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Chapitre 2. Les contextes sociaux de notre recherche, la problématique et le design

2.1 Les relations interethniques et interraciales au Mexique

Le Mexique s’est toujours caractérisé par sa grande diversité ethnique et ses relations de domination, souvent sources de tension, entre les divers groupes sociaux. Avant la Conquête, les Nahuas, Mayas et Zapotecos ont dominé d’autres groupes ethniques et se considéraient supérieure à eux. La hiérarchie et la pluralité ethnique ont été accentuées lors de la Conquête et continuent depuis à configurer les relations sociales (Navarrete, 2004). Après la Conquête, d'autres relations de domination hiérarchisées selon la classe sociale et l’affiliation ethnoraciale ont été instaurées. Celles-ci ont perduré pour d’ailleurs devenir un trait caractéristique des relations interethniques et interraciales tant sur le plan local que national (Lommnitz, 1995; Navarrete, 2004). Pendant la Conquête, la population mexicaine était majoritairement constituée tant de personnes d’origine autochtone et européenne que de personnes noires ainsi que métissées. Au sommet de cette hiérarchie sociale se retrouvaient les Européens (majoritairement des Espagnols). Ainsi, une société de castes a été établie dans la Nouvelle Espagne (Mexique). Ce Sistema de Castas (société de castes) était un système de classification qui permettait de classifier les personnes selon des catégories élaborées en fonction des degrés de « mélange des races » entre les Noirs, Blancs et les Autochtones. Ce système décrivait plus de quarante classifications ethnoraciales, mais les catégories d’origine les plus courantes étaient : espagnole (Espagnol), créole, métisse, mulâtre, autochtone et noire (Navarrete, 2004; Wade, 2010). La structure hiérarchique qui fut établie après la Conquête comportait un grand nombre de castes. À sa base, il y avait les esclaves noirs et les Autochtones. Par contre, au sommet de

cette structure se trouvaient les Blancs européens et les Créoles. Notons cependant que les Autochtones et les Noirs n'occupaient pas la même position dans l'ordre colonial (Wade, 2010). La société de castes s’est maintenue jusqu'à l'Indépendance (1821). Notons qu’après l’Indépendance, le Métis est devenu le sujet « normal » de la modernité et de la citoyenneté du XXe siècle. En effet, devant le besoin d’unifier le peuple mexicain pour consolider son Indépendance, naquit l'émergence de la fierté de l’identité métisse : l’'Indépendance du Mexique signifiait la consolidation de la nation mexicaine et de son peuple métissé. Tout au long des XIXe et XXe siècles, de nouvelles relations interethniques et interraciales ont été configurées. Avec l'Indépendance, le gouvernement et les intellectuels ont tenté d'éliminer la pluralité culturelle, considérant que celle-ci était un des piliers de la hiérarchie coloniale. En effet, ils ont défendu l'égalité-unité à travers l’invention de l’identité métisse, la seule forme de coexistence interethnique possible selon eux. Cependant, cet effort n’a pas éliminé la hiérarchie qui existait entre les différents groupes ethniques au Mexique. D'une part, cette identité est présentée comme étant très homogène et hautement hiérarchisée, parce qu'elle accorde aux élites dites occidentales les plus grands privilèges. D'autre part, cette conception présente une image très simplifiée des Métis en réduisant la richesse et la pluralité que portent toutes les cultures qui constituent le métissage au Mexique à une seule caractéristique : la modernité (Navarrete, 2004). Bien que les civilisations précolombiennes et les idées de grandeur impériale ont permis de construire les fondements mythiques de la nation mexicaine, les processus d'intégration nationale se sont basés sur le métissage et sur l'appropriation des discours sur la « modernité » occidentale (Paris, 2002; Moreno, 2008). Il s’agissait non seulement d’un processus d’intégration, mais aussi de racialisation des groupes subordonnés. Ces identités sociales attribuées au moyen de la race, de l'ethnie et de la culture ont été les fondements sur lesquels se sont articulées différentes formes d'exploitation et de domination sociale, incluant les rapports de genre, en Amérique latine et au Mexique (Viveros, 2006).

Selon l'idéologie du métissage, les Métis doivent être fiers de leur passé autochtone, mais doivent s'approprier la modernité occidentale pour accéder au progrès. En termes généraux, les Métis se considèrent dans l’ensemble comme supérieurs aux Autochtones, plus modernes et de race « blanchie ». Cependant, les Métis mexicains sont divisés par un profond racisme, selon lequel les groupes les plus blancs, les plus riches et qui ont une

culture plus fortement occidentalisée discriminent et méprisent les groupes de peau plus foncée, qui sont plus pauvres et détenteurs d'une culture plus traditionnelle.

2.1.1 Le mythe du métissage au Mexique

Soulignons qu'au Mexique, le mythe du métissage s'est consolidé dans la période postrévolutionnaire à travers des politiques sur l'identité nationale mexicaine nourries par des idées eugéniques sur le phénotype, le genre et la race (Moreno, 2008). À cet égard, deux courants ont plus spécifiquement inspiré cette croisade : le courant hispanique (hispanista), représenté par le philosophe José Vasconcelos, et le courant indigéniste, représenté par l'anthropologue Manuel Gamio (Alonso, 2008; Wade, 2010). Ces courants sont à l’origine de discours et de pratiques assimilationnistes à l'égard des peuples autochtones et d’afrodescendants (Alonso, 2008; Paris, 2002). Ultérieurement, certains intellectuels comme Bonfil Batalla ont mis en évidence que l'intégrationnisme et les processus de perte d'identité promus par l'État et l'indigénisme signifiaient la continuité des processus de domination coloniale tout en privilégiant le projet civilisateur occidental. Comme nous le verrons par la suite, les discours et les mythes sur le métissage sous-jacents à l’idée d’une possible nation homogène ont eu, et ont encore, des conséquences importantes au niveau des pratiques individuelles, institutionnelles et étatiques en regard de la gestion de la reproduction dans le contexte mexicain.

Par ailleurs, les relations interethniques sont toujours des relations sociales historiques de pouvoir. Autrement dit, elles sont des relations de domination politique, de contrôle social et d'exploitation économique. Dans la majorité des cas, l'existence ou l'invention d'une différence ethnique permet de justifier que cette relation sociale devienne verticale et exploitante (Navarrete, 2004). De nos jours, pour comprendre le racisme et la discrimination ethnoraciale dans la société mexicaine contemporaine, il est nécessaire de reconnaître les profondes inégalités historiques et sociales qui caractérisent le Mexique contemporain (et que continuent de marginaliser les populations autochtones et noires dans ce pays). En effet, si la division hiérarchique entre riches et pauvres peut être expliquée à partir de la division des classes sociales propres au capitalisme, il faut également souligner le caractère ethnoracial de cette division. Cependant, le racisme et la discrimination

ethnoraciale au Mexique ne sont pas exclusivement phénotypiques, mais aussi culturels et éthiques (Navarrete, 2004).

Des estimations récentes tirées de l'Enquête nationale sur la discrimination et la violence (2010) menée au Mexique suggèrent que 40 % de la population considèrent que les droits des Autochtones ne sont pas respectés; trois Mexicains sur dix (30 %) estiment que les droits des minorités ethnoraciales ne sont pas respectés; à peine deux Mexicains sur dix (20 %) sont d’avis que les droits des Autochtones sont effectivement respectés; et trois Mexicains sur dix (30 %) ont répondu que les droits des minorités raciales sont respectés. Ajoutons que seulement un Mexicain sur dix (10 %) considère que l'ethnie n'est pas un facteur qui peut provoquer des divisions dans la société. Quinze pour cent des Mexicains estiment que leurs droits n'ont pas été reconnus à cause de la couleur de leur peau. Trois Mexicains sur dix considèrent que la couleur de la peau a des conséquences sur la façon dont les personnes sont traitées dans la société. Huit Mexicains sur dix pensent que, au Mexique, les gens s’insultent à cause de la couleur de leur peau. De plus, 44,5 % des Autochtones interrogés jugent que la discrimination est le principal problème auquel ils sont confrontés en tant que groupe et 44 % des Autochtones croient que leurs droits ne sont pas respectés. Six Autochtones sur dix préfèrent ne pas faire référence à leur appartenance ethnique quand ils cherchent du travail, entament des démarches administratives ou s'affilient à des organisations politiques.

Ces données (outre celles présentées plus loin dans ce chapitre) permettent de tracer un portrait général des relations interethniques dans le Mexique contemporain, de leur configuration historique et de leurs effets sur les interactions sociales, et ce, dans différents contextes.