution du budget destiné à la santé et l'approfondissement des inégalités sociales et de la pauvreté.