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Les significations du corps, de la sexualité et de la reproduction dans le cadre de la médicalisation : une analyse intersectionnelle dans l'état de Morelos, Mexique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

ITZEL ADRIANA SOSA SÁNCHEZ

LES SIGNIFICATIONS DU CORPS, DE LA

SEXUALITÉ ET DE LA REPRODUCTION DANS LE

CADRE DE LA MÉDICALISATION: UNE ANALYSE

INTERSECTIONNELLE DANS L'ÉTAT DE

MORELOS, MEXIQUE

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en sociologie

pour l’obtention du grade de Philosophiae doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

(2)

Résumé

La présente étude cherche à comprendre sociologiquement les significations sociales du corps, de la reproduction et de la sexualité des acteurs sociaux dans le cadre de la médicalisation de la reproduction et de la sexualité, plus particulièrement en ce qui concerne l’emploi des technologies médicales (contraception, césarienne, ultrasons, etc.). Nous inscrivons notre projet à la lumière du rôle central que jouent la médecine et le processus de médicalisation dans les sociétés contemporaines telle celle du Mexique dans la production et la régulation du corps, de la sexualité et de la reproduction. Nous mettons l’accent sur les conséquences de la médicalisation sur la sexualité et la reproduction ainsi que sur les droits sexuels et reproductifs des personnes, tout en soulignant tant le rôle des nouvelles technologies reproductives (NTR) que celui des structures d’exclusion sociale dans ces processus. De même, nous identifions dans cette étude diverses inégalités sociales dans le domaine de la santé reproductive et de la sexualité pour en dégager les dimensions ethnoraciales, de genre, de classe sociale, etc. Nous privilégions une analyse intersectionnelle qui permet de rendre compte de l’entrecroisement et de l’interaction de divers axes d’oppression et de privilèges dans la construction des significations attribuées au corps, à la sexualité et à la reproduction.

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Abstract

This qualitative study seeks to understand the meanings of the body, reproduction and sexuality in the framework of the medicalization process. We also recognize the important role of the latter regarding sexuality, reproduction and body construction and regulation in contemporary societies such as Mexico. We focus on the impact of social structures of exclusions as well as new reproductive technologies (such as contraception, c-sections, ultrasound, etc.) over sexual and reproductive health and rights. We identify how different social inequalities (and their racial, ethnic, gender and social class dimensions) impact sexual and reproductive health and rights. We use an intersectional analysis in order to account for the interaction of different axis of oppression and privilege in the construction of the meanings and experiences of the body, sexuality and reproduction.

(4)

A mis tres amores: a Camilo, a Martín y a la que viene, porque miran limpio y son indetenibles…porque me han enseñado a lo Cortázar que para llegar al cielo, se necesita solamente una piedrita, y la punta de un

zapato. A mi Madre Magdalena Sánchez y a mi

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Table des matières

Résumé...………..…………...i

Remerciements...viii

Liste des tableaux et de figures...x

Liste d’acronymes ...……….………..…...xi

Introduction ...………..………..……...1

Chapitre 1. Concepts fondamentaux et revue générale des écrits…………...4

1.1 Approches théoriques-conceptuelles sur le corps dans les sciences sociales : le corps et le genre comme objets d’étude...4

1.1.1 Approches anthropologiques et ethnologiques.………...5

1.1.2 Approches sociologiques, foucaldienne et des études de genre sur le corps..…...8

1.1.3 Synthèse des approches du corps adoptées dans cette étude...19

1.2 La sexualité et la reproduction dans les sciences sociales à partir d’une perspective de genre.…...……….………....20

1.2.1 Les études sur la sexualité à partir d’une perspective de genre.………....20

1.2.2 L’étude de la reproduction à partir d’une perspective de genre..………...23

1.2.3 Violence sexuelle envers les femmes et relations de pouvoir.………...24

1.2.4 Synthèse des approches sur la sexualité, la reproduction et la violence sexuelle adoptées dans cette étude.………...31

1.3 Les rencontres médecins-patients et le processus de médicalisation.………...33

1.3.1 Médicalisation, sexualité et reproduction : une lecture à partir de la perspective de genre...………...37

1.4 Théories et concepts sur la race et l’ethnicité ………...………...42

1.4.1 L’étude de la race et ses concepts fondamentaux ………...43

1.4.2 L’étude de l'ethnicité et ses concepts fondamentaux ………....46

1.4.3 La littérature sur la sexualité, le genre et la race/ethnicité en contexte latino-américain………...…49

1.4.3.1 Les dimensions ethnoraciales de la sexualité et du genre...49

1.4.3.2 La blanchité et le métissage en Amérique latine...53

1.4.3.4 La construction des États-nations latino-américains...55

1.4.3.5 Synthèse des approches de la race, l’ethnicité dans le contexte latino-américain...57

Conclusions...58

Chapitre 2. Les contextes sociaux de notre recherche, la problématique et le design méthodologique de l'étude ….……..………...60

2.1 Les relations interethniques et interraciales au Mexique.……..…………...60

2.1.1 Le mythe du métissage au Mexique...62

2.2 Le Mexique contemporain...63

2.2.1 La politique de population, la planification familiale et la santé reproductive...63

2.2.2 L'Église, la contraception et les droits sexuels et reproductifs ...68

2.2.3 Les caractéristiques sociodémographiques de la population mexicaine : inégalités sociales, contraception et santé reproductive en chiffres...70

(6)

2.2.3.1 Inégalités sociales, exclusion sociale et violence envers les femmes...72

2.2.3.2 Inégalités sociales, contraception et santé reproductive au Mexique...76

2.3 L’état de Morelos, la ville de Cuernavaca et le village de Santa Catarina...80

2.3.1 L’état de Morelos...80

2.3.2 La municipalité de Cuernavaca...84

2.3.4 La municipalité de Tepoztlán et le village de Santa Catarina Tierra Blanca...84

2.4 Problématique et justification de l'étude...87

2.4.1 Objectif général...96

2.4.2 Objectifs spécifiques...96

2.5 L’analyse interprétative et ses catégories analytiques...97

2.5.1 Le genre, ses concepts fondamentaux, la structure sociale et la capacité d’agir...97

2.5.2 L'analyse de l'espace social, l’habitus et les capitaux...100

2.6 Approche méthodologique...105

2.6.1 Collecte des données...107

2.6.2 Techniques de collecte des données...107

2.6.3 L’échantillon et les critères de sélection...114

2.6.4 L'analyse des données : l'analyse intersectionelle...114

2.6.5 Considérations éthiques...117

2.7 La population de l'étude...118

2.7.1 Caractéristiques sociodémographiques des utilisateurs et utilisatrices des services de santé...119

2.7.2 Caractéristiques sociodémographiques des informateurs clés...127

2.7.3 Commentaires à propos des participants à cette étude...128

Chapitre 3. La construction sociale du corps genré ………...………...130

3.1 L’adolescence et les changements corporels à l’épreuve: avoir un corps de femme ou un corps d’homme.………...130

3.1.1 Les changements corporels : de la socialité masculine à la corporéité féminine ………...131

3.1.2 Le regard féminin sur les changements corporels des hommes ….…….………...141

3.2 La corporéité féminine et les changements corporels plus significatifs chez les femmes : le développement des seins et les menstruations ………...144

3.2.1 Le vocabulaire émotionnel de l’arrivée des règles ……….…………...…...145

3.2.2 L’apprentissage de la discipline corporelle : être menstruée, être une femme...151

3.2.3 Les seins et leurs significations sociales : la construction du capital physique...160

3.3 L’appropriation des corps des femmes dans les espaces publics…………...164

3.3.1 Le corps et les espaces physiques et symboliques genrés ………..………....168

Conclusions ………..………...………...174

Chapitre 4. De la sexualité au corps et vice-versa : constructions et significations de la sexualité et du corps ...………..………...177

4.1 L’apprentissage du langage de la double morale sexuelle: être un homme ou être une femme : ………...177

4.2 Les relations sexuelles, l’hétéronormativité et l’apprentissage des rôles de genre ………...192

4.2.1 La production socioculturelle et hétéronormative de l’amour.………...196

(7)

4.3.1 La violence physique: violence structurelle et sociale envers les femmes...205

4.3.2 La racialisation et la construction des corps sexuellement accessible: harcèlement sexuel et sexualisation du viol ………...…....215

Conclusions ……….………...226

Chapitre 5. L’expérience de la reproduction et la construction du corps reproductif………...229

5.1 L'expérience de la reproduction et hasard : Et maintenant, que dois-je faire?...229

5.2 La « méconnaissance » reproductive nous vivions avec les yeux fermés..…..…....236

5.3 La construction sociale du corps reproductif.……….…....241

5.3.1 Le corps et la grossesse : « Ne bouge pas (ne force pas), tu es enceinte! »...243

5.4 Le corps des femmes comme locus de la douleur: reproduction et corps genrés...254

5.5 L’expérience reproductive au masculin : de la grossesse inattendue à la paternité………...…....262

5.5.1 Les nouveaux modèles de paternité et la dimension émotionnelle de l’expérience reproductive.………....264

5.6 Les préférences reproductives : l’envie d’avoir un garçon………...268

5.7 La reproduction et les nouvelles technologies reproductives (NTR) : l’expérience de la grossesse………...…………...………...272

Conclusions ………..………..279

Chapitre 6. Reproduction et inégalités sociales dans les contextes institutionnalisés : entre l’exclusion sociale et la médicalisation ……….………....282

6.1 L'assignation «genrée» de la prévention de grossesses non souhaitées et la quête de l'autonomie reproductive ………...282

6.2 Les blagues, les réprimandes et « l’étiquetage des femmes »: pratiques disciplinaires et inégalités structurelles dans les services de santé reproductive....……....297

6.2.1 Les blagues : le prix du plaisir au féminin ……….……....297

6.2.2 Les réprimandes et l’étiquetage des femmes : les rapports ethnoraciaux, de classe sociale et de genre dans les milieux hospitaliers…...………...300

6.3 Entre exclusion sociale et médicalisation: inégalités sociales et santé reproductive……….………....303

6.4 Droits sexuels et reproductifs, inégalité sociale et médicalisation.………...316

6.4.1 Les contextes institutionnels de la santé et les rapports ethnico raciaux.………....321

Conclusions..………...324

Conclusions finales………...………...328

Bibliographie………...………...……...…...348

Annexes Annexe 1 : Guide d’entretien semi-structuré : participant (e) s profanes ………..……....362

Annexe 2 : Questionnaire socio- démographique participant(e)s profanes.………...366

Annexe 3 : Guide d’entretien semi-structuré : informateurs clés………...367

Annexe 4 : Questionnaire socio- démographique informateurs clés………...369

Annexe 5 : Formulaire de consentement verbal……….…...370

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Remerciements

J’ai un très fort sentiment de gratitude envers tous ceux et celles qui ont contribué directement ou indirectement à ce projet de recherche.

Tout d’abord, je remercie grandement les femmes et les hommes qui ont participé à cette recherche en me racontant leurs histoires personnelles et leurs parcours de vie. De même, je tiens à remercier les informateurs et les informatrices clés qui ont accepté de participer à cette étude et qui ont partagé avec moi leurs expériences. Leur collaboration a été très précieuse. Sans eux, cette recherche n’aurait pas été possible.

Je remercie aussi immensément mes deux directeurs de recherche : Stéphanie Rousseau et Éric Gagnon, pour leurs commentaires enrichissants, leur énorme disponibilité, et leur engagement envers cette recherche. Je vous dois beaucoup.

Aux membres du jury: Richard Marcoux, Estelle Carde et Gilles Tremblay pour leurs efforts pour commenter soigneusement cette thèse.

Aux professeurs Alfred Dumais et Francine Saillant pour leurs commentaires lors de mon examen de synthèse.

Un énorme merci également :

À Camilo qui, en venant au monde, a élargi mon regard sur l’amour et sur la vie.

À mon compagnon de vie, Martín, pour son grand appui, et pour m’avoir accompagnée dans toutes les aventures et les défis de la vie, par l’amour. Tu es le meilleur au monde.

À ma grand-mère Lorenza, à ma mère, à ma sœur, pour leur inspiration et leur amour.

À ma grand-mère Elena et à la mémoire de mes grands-parents Albino et Javier. À mon père qui m’a appris à aimer les livres.

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À Catherine Menkes, à Susana Lerner et à Joaquina Erviti pour les discussions enrichissantes, pour leur soutien, et leur amitié. Je vous aime fort.

À Creat- Ivo, Beba et cronogro, pour la magie et les abrazos. Pour les moments émouvants, pour votre complicité et nos moments de vie partagés ensemble, pour m’aider à ne pas oublier les mots d’Italo Calvino sur les villes.

À mes amis: Christian Bolduc, Benjamin Perron, Patrick Bissonnette et Mario Gil. Aux amis qui ont corrigé et amélioré ce travail : Anne M. Michaud, Benjamin Perron, Anne C. Poulin, Guitté Hartog, Daphné, mais spécialement à Philippa Jabouin et Anne Sophie Bourlaud votre aide m’a été précieuse (vous qui avez tout lu). À Charly, Emmanuel, Paulo, Manolo, Aleín, Rose, Edith, Josefina -in memoriam- Ana Guillot, María Baranda, Yaz, Irma Guarneros, Olga Serrano, Carlota Guzmán, Mercedes Pedrero). Merci, pour votre amitié.

À Québec, que me ha dado la condición de latinoamericana, sea lo que sea que eso signifique.

À Liem Lanciault qui a revisé et corrigé soigneusement la version définitive de cette thèse.

Aux organismes boursiers : les fonds de soutien au doctorat du département de sociologie de l’Université Laval, le Conseil National pour la science et la technologie du Mexique (CONACYT), le gouvernement du Canada, la faculté des sciences sociales (fonds Georges-Henri Lévesque) et au Margaret McNamara Memorial fund.

Finalement je tiens à remercier le Secrétariat de la Santé du Mexique (SSA) pour le permis et la confiance qu’ils m’ont accordés pour la réalisation de cette recherche.

(10)

Liste des tableaux et de figures

TABLEAUX

Tableau 1 Description sommaire des participant(e)s profanes ………120 Tableau 2 Caractéristiques sociodémographiques des participant(e)s profanes …….121 Tableau 3 Lieux d’accouchements et interventions médicales subies par les participant(e)s profanes ………..127

FIGURES

Figure 1 Le Mexique et l’état de Morelos ……….80 Figure 2 L'état de Morelos et ses municipalités ………80 Figure 3 La municipalité de Tepoztlán ……….85

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Liste d’acronymes

CONAPO Conseil national de population

CONEVAL Conseil national d’évaluation de la politique du développement social ENADIS Enquête nationale sur la discrimination et la violence

ENADID Enquête nationale sur la dynamique démographique ENDIFAM Enquête nationale sur la dynamique familiale

ENDIREH Enquête nationale sur la dynamique des relations dans les ménages ENSAR Enquête nationale sur la santé reproductive

GIRE Groupe de recherche sur la reproduction choisie

ISSSTE Institut mexicain de la sécurité sociale des travailleurs de l’état IMSS Institut mexicain de la sécurité sociale

INSP Institut national de santé publique

INEGI Institut national de statistiques, géographie et informatique INMUJERES Institut national des femmes

OMS Organisation mondiale de la santé ONU Organisation des nations unies PAN Parti action nationale

SSA Secrétariat de santé

SEDENA Ministère de la défense national UNFPA United Nations Population Fund

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Introduction

We need to anthropologize the West: show how exotic its constitution of reality has been; emphasize those domains most taken for granted as universal... make them seem as historically peculiar as possible; show how their claims to truth are linked to social practices and have hence become effective forces in the social world. Paul Rabinow1

Y si las cosas pudieran verse de una manera diferente? Dolores Juliano2 Nous pouvons affirmer, en reprenant les mots de Dolores Juliano (2004), que les questions fondamentales pour entreprendre une recherche sont celles qui nous aident à poser des questions sur ce qui est tenu pour acquis, ce qui est pensé comme naturel, ce qui est indiscutable. En effet, les questionnements permettent de rendre visible, comme le suggère Bourdieu, le caractère arbitraire et contingent de tout ce que nous pensons comme fixe, stable et univoque. Le besoin de réfléchir sociologiquement sur le corps, est le résultat de nos expériences préalables de recherche. Dans ces premières expériences de recherche en sciences sociales, plus spécifiquement dans les domaines de la sexualité et de la reproduction, le corps et le processus de médicalisation sont ressortis comme des éléments fondamentaux à partir desquels les participants construisaient leurs expériences sexuelles et reproductives. Nous avons donc voulu pousser plus loin notre analyse sur ces objets de recherche. La présente étude cherche à comprendre sociologiquement les significations sociales du corps, de la reproduction et de la sexualité des acteurs sociaux de l’État de Morelos au Mexique dans le cadre de l’élargissement de la médicalisation de la reproduction et de la sexualité dans la société contemporaine.

À cet égard, les sciences sociales ont souligné les liens complexes entre la médecine, l'État et les pratiques sociales autour de la sexualité et de la reproduction en Occident, en démontrant comment la médecine a historiquement joué un rôle central dans le processus de construction de la « normalité ». Elles ont montré le rôle central de la

1 1986.

(13)

science médicale dans le contrôle social et dans la construction de la définition socialement admise du corps, des pratiques reproductives, corporelles et de la sexualité considérées comme « normales » ou « déviantes » (Foucault, 1976), de même que des modes de reproduction jugés désirables ou indésirables, qui ont fait l’objet de nombreux travaux. Ainsi, on a insisté sur la nécessité d'explorer comment la médicalisation (l'introduction d’interventions et de technologies médicales) transforme les expériences sexuelles et reproductives ainsi que le rapport au corps des acteurs sociaux.

Notre intérêt pour cette question est motivé par l’élargissement de la médicalisation dans certaines régions du monde, dont le Mexique. Une fois mis en pratique, cet élargissement ne garantit toutefois pas que les attentes et les besoins des femmes en matière de santé reproductive aient été garantis et comblés.

En effet, nous détenons peu d’information, d’une part, sur la façon dont la médicalisation de la reproduction et de la sexualité contribue à la transformation de l'expérience que vivent les acteurs par rapport à la reproduction, la sexualité et le corps et des significations qui leurs sont attribuées non seulement chez les femmes, mais aussi chez les hommes, et, d’autre part, sur les conséquences de cette médicalisation de la reproduction et de la sexualité sur les rapports de genre. Nous en savons également peu sur la manière dont la médicalisation de la sexualité et de la reproduction est interprétée, éprouvée et contestée par les acteurs sociaux, quelles nouvelles options s’offrent aux femmes et aux hommes dans des contextes culturels spécifiques comme celui de notre étude.

La présente étude vise à approfondir notre compréhension de l’impact de la médicalisation sur les droits reproductifs et sur divers rapports sociaux comme ceux de genre. Nous pouvons affirmer que la reproduction humaine, la sexualité et la construction sociale du corps constituent des cadres dans lesquels se manifestent d’une manière importante diverses inégalités sociales (dont celles de genre). L’approfondissement des connaissances touchant ces sujets dans le contexte particulier du Mexique contemporain permettra de rendre compte de la transformation ou de la continuité de diverses pratiques sociales et divers rapports de pouvoir touchant ces domaines. Cela nous permettra également d’identifier tant les mécanismes de transformation que les mécanismes sociaux

(14)

qui permettent leur continuité à travers le temps tout en montrant leur spécificité dans notre population d’étude.

Par ailleurs, il a été proposé d'approfondir l'étude du corps en prenant comme point de départ son lien avec la sexualité et la reproduction, reconnaissant que ces phénomènes sont le produit de l'interaction dynamique et l’entrecroisement de divers systèmes d’oppression et de subordination sociales. Ainsi, dans cette étude, nous mettrons l’accent sur les mécanismes politiques de reproduction et de naturalisation des inégalités sociales dans le domaine de la reproduction, de la sexualité et du corps en privilégiant une analyse intersectionnelle. Celle-ci permettra de mieux saisir tant la complexité de notre objet d’étude que la manière dont s’opèrent la production et la reproduction des diverses inégalités sociales qui s’entrecroisent et interagissent dans les domaines de la sexualité et de la reproduction.

Cette thèse est divisée en six chapitres. Dans le premier chapitre, nous présenterons la revue de littérature concernant notre sujet d’étude ainsi qu’une brève revue de la littérature sur la sexualité, le genre et la race/ethnicité produite dans le contexte latino-américain. Au deuxième chapitre, nous présenterons les contextes sociaux de notre recherche, la problématique générale, l’approche méthodologique de cette étude ainsi que les catégories analytiques qui nous ont aidés à systématiser et à analyser les données collectées sur le terrain. Dans le troisième chapitre, nous proposons une interprétation des témoignages des participants sur la construction sociale du corps tandis que, dans le quatrième chapitre, nous analyserons les témoignages des participants concernant le domaine de la sexualité. Dans le cinquième chapitre, nous traiterons du rapport à la reproduction et à la construction sociale du corps reproductif. Finalement, dans le sixième chapitre, nous allons analyser comment les inégalités sociales et structurelles s’expriment et se reproduisent dans la politique de santé reproductive, dans sa mise en œuvre et dans les services de santé reproductive tels que nous avons pu les observer dans le cadre de notre recherche. Ce dernier chapitre abordera de façon centrale le phénomène de la médicalisation et les interactions entre médecins et patientes en contexte institutionnel. En conclusion de notre étude, nous présenterons des remarques sur nos résultats de recherche à la lumière des théories qui ont guidé notre travail.

(15)

Chapitre 1. Concepts fondamentaux et revue générale

des écrits

Ce chapitre est consacré à la présentation d’une revue de la littérature, où nous décrirons et discuterons d’abord les théories et concepts fondamentaux touchant le corps, la sexualité et la reproduction à partir de différentes perspectives : l’anthropologie, la sociologie, le poststructuralisme foucaldien, ainsi que les études sur le genre. Par la suite, nous exposerons notre démarche théorique et conceptuelle sur la médicalisation, mais aussi sur la race et l’ethnicité, car nous considérons ces aspects centraux pour y compléter notre lecture du corps, de la sexualité et de la reproduction.

Nous devons préciser que, tout au long de ce chapitre, nous exposerons les apports de la pensée féministe et des études de genre à cette réflexion théorique-conceptuelle. Il est important de noter que ce chapitre synthétise une sélection limitée des auteures. Aussi, cette revue des écrits ne prétend pas être exhaustive, mais présente plutôt une sélection de théories, de concepts et d’études que nous avons considérés comme les plus pertinents en fonction des besoins et des caractéristiques de notre recherche.

1.1 Approches théoriques-conceptuelles sur le corps dans les sciences sociales : le corps et le genre comme objets d’étude

Nous pouvons affirmer que l'étude du corps comme un objet central dans les sciences sociales (ce qu’on tend à appeler la théorie sociale du corps) est relativement récente. C’est surtout à partir des réflexions sur le sujet social et sur le soi (self) que le corps est devenu un objet important dans les sciences sociales. Parmi les différentes approches théoriques sur le corps dans les sciences sociales, nous devons remarquer les apports du constructivisme social, de l'interactionnisme symbolique, du structuralisme et du poststructuralisme. Les démarches actuelles sur la nature et la signification du corps cherchent à intégrer ces différentes perspectives en voyant le corps comme étant un « objet » matériel, symbolique, corporel, politique et social (Nettleton et Watson, 1998). Dans ce travail, nous pouvons regrouper les contributions sur l'étude du corps dans deux grandes perspectives générales de pensée :

(16)

 Les approches sociologiques, foucaldiennes et les études de genre sur le corps.

1.1.1 Approches anthropologiques et ethnologiques

En ce qui concerne les approches anthropologiques, Marcel Mauss (1968) est considéré comme l’un des pionniers dans l'analyse sociale du corps pour son analyse de ce qu'on appelle les « techniques du corps ». Il a souligné qu’il n'y a pas de postures, mouvements, attitudes corporelles « naturels » même s’ils peuvent apparaître comme spontanés. Ils constituent des produits sociaux, des techniques culturellement valorisées (Fassin et Memmi, 2004; Douglas, 1973). Il a mis l’accent sur la variabilité des habitudes corporelles en fonction du temps et de l’espace qui sont forgées socialement lors de la socialisation (par l’éducation, par l’imitation spontanée, etc.). Mauss définit les techniques du corps comme « la façon dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps » (Mauss, 1968 : 365); celles-ci constituent des « montages physio-psycho, sociologiques » de « séries d’actes qui résultent de la raison pratique individuelle et collective » (Mauss, 1968 : 384, 389). Son analyse montre que les « gestes corporels » quotidiens sont tous issus d’un apprentissage et du contexte dans lequel se fait cette acquisition. Pour Mauss (1968) le corps est autant l'orchestre de l'expérience que l'origine et l'objet de l'action. Il le considère comme le premier objet technique naturel que tous les sujets sociaux possèdent.

Toutefois, le travail de Mauss sur les techniques du corps a reçu plusieurs critiques. En premier lieu, la notion de techniques du corps a été critiquée par l’excès d’autonomie et de fonctionnalité instrumentale que Mauss lui accorde. Par exemple, les critiques estiment qu’il a analysé ces techniques comme des « formes abstraites » indépendantes des situations et des conditions sociales de leur exercice en oubliant les conditions dans lesquelles elles sont produites (Crossley, 1995). En second lieu, il a été souligné le manque d'articulation entre les actions qui résultent de l'apprentissage corporel et la dimension émotionnelle de la vie sociale . Finalement, le travail de Mauss a minimisé le rôle des aspects spatiaux en négligeant l'articulation entre le corps et le monde (et l’espace), ce qui est indispensable pour bien saisir et comprendre les techniques corporelles (Crossley, 1995).

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Dans le prolongement de Mauss, Mary Douglas (1973) a été l’une des premières auteures qui ont étudié les aspects symboliques du corps en le conceptualisant comme un espace de représentations symboliques dans lequel s’expriment des relations et des valeurs sociales. Autrement dit, pour Douglas, le corps est le « miroir » de la société, de ses contours, de sa structure et de son fonctionnement. Douglas a défini le corps comme une entité physique, mais aussi comme une représentation, un moyen d'expression façonné par le système social. Elle a théorisé le corps comme un médium d’expression assujetti aux restrictions de la société établissant une relation directe entre les ajustements spatiaux et la structure sociale à partir du symbolisme du corps et des limites corporelles. Ainsi, Douglas (1973) a souligné l’important rôle du système social qui exerce des contraintes sur la façon dont le corps est perçu et pose des limites à l’usage du corps.

Pour Douglas (1973), il existe deux corps, le corps naturel et le corps social, lui qui soutient que le corps social impose des limites à la manière dont le corps physique est conçu. Le corps social est défini comme un espace de représentations symboliques qui conditionne la manière par laquelle le corps physique est perçu. De cette façon, Douglas définit le corps comme un symbole naturel à travers duquel on pense la nature, la société et la culture (Douglas, 1973). Le corps est conçu comme étant une métaphore, un texte dans lequel s’inscrivent plusieurs significations sociales. En effet, pour Douglas (1973), les représentations et les discours sont pénétrés de métaphores corporelles. Dans cette perspective, le corps devient l’objet et l’instrument d’une culture et en même temps participe dans la construction symbolique de la culture. Ainsi, l'expérience physique du corps est toujours modifiée par les catégories sociales à travers lesquelles les acteurs sociaux connaissent leur corps, ce qui reflète une vision de la société et du monde particulière (Douglas, 1973). Autrement dit, pour Douglas, le corps est forgé par la société de telle sorte qu’il n’existe pas une façon de considérer le corps qui n’implique pas simultanément une dimension sociale.

Par ailleurs, dans les années 80, à partir de l'anthropologie médicale, Nancy Scheper-Hugues et Margaret Lock (1987) ont élaboré le concept du « corps attentif » (mindful body). En remettant en question le dualisme cartésien, ces auteures ont amené des apports importants à la réflexion sur le corps et l’expérience de la souffrance. À leur avis, les images que les sujets sociaux ont de leur corps dépendent des significations sociales qui

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leur sont attribuées. Cette approche considère le corps simultanément comme étant un outil physique et symbolique culturellement façonné dans un moment historique donné, de sorte que le corps fonctionne comme une carte cognitive de relations naturelles, culturelles et même spatiales. Scheper-Hugues et Lock (1987) ont élaboré le modèle théorique des trois corps qui impliquent trois différents niveaux d’analyse : le corps individuel, social et le corps politique. Ces auteures ont focalisé leur réflexion sur les expériences que les sujets sociaux ont de leurs corps. Notons que l’étude des trois corps repose sur trois approches théoriques et épistémologiques différentes, à savoir : le corps individuel se réfère à la phénoménologie, le corps social s’approche du structuralisme et du symbolisme et, finalement, le corps politique se rapproche du poststructuralisme (Scheper-Hugues et Lock, 1987).

Le corps individuel est défini par ces auteures comme un domaine relevant de l'analyse phénoménologique (surtout en ce qui concerne le corps vécu) et renvoie aux expériences subjectives du corps et du self. Quant au corps social, celui-ci renvoie aux manières par lesquelles le corps (ses sécrétions et fluides, comme le lait ou le sang) opère comme un symbole (ou comme un outil) à travers lequel il est possible de penser et de représenter les relations sociales (comme le genre, la parenté et même les modes de production). Ainsi, le corps social est étroitement lié à la construction discursive et relationnelle du corps (Scheper-Hugues et Lock, 1987).

Ajoutons que les corps individuel et social expriment des relations de pouvoir dans un moment et une société donnés. C’est ainsi que le corps politique renvoie à la régulation disciplinaire, à la domestication, à la surveillance et au contrôle des corps dans des domaines tels que la reproduction, la sexualité, la maladie et d’autres sphères de la vie sociale. La stabilité du corps politique repose sur sa capacité de bien réguler les populations et de discipliner les corps individuels (Scheper-Hugues et Lock, 1987). Des trois corps, c’est le corps politique qui est le plus dynamique pour comprendre et bien saisir pourquoi et comment les corps sont socialement produits. De cette façon, les trois corps constituent trois niveaux d'analyse et d'expérience. Ces auteures suggèrent d’explorer le rôle des émotions en posant que celles-ci articulent l’esprit (mind), le corps, le soi (self) et la société. Plus tard, Nancy Scheper-Hughes (1990), à partir de ce qu’on peut nommer la phénoménologie critique du corps, a suggéré que le corps puisse être pensé comme un sujet

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qui a la capacité de protester activement contre des circonstances oppressives. Quand il n’y a pas d’autres façons effectives de protester contre des circonstances oppressives, le corps se rebelle à travers de la détresse corporelle, ce qui peut constituer une critique radicale envers l’oppression vécue.

1.1.2 Approches sociologiques, foucaldienne et des études de genre sur le corps

Le corps est dans le monde social mais le monde social est aussi dans le corps Pierre Bourdieu Perspectives sociologiques

En s'inscrivant dans une perspective théorique interactionniste, Erving Goffman a placé le corps au centre de ses analyses sociologiques. Ainsi, Goffman a montré que notre habilité d'intervention dans la vie sociale est fonction de la façon dont les acteurs sociaux manient leur corps (et comment ceux-ci sont dirigés à partir et vers d’autres corps) dans le temps et l'espace (Goffman, 1969, 1973). De cette manière, en se concentrant sur les processus d'interaction sociale, Goffman explore les divers registres cognitifs, sensoriels, affectifs et corporels de l'action. L'analyse sociologique (dans cette perspective) se focalise sur les différentes relations établies dans l'expérience des acteurs sociaux. D’ailleurs, le corps émerge dans certaines situations comme élément central pour la production des différences. Par exemple dans certaines interactions, la marque corporelle visible (ex. une difformité, une amputation ou une différence ethnique) d’un participant le place dans le rang des personnes socialement « stigmatisées ». Dans ce cas, l'attribut stigmatisant conditionne les participants dans l'interaction, lesquels doivent gérer la différence corporelle, car celle-ci introduit une incertitude dans l'ordre de l'interaction. Ceci signifie que la confrontation avec les autres implique aussi des attentes corporelles socialement façonnées qui conditionnent la possibilité ou l’impossibilité d'établir une interaction dans des termes plus égalitaires. Ainsi, les contacts mixtes (entre « normaux » et stigmatisés) se caractérisent par une interaction qui tend à être difficile ou gênante (Goffman, 1990). Ainsi, le corps « marqué » (stigmatisé) rejette le sujet (porteur) de l'« humanité » en lui assignant un statut d'infériorité.

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De même, l'œuvre de Goffman est fondamentale pour comprendre deux concepts centraux dans la théorie sociale sur le corps : 1) les techniques du corps (body techniques) de Marcel Mauss et 2) l’intercorporalité de Merleau-Ponty (Crossley, 1995). Goffman tout comme Merleau-Ponty considèrent l'action sociale comme intégrée et en rapport avec le domaine perceptif de l'acteur social (en insérant des aspects olfactifs, tactiles, visuels, etc.) (Crosley, 1995). Ainsi, les perceptions orientent l'action sociale où le temps et l'espace jouent un rôle central. Selon Goffman (1969), il n'est pas possible d'examiner les techniques corporelles en négligeant les négociations spatiales courantes (et sa médiation à travers l'ordre social établi pendant l'interaction),puisqu'il considère que l'interaction n'est pas seulement verbale, mais implique un symbolisme corporel qui prend part à un ordre symbolique où l'échange de sens est effectué à travers des signes émis non seulement au niveau du langage, mais aussi par le corps. Nous pouvons donc considérer qu'une des principales contributions de Goffman à l'étude du corps, c’est son intérêt pour la coprésence corporelle dans l’interaction.

Dans les années 60-70, les sociologues ont dépassé la dimension culturelle de la corporéité révélée par les anthropologues en développant les dimensions également politiques, institutionnelles et économiques qui participent à la construction sociale du corps. Les sociologues ont étudié le corps comme un moyen d’accéder à des réalités sociales en le considérant comme « le révélateur idéal ou le point d’ancrage objectif de logiques sociales qui le dépassent » (Kitabgi et Hanifi, 2003 : 38). Dans les années 70, ils ont commencé à étudier la spécificité des attitudes des classes sociales à l’égard du corps. Par exemple, Luc Boltanski (1971) a exploré les différents rapports que les individus entretiennent avec leur corps à travers les définitions qu’ils donnent à la santé et les représentations sociales touchant les conduites alimentaires. Il a étudié l’habitus proprement corporel de différents groupes sociaux. De cette façon, Boltanski a identifié (à partir des données statistiques) les différents usages sociaux du corps en fonction des conditions objectives de vie en introduisant (parmi la division sociale de classe et les manifestations phénoménologiques des pratiques corporelles) les concepts intermédiaires de « culture somatique » et d’ « habitus corporel » (Boltanski, 1971). Boltanski (1971) a défini l'habitus corporel comme le système des règles profondément intériorisées qui « organise implicitement le rapport des individus d'un même groupe à leur corps et dont

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l'application à un grand nombre de situations différentes permet la production de conduites physiques différentes et différemment adaptées à ces situations, mais dont l'unité profonde réside en ce qu'elles restent toujours conformes à la culture somatique de ceux qui les réalisent » (Boltanski, 1971 : 12). Quant à la culture somatique, celle-ci est définie comme « les règles qui déterminent le degré d'intérêt et d'attention qu'il est convenable de porter aux sensations corporelles et au corps lui-même » (Boltanski, 1971 : 9). Ces règles définissent la façon d'accomplir les actes physiques les plus quotidiens3. Selon Boltanski, dans les années 60 en France, l'intérêt et l'attention que les individus portent à leur corps, d'une part, à leur apparence physique, d'autre part, à leurs symptômes physiques, croissent à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale (Boltanski, 1971). À l’inverse, les personnes provenant des milieux populaires envisagent leurs corps d’une manière plus pragmatique et instrumentale (comme un outil de travail).

Dans le travail de Pierre Bourdieu (1980), le corps devient un objet central. Cet auteur a fait du corps un élément révélateur des logiques de distinction et de discrimination qui gouvernent les rapports sociaux en définissant le rapport au corps comme une dimension fondamentale de l’habitus. Celui-ci est inséparable d’un rapport au langage et au temps qui ne se réduit pas à une « image du corps » (Bourdieu, 1980:122). En effet, pour Bourdieu les différents groupes sociaux établissent des rapports de pouvoir à partir de leurs conditions socioéconomiques d’existence, lesquelles s’expriment dans leurs habitus.

Bourdieu (1980) considère que l’habitus est le social incorporé, mais également l’histoire incorporée (histoire objectivée dans des habitus et des structures). Grosso modo, nous pouvons définir l’habitus comme un « système acquis des schèmes générateurs » (Bourdieu, 1980 : 92)4. L’habitus est donc la loi inscrite dans les corps. Bourdieu parle d’hexis corporelle pour signaler la nature intimement corporelle de l’identité sociale (Kitabgi et Hanifi, 2003). L’hexis corporelle « est la mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher et, par là de sentir et de penser (Bourdieu, 1980 : 117). Ainsi, en reprenant les termes de Bourdieu (1980), nous pouvons donc conceptualiser le corps comme un

3 Par exemple, la façon de marcher, de se nourrir, la façon correcte dont doivent se dérouler les interactions

physiques avec autrui, la distance que l'on doit maintenir avec un partenaire, la façon dont on doit le regarder, le toucher, etc.

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opérateur analogique qui instaure toute sorte « d’équivalences pratiques entre les différentes divisions du monde social » (Bourdieu, 1980 : 120) (par exemple, les divisions entre les sexes, entre les classes sociales, les classes d’âge, etc.). Bourdieu suggère que la plupart des distinctions spatiales sont établies par analogie avec le corps, qui constitue « le schème de référence par rapport auquel le monde peut s’ordonner ». Ainsi, « les structures élémentaires de l’expérience corporelle coïncident avec les principes de structuration de l’espace objectif » (Bourdieu, 2000 : 289) en inscrivant les structures sociales plus fondamentales dans les expériences originaires du corps. Les conditions objectives engendrent des dispositions objectivement compatibles avec ces conditions et préadaptées à leurs exigences. Le corps devient donc le dépositaire de la règle et de l’ordre social. L’arbitraire culturel s’y incarne et se naturalise. Pour Bourdieu, tous les ordres sociaux tirent parti de la disposition du corps et, en même temps, l’ordre social s’impose dans les dispositions corporelles. En effet, pour Bourdieu (1980), les schèmes classificatoires à travers lesquels nous appréhendons et apprécions le corps sont doublement fondés sur la division sociale et sexuelle du travail, ce qui a des conséquences sur la façon dont les agents sociaux perçoivent leur corps.

Par ailleurs, la notion de capital culturel est également importante pour notre recherche. Pour Bourdieu, celui-ci peut exister à l’état incorporé (sous la forme de dispositions durables de l’organisme) faisant corps avec le sujet, devenu partie inhérente de ce dernier, c'est-à-dire un habitus (Bourdieu, 1979). À cet égard, certaines théoriciennes féministes ont suggéré de penser l'aspect genré du capital culturel en soulignant que les femmes possèdent des formes particulières de capital. Par exemple, Skeggs (1997) soutient que la féminité est toujours incorporée (embodied), mais également elle opère comme une espèce de capital. Pour Skeggs (1997), la féminité en tant que capital culturel se réfère au positionnement discursif disponible à travers les rapports de genre. Finalement, en ce qui touche les réflexions de cet auteur à propos du corps et de la notion de capital physique (qui est un sous-élément du capital culturel), ce dernier a un lien fondamental avec la reproduction des inégalités liées à l’appartenance de classe sociale (Shilling, 1991, 2000). Dans une perspective féministe il a été suggéré que le capital physique est également étroitement lié au genre en soulignant comment celui-ci intervient de manière importante

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dans le processus de production de corps genrés ainsi que dans la reproduction des iniquités sociales et les rapports de genre (Shilling, 1991, 2000).

L’approche foucaldienne et les études de genre sur le corps

Foucault a envisagé la question de la production sociale du corps sous l’angle du pouvoir et de l’économie politique. Cet auteur a élaboré ce qu’on peut nommer une « histoire politique du corps ». Pour Foucault, le pouvoir agit directement sur le corps et celui-ci est construit à travers différentes pratiques discursives et dispositifs de pouvoir. Ainsi, à la fin de l’âge classique, un nouveau pouvoir de nature disciplinaire s’institue, exerçant un nouveau type de contrôle social. Celui-ci est lié à une volonté d’ordonner de la façon la plus efficace possible la croissance de la population ainsi que l’expansion des appareils de production inhérents à la montée du capitalisme. Selon Foucault, tous les individus sont constitués de et modelés par des mécanismes de pouvoir, puisque celui-ci se déplace, circule dans les sujets. Le pouvoir est donc un ensemble de techniques composites et de rapports locaux qui se consolident en un double mouvement à la fois productif et répressif en modelant les corps à travers de nouvelles techniques disciplinaires5 qui tendent ainsi à forger des corps plus dociles. Pour Foucault, à partir du XVIIe siècle, le corps devient un texte sur lequel différentes régulations, dispositifs et régimes vont s’instaurer en donnant lieu à une anatomopolitique du corps humain à travers laquelle le pouvoir modèle chaque individu (Foucault, 1976). Ceci a donné lieu à l’apparition d’une série d’interventions et de contrôles régulateurs (ce qu’il a nommé la biopolitique de la population) ainsi qu’au développement des disciplines diverses pour obtenir l’assujettissement des corps et le contrôle des populations en ouvrant l’ère du biopouvoir. Notons que la biopolitique se réfère à l’analyse de la gestion politique (collective et massifiée) de la vie à travers la discipline des corps. À ce moment, la sexualité devient un enjeu politique autour duquel s’est développée ce qu’il a nommé la technologie politique de la vie en relevant, d’un côté, les disciplines du corps et, de l’autre, la régulation des populations (Foucault, 1976).

5 Les disciplines chez Foucault désignent une modalité d’application du pouvoir qui émerge entre la fin du

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Finalement, les réflexions de Bryan Turner (Turner, 1996) sont également dignes de mention. Cet auteur, dans la même lignée que Foucault, propose de différencier les régulations des populations des disciplines sur le corps, ainsi que l'intérieur du corps en tant qu’environnement (environment) de l'extérieur du corps, considérant ce dernier comme le moyen à travers lequel les individus se présentent en public (Turner, 1996). De cette façon, Turner développe un cadre conceptuel où il identifie quatre dimensions du corps : 1) la reproduction des populations dans le temps, 2) la régulation des corps dans l'espace, 3) la restriction du corps intérieur à travers les disciplines, 4) et la représentation du corps extérieur dans l'espace social. Turner (1996) suggère que ces quatre dimensions du corps ne peuvent pas être distinguées empiriquement. Ces dimensions ont été abordées par différentes théories sociales, mais aucune théorie n’a été capable d'intégrer ces dimensions en rendant compte des relations qui existent entre elles.

La réflexion féministe sur le corps des années 70 et début 80 peut être englobée dans ce qui a été nommé comme la politique du corps (body politics). À partir du féminisme radical (principalement) dans les années 70, on a suggéré que, dans les sociétés patriarcales, il existe une forte tendance à réguler les corps des femmes et leurs expressions dans divers domaines, tels que la sexualité, la reproduction et la santé (Rich, 1983; Mackinnon, 1982). Il faut souligner que le « corps politique» autour duquel se sont tenus ces premiers débats féministes se réfère principalement au corps reproductif (Esteban, 2004). Soulignons que le corps politique a englobé les études sur la santé des femmes, la violence sexuelle et la pornographie. Ces études ont rendu visible la chosification (commodification) du corps des femmes (par exemple à travers la pornographie). En même temps, la démarche féministe a indiqué comment la naturalisation historique du corps des femmes a été largement exploitée par le patriarcat. L’incorporation (embodiment) se fait à travers l’organisation sociale et l’institutionnalisation, qui produisent certaines définitions du corps féminin. Ces travaux ont mis l’accent sur la signification du corps des femmes et son rapport de subordination auquel celles-ci ont été historiquement soumises. Le féminisme matérialiste (lié au corps politique) a rendu visibles non seulement l’économie politique de l’incorporation, mais aussi le façonnage social des expériences corporelles. Notons que ces réflexions ont été largement soulevées par les théorisations sur le genre.

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Par ailleurs, sous l’influence des courants postmodernistes et poststructuralistes ont émergé certaines théorisations qui établissent des relations plus complexes et contingentes entre le corps, le sexe, les sexualités et le genre. De cette façon, le féminisme poststructuraliste a défini ces concepts comme performances construites dynamiquement et de façon fluide à travers des pratiques et des discours sociaux et culturels. Ces théories ont remis en question la distinction entre sexe et genre, ainsi que les notions relatives aux identités, aux anatomies et aux corps, « fixes » ou « stables » qui avaient dominé les théorisations initiales (Foster, 1999). Cette position suggère qu'il n'existe pas de correspondance fixe entre le corps sexué, les identités de genre et les identités sexuelles (Foster, 1999). Ainsi, les courants poststructuraliste et déconstructiviste soulignent la fluidité et la contingence des diverses catégories sociales utilisées pour appréhender le corps (Nettleton et Watson, 1998). Par exemple, à partir du courant poststructuraliste, Butler (2005) a suggéré que la distinction entre sexe et genre doit être comprise en termes de performativité pour rendre compte des processus répétitifs au moyen desquels le sexe et le genre sont quotidiennement produits et représentés (performed). Cette théorie offre, avec la notion de performance, une approche adéquate des identités de genre dans la mesure où celles-ci sont conçues comme des phénomènes émergeant dans l’action. La performativité peut être comprise comme la réitération de normes qui précèdent et limitent les actions de l'acteur (performer) (Butler, 1993). Ainsi, Butler définit le genre comme la répétition des pratiques et manières d'agir quotidiennes (masculines ou féminines) qui se produisent dans un cadre régulateur et normatif, qui réaffirment la différence sexuelle et lui donnent un aspect de stabilité, de naturel et de cohérence (bien que la réitération puisse engendrer aussi l’instabilité) (Butler, 2005). Judith Butler a également mis en doute la viabilité de la catégorie « femme ». Sur un mode foucaldien, cette auteure soutient que l’idée d’une identité de genre et la tentative de la décrire participent à un pouvoir normalisant étant donné que l’acte même de définir une identité de genre exclut ou dévalue certaines personnes, certaines pratiques et certains discours (Young, 2006). Cette auteure a souligné la centralité de la contrainte de l’hétérosexualité dans la construction sociale du genre, car la différenciation du genre comprend toujours une opposition binaire entre le masculin et le féminin. Ainsi, pour Butler, la complémentarité binaire de ce système de sexe ou de genre ne peut être nécessaire et avoir un sens sans présumer d’une complémentarité hétérosexuelle (Young, 2006).

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Cela signifie repenser le corps et les différences biologiques (Jackson et Scott, 2002), en remettant en cause l’idée que le sexe biologique précède le genre (Butler, 2005 ; Delphy, 1984) et en reconnaissant que ce que nous pensons et connaissons du corps nous parvient à travers le genre (Delphy, 1984). Cette perspective a mis l’accent sur l’importance de problématiser et d'incorporer le corps « genré » (engendered) et « socialisé » (Young, 2004) comme une part centrale de la théorie de genre (Butler, 1993).

En outre, plusieurs auteurs ont montré que les différences sexuelles entre les hommes et les femmes sont historiques, culturelles et contingentes plutôt que fixes et « naturelles » (Turner, 1996; Grosz, 1994). Ceci signifie reconnaître la relation symbiotique et dialectique entre le corps (socialisé) et « la nature » en rejetant ainsi les approches trop déterministes (Lupton, 1995; Young, 2004). Ces divers courants théoriques soulignent l’existence des médiations sociales dans les divisions hiérarchisées (biologiques et de genre), assumées antérieurement comme « naturelles » et non problématiques (comme les corps masculins), ce qui implique de reconnaître que ces médiations transforment les différences anatomiques en distinctions significatives au niveau de la pratique sociale (Delphy, 2002 et 2003; Grosz, 1994). Par exemple, Delphy (2003) a suggéré que la distinction entre sexe et genre exprime théoriquement une dichotomie « sociale », où la catégorie « sexe » est appliquée à des divisions, distinctions et hiérarchies qui sont sociales (Jackson, 2006).

Ces remises en question ne mènent pas à une négation de la matérialité du corps ni de la différence sexuelle, mais elles rendent évidente la malléabilité de cette matérialité et sa variabilité historique sociale. Les réflexions du féminisme historique ont montré comment les idées sur le genre participent de la construction des significations données à l’anatomie et la physiologie (Oudshoorn, 1994).

Quant aux réflexions féministes sur l’incorporation de la subjectivité (embodied subjectivity) des auteures comme Young (1990) et Grosz (1994) ont remis en question le corps neutre de la phénoménologie de Merleau-Ponty. En fait, à partir de l’analyse des usages corporels et de la mobilité du corps dans l’espace, Young (1990) a théorisé l’espace comme étant une contrainte qui moule les corps des femmes (et leurs expériences corporelles) et qui reproduit la chosification du corps des femmes en tant qu’objet du regard masculin. Ceci a remis en question le fait que les conduites et mouvements corporels sont innés et découlent de la biologie. Ainsi, la relation établie entre l’espace et le corps est

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toujours médiatisée par le genre, qui façonne ainsi le corps des femmes et des hommes. Dans un même sens, Bartky (2002) propose une description de l’expérience féminine du corps. Elle suggère que l’imposition d’une féminité normative sur les corps des femmes est le résultat de pratiques disciplinaires (enchaînées à produire des corps de femmes plus dociles et sexuellement désirables) et d’un entraînement réitératif historique et culturel (Bartky, 2002). Ce processus est transmis à travers le « complexe mode-beauté » qui « institue la femme en position d’être perçue et condamnée à se percevoir à travers les catégories dominantes, c'est-à-dire masculines » (Bourdieu, 1998 : 97).

De son côté, le féminisme corporel (corporeal feminism), a montré la spécificité du corps des femmes ainsi que la désincorporation (disembodiment) du corps des hommes; les hommes étant les acteurs rationnels qui appartiennent à l’espace public par excellence (Grosz, 1994). En suivant cette approche, d’autres auteures ont aussi suggéré d'étudier l'histoire du corps genré en ce qui concerne la tradition sociologique désincorporé (disembodied) en montrant la sous-représentation (under representation) des corps masculins à l'intérieur de ces discours (Grosz, 1994). Ainsi, les corps masculins auraient occupé un espace ambigu dans la plupart des réflexions sociologiques. La tendance à saturer le corps de la femme d’une corporéité qui réduit les femmes à leur corps (surtout en ce qui concerne la capacité biologique de se reproduire) est un thème prédominant dans ces textes.

Par ailleurs, nous devons souligner les apports tant de la sociologie que des études sur la masculinité à la réflexion qui nous occupe. En bref, les études sur les masculinités ont aussi souligné le caractère relationnel du genre, son dynamisme et l'existence de multiples et plurielles masculinités (Connell, 2005). Ajoutons que Connell (2005) indique que le genre ordonne et organise la pratique sociale autour du cadre reproductif en le définissant à partir de structures corporelles. La plupart des études qui ont abordé le corps des hommes se sont focalisées sur la relation entre l’incorporation chez les hommes, la masculinité et le sport (Whitehead, 2002; Ramazanoglu, 1992). Par exemple, certains auteurs ont déconstruit la notion du corps masculin qui le prenait pour acquis tout en soulignant la relation étroite entre les corps genrés, le pouvoir genré et les masculinités (Connell, 1998, 1987; Petersen, 1998; Whitehead, 2002). Selon Connell (1998), les pratiques qui construisent les masculinités

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doivent être analysées en relation avec les structures de l’ordre de genre,6 l’interaction sociale et les institutions qui les rendent possibles. Cette approche a développé le concept de la masculinité hégémonique (hétérosexuelle) comme une forme de domination exercée sur les femmes et sur les masculinités marginales (Connell, 1987; Kimmel, 2001). Cela indique que l'identité masculine est complexe et polyvalente en rendant visibles les contradictions et l'hétérogénéité autant au niveau de la masculinité que des corps masculins (symboliquement conçus comme homogènes). Pareillement, Connell (2005) considère que le genre est un aspect de la pratique sociale organisée relatif à la sphère reproductive constituée notamment par la matérialité du corps.

Quant à Petersen (1998), suivant les approches poststructuraliste et postmoderne, il a exploré les défis de l’« identité masculine » en remettant en question l’existence d'identités et de corps masculins fixes. Cet auteur a mis l’accent sur la façon dans laquelle les discours produisent des corps masculins et des identités idéales, ainsi qu’une certaine politique sexuelle. De plus, on a souligné que la manière dont les masculinités sont incorporées (embodied) permet l’idéalisation de certains corps masculins et en marginalise d’autres, comme les corps des homosexuels, des hommes âgés, etc. (Ramazanoglu, 1992).

Par ailleurs, certaines auteures comme Bordo (1999) ont étudié et problématisé la sexualisation et la chosification (objectification) du corps des hommes dans la publicité et dans les moyens de communication de masse. Aujourd’hui, le corps des hommes est devenu (comme depuis des décennies l’est le corps des femmes) un objet de consommation (dans les sociétés consuméristes occidentales), et cette tendance tend à s’accroître. Ceci s’exprime par exemple dans l‘augmentation des discours sur la santé et la beauté des hommes, sur la forme de leur corps, leur style corporel, ainsi que la représentation du corps des hommes dans les moyens de communication de masse, où leur corps commence à être réifié. Ce changement a placé le corps des hommes, comme jamais auparavant, dans les discours publics (Whitehead, 2002).

Pour sa part, Whitehead (2002) a exploré la matérialité des masculinités et sa relation avec le corps. De la même manière, il a mis l’accent sur le rôle de l’incorporation des modèles masculins et l’expérience qu’ils ont de leurs corps en étroite relation avec le

6 Connell (1998) a identifié quatre structures de l’ordre de genre : les relations de pouvoir, les relations de

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monde et les autres. Whitehead a suggéré que l’expérience corporelle des hommes est liée aux conditions politiques et aux relations de pouvoir qui découlent de l’identité de genre. Pour cet auteur, la « forme matérielle » du corps des hommes est inévitablement inscrite dans les masculinités et, réciproquement, les masculinités sont inscrites dans leur corps. Pour Whitehead l’incorporation des modèles chez les hommes façonne leurs expériences corporelles, leurs discours ainsi que leurs relations avec le corps des autres et l’espace. En suivant l‘analyse de Young (1990), Whitehead (2002) suggère que les formes dominantes de l’incorporation (embodied) masculine (au contraire de ce qui arrive chez les femmes et l’incorporation de leur timidité corporelle) impliquent l’appropriation de l’espace, la capacité de le définir et l’habilité d’exercer un contrôle sur lui, ainsi que le développement de prédispositions pour mettre le corps dans des situations risquées pour atteindre ces attentes collectives. De cette façon, les hommes sont censés transcender l’espace et placer leurs corps d’une façon plus agressive que les femmes afin de réaffirmer leur masculinité. Ainsi, l’aisance (security) ontologique des hommes avec leurs corps découle d’une construction sociale et de la relation établie entre le corps des hommes et le monde. Bref, « être au monde » implique chez les hommes la démonstration de la force physique et le déploiement de cette force à travers l’espace.

Quant à Seidler (2007), en remettant en question le concept de masculinité hégémonique, il a proposé d’explorer les liens entre les hommes, leur corps et leurs émotions en assumant que celles-ci sont façonnées dans le cadre de ce qu’il a nommé les « masculinités postmodernes » et les différents contextes culturels. De même, Seidler insiste sur le besoin de penser d’une nouvelle façon les masculinités changeantes ainsi que les manières par lesquelles le pouvoir s’exerce sur les corps et les émotions, en considérant que les corps sont porteurs des histoires émotionnelles. Ainsi, il a mis l’accent sur les défis de repenser la complexité des identités masculines, le corps et les émotions des hommes dans le contexte des migrations transnationales.

Finalement, en ce qui concerne la santé des hommes et son lien avec l’incorporation (embodiment), nous rencontrons les réflexions de Robertson, Sheikh et Moore (2010) qui sont fort intéressantes. Ces auteurs, en reprenant les termes de Seidler (2007), nous invitent à remettre en question la vision unidimensionnelle du corps des hommes. Celle-ci assume que les hommes ont une vue totalement fonctionnelle de leur corps; utilisent souvent des

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métaphores qui font allusion aux machines (pour parler de leur corps) et que les hommes n’accordent pas d’attention à leur corps. Ces auteurs considèrent que ces « constats » ne découlent pas des travaux empiriques, mais d’opinions plutôt personnelles, et manquent d’une base théorique solide. Robertson et al., (2010), suggèrent de reconnaître et d’intégrer les aspects physiques et sociaux de l’incorporation (embodiment) pour bien saisir la construction matérielle et représentationnelle des corps et son lien avec la santé et la maladie chez les hommes.

1.1.3 Synthèse des approches du corps adoptées dans cette étude

La revue de la littérature sur le corps que nous avons réalisée permet d'identifier quelques points importants à retenir pour notre étude. D'abord, il faut souligner l'importance d'historiser le corps en le conceptualisant comme un lien fondamental entre le soi et la société ce qui contribue à définir le corps comme un nœud de significations vivantes, une métaphore du social (Esteban, 2004). De plus, nous considérons pertinent de reconnaître avec Bourdieu (1980) que tous les ordres sociaux tirent parti de la disposition du corps et, en même temps, que l’ordre social s’impose dans les dispositions corporelles. Cela implique également d'insister sur le caractère intrinsèquement social et culturel du corps. Autrement dit, il faut souligner l'importance de l'apprentissage corporel qui prend part au processus de socialisation et son lien avec la structure sociale (Esteban, 2004; Douglas, 1973; Mauss, 1968).

Par ailleurs, pour mieux saisir pourquoi et comment les corps sont socialement produits, nous estimons pertinent de prendre en compte les différents niveaux d'analyse et d'expérience qui s’appliquent, ainsi que le rôle des émotions dans cette construction (Scheper-Hugues et Lock, 1987). Tel que Scheper-Hughes (1990), nous croyons que le sujet a malgré tout la capacité de protester activement contre des circonstances oppressives qui l'entourent à travers la détresse corporelle.

En outre, nous insistons sur l'importance de remettre en question la vision unidimensionnelle de l’incorporation et du corps pour bien saisir leurs constructions matérielle, symbolique et représentationnelle. Quant à l’incorporation (embodiment), il est nécessaire de rendre visible qu'elle a lieu à travers l’organisation sociale et l’institutionnalisation, ce qui produit certaines définitions du corps féminin et masculin

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ainsi qu'une valorisation et hiérarchisation différentielle de ces corps au sein des différentes sociétés.

L'introduction de la distinction entre le sexe et le genre (qui a été développée pendant les années 50 et 60) a démontré que la domination et la suprématie masculines sont intégrées et soutenues par des pratiques et constructions sociales et non par des impératifs biologiques. Les portées politiques et théoriques du débat autour du genre sont indéniables, puisque celui-ci a significativement contribué à la dénaturalisation de la subordination et de l'oppression des femmes, en mettant en lumière les processus sociohistoriques, politiques et discursifs qui soutiennent cette subordination et cette oppression. Ainsi, les approches féministes ont mis en évidence les différents mécanismes sociaux à travers lesquels les modèles féminins sont inscrits dans leur corps (Lagarde, 2006; Rich, 1990) en mettant l’accent sur la signification du corps des femmes et la subordination à laquelle elles ont été historiquement soumises.

1.2 La sexualité et la reproduction dans les sciences sociales à partir d’une perspective de genre

1.2.1 Les études sur la sexualité à partir d’une perspective de genre

Comme nous l’avons précédemment suggéré, une des premières disciplines en sciences sociales à s’intéresser à l'étude de la sexualité a été l’anthropologie. Ainsi, Malinowski (1976) a suggéré d’étudier la sexualité de manière globale, en posant qu’elle est reliée aux institutions sociales. Au cours des années 60 a émergé les approches constructivistes pour étudier la sexualité, à partir desquelles l’on suggère que la sexualité n'est pas une entité fixe et présociale, mais une construction sociale, une « invention historique » investie de discours et de pratiques (Foucault, 1976; Gagnon et Simon, 1973), variables dans le temps et dans l’espace (Bourdieu, 1998).

Par ailleurs, en termes généraux, les études sur la sexualité dans une perspective de genre peuvent chronologiquement être divisées en deux périodes : une première qui s'étend des années 70 à la fin des années 80, et une seconde période qui débute dans les années 90 et qui se poursuit jusqu'à nos jours. Antérieurement aux années 80, l'étude des sexualités a principalement été centrée sur les sexualités hétérosexuelles et cherchait à montrer comment les relations de pouvoir et de genre façonnent l'expérience de la sexualité des

Figure

Tableau 1 : Sommaire des participants profanes
Tableau 2 : Caractéristiques sociodémographiques des participants profanes  Participant  Autoaffiliatio n ethnoraciale  a) sexe b) âge  c) milieu  d) langue  e) nombre d’enfants f) années scolarité  g) métier  h) statut civil 34
Tableau 3 : Lieu d’accouchement et interventions médicales subies par les  participants profanes  Participant   Prénom  (faux)  Accouchement à domicile  Accouchement en  institution  Ligature  Épisiotomie  Césarienne  Autre  Edith  -  1  -  Oui  -  -  Yazm

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