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Chapitre 2. Les contextes sociaux de notre recherche, la problématique et le design

2.6 Approche méthodologique

2.6.4 L'analyse des données : l'analyse intersectionelle

Presque toutes les entrevues, d’une moyenne de 80 minutes, ont été enregistrées numériquement (avec l’autorisation des participants et leur consentement éclairé). Les

entrevues et les observations ont été intégralement transcrites, traitées et codifiées à l’aide du logiciel Atlas-ti, version 5. Deux entrevues n’ont été pas enregistrées, car nous n’avons pas pu obtenir le consentement des participants en question (informateurs clés). Dans ces cas, nous avons pris des notes lors de l’entretien et les avons retranscrites immédiatement après la rencontre. Toutes les données obtenues lors du travail sur le terrain furent soumises à une analyse de contenu en suivant une approche qualitative, en privilégiant la méthode proposée par la théorie ancrée (Glaser et Strauss, 1967). Cette approche privilégie la comparaison constante des données. L’analyse de toutes les données s’est faite de façon itérative pendant et après la période de collecte. Des pistes d’interprétation ont été explorées et consolidées durant le travail sur le terrain. Nous avons donc mis l’accent sur l’identification des catégories qui ressortent de façon significative des données recueillies à partir d’une analyse plus fine des données qui nous a permis de formuler certains énoncés plus généraux en réponse à la question de recherche. Nous avons accordé une attention particulière à l’émergence de catégories et de concepts non identifiés initialement. Par exemple, ce fut le cas de la violence conjugale et de la violence sexuelle que nous n’avions pas initialement considérées comme centrales pour notre réflexion. Elles ont émergé de façon importante lors du travail sur le terrain et ont été incluses lors de l'analyse des données.

Nous avons privilégié un cadre d'analyse intersectionnel pour mieux saisir la complexité des sujets analysés. Cette approche souligne que tous les agents sociaux ne sont pas exposés de la même manière aux oppressions (Herla, 2010). Cette analyse met en relief l'importance de rendre compte (dans ce cas particulier, lors de l'analyse de contenu de caractère interprétatif) de l’entrecroisement et de l'interaction des divers systèmes d’oppression ainsi que leur rôle dans la reproduction des inégalités sociales (Crenshaw, 2005). L'intersectionalité constitue un cadre d'analyse qui permet d'aborder des questions micro et macrosociologiques (Bilge, 2009; Herla, 2010). À cet égard, en suivant les travaux de Yuval-Davis (2006), nous avons inscrit notre analyse dans une approche qui analyse les divisions sociales à la fois dans leurs dimensions micro et macrosociale par le recours à quatre niveaux d'analyse : organisationnel (qui renvoie aux organisations et institutions sociales), intersubjectif (qui réfère aux relations de pouvoir et d'affect entre des agents concrets), expérientiel (qui se centre sur l'expérience subjective des individus, leurs

perceptions et leurs attitudes face aux autres) et représentationnel (qui réfère aux représentations culturelles des divisions sociales) (Yuval-Davis, 2006; Bilge, 2009). D'une part, l’intersectionalité désigne les formes particulières que prennent les oppressions imbriquées dans l’expérience vécue des individus. D'autre part, la matrice de la domination désigne leurs organisations sociétales (Herla, 2010).

Cette approche analytique propose donc d'appréhender la réalité sociale « ainsi que les dynamiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui s'y rattachent comme étant multiples et déterminées simultanément et de façon interactive par plusieurs axes d'organisation sociale significatifs » (Stasiulis, 1999: 29). En plus, l'intersectionalité vise à prendre en considération les différentes appartenances des agents sociaux (socioéconomique, religieuse, etc.). En effet, l’intersectionalité apparaît comme un outil d’analyse pertinent pour comprendre les multiples façons dont les rapports de genre sont liés à d’autres aspects de l’identité sociale et pour analyser comment ces intersections mettent en place des expériences particulières d’oppression et de privilège (Corbeil et Marchand, 2006). Effectivement, la perspective intersectionnelle considère que les rapports de genre sont concomitants à d’autres rapports de pouvoir et systèmes de différenciation tout en considérant que les différentes dimensions des inégalités interagissent et doivent être analysées dans leur ensemble (Crenshaw; 2005; Yuval-Davis, 2006). Cela implique de s’interroger sur les mécanismes d’articulation des différents axes de pouvoir et de domination (tels le genre, l'appartenance ethnique, etc.) qui opèrent et se renforcent mutuellement. En plus, ceci demande d’envisager les différentes configurations possibles, de la domination à la résistance, en fonction de variables comme l’âge, l’appartenance ethnoraciale, la classe sociale, le lieu de résidence, etc. (Herla, 2010).

À cet égard, en suivant les idées de Crenshaw (2005) et de Yuval-Davis (2006), nous considérons pertinent de mettre l'accent sur le caractère structurel et dynamique de ces systèmes d'oppression en rendant visible l'entrecroisement de deux ou plusieurs axes de subordination sociale, ce qui ne signifie pas de présumer que ces axes soient irréductibles entre eux. Nous nous éloignons donc des conceptualisations de l'intersectionalité qui adoptent une approche basée sur les identités (Yuval-Davis, 2006; Bilge, 2009).

Pour ce faire, lors de l'échantillonnage théorique et de l'analyse interprétative, nous avons mis l'accent sur l'identification de l'entrecroisement et de l’interaction de différents

axes de différentiation sociale tels le sexe, l'appartenance ethnoraciale, l'âge, le lieu de résidence (urbain, semi-rural) et la classe sociale. De même, nous avons inclus des participants qui ont vécu différents événements reproductifs selon le type d’aide et de services requis, de même que la facilité d’accès aux services de santé, etc.

De plus, en suivant les recommandations de base de Hancock concernant l'analyse intersectionnelle, nous avons porté une attention à toutes les catégories pertinentes et aussi aux relations entre ces catégories. Nous avons examiné ces catégories à partir de plusieurs niveaux d'analyse et nous avons interrogé les interactions entre ces niveaux (Hancock, 2007).

Tout au long de ce travail, nous sommes demeurés attentifs aux différences de discours et de représentations entre les hommes et les femmes. En suivant les travaux de Sawicki (1991), nous avons situé les significations du corps, de la sexualité et de la reproduction dans le contexte de la médicalisation, mais aussi dans le cadre de l’exclusion sociale (et le manque d’accès aux services de santé de base), ainsi que dans le cadre des processus politiques, économiques et sociaux plus vastes où ils acquièrent un sens, sans pour autant que les individus soient considérés comme entièrement déterminés par ces divers processus.