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pratique de l’évaluation de la parole, dans la société en général et dans l’institution scolaire en particulier Partant du recueil de discours d’enseignants, la réflexion

3. DIMENSIONS DE L’ÉVALUATION SOCIALE

3.2. Redonner un statut à l’auto-évaluation

Dans le domaine de l’évaluation, la reconnaissance vient donc globalement des autres. Pour les enfants, des adultes essentiellement, parents et enseignants : en négatif le plus souvent par souci de correction, en positif quelquefois lorsque le discours va nettement au-delà de ce qui est attendu d’un enfant et qui surprend. Le monde adulte a toujours été friand de précocité enfantine, tout en étant para- doxalement nostalgique de l’enfance. Mais qu’est-ce qu’un enfant de son côté attend de son propre discours ? Qu’en pense-t-il ? Certainement autre chose que ce que lui renvoie l’appréciation adulte et qu’il trouve peut-être auprès des autres enfants. Les travaux manquent dans ce domaine comme si les enfants n’étaient pas capables d’évaluation ou plutôt d’une évaluation qui mérite intérêt.

Le jugement sur soi et sur son propre discours est cependant une attitude constante de tout locuteur, quel que soit son âge, à laquelle on n’attribue pas un statut précis dans l’évaluation globale. On ne prête pas assez d’attention à ce que l’enfant pense de son propre discours : jugement qui peut être négatif (senti- ment de mal parler, de produire des ratés) et laisser percer une certaine insécurité linguistique ; jugement qui peut être positif (sentiment de bien parler, de produire les effets attendus) et traduire une image positive de soi dans la parole. L’hétéro- évaluation lorsqu’elle se manifeste joue bien évidemment un rôle dans ces senti- ments. S’auto-évaluer consiste donc à prendre conscience de la dimension quali- tative des ses propres usages du langage. Mais comment se fait cette évalua- tion : par rapport à qui, à quoi, à quels enjeux (convaincre, faire rire, procurer un plaisir esthétique, choquer) ? Divers cas de figure peuvent se présenter que je vais rapidement décliner en me servant d’exemples de conversations ordinaires et d’échanges en classe.

S’auto-évaluer constitue une réaction positive ou négative à sa propre parole, réaction qui peut relever d’une impression personnelle comme d’une posture norma- tive… ou les deux, comme on peut le voir dans les deux exemples suivants.

Le premier élève répond en sachant que, d’un point de vue normatif, sa réponse n’est pas recevable, mais que personnellement il fait un bon mot ; quant à la seconde élève, elle maintient son dire malgré la transgression :

Enseignante : donnez-moi des mots de la famille de « fort » Mathieu (voix faible + rire étouffé) : « nul » (rires dans la classe) Enseignante : si tu cherches à te faire remarquer c’est réussi ! Nadège : « fortune » ça marche maîtresse ?

Enseignante : mieux que « nul » !

Enseignante : Pascale, t’as entendu c’que t’as dit à Pauline ?

Pascale (bougonne) : c’est pas par hasard que j’ai dit salope ! J’sais ce que j’dis

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Mal dit - mieux dit - bien dit - inédit : un point de vue sociolinguistique sur l’évaluation

153 L’auto-approbation explicite est un comportement assez rare : on dit couram- ment « il a superbement parlé de » ou « il a magnifiquement dit que » et non « j’ai superbement parlé de » ou « j’ai magnifiquement dit que ». C’est l’approbation d’autrui qui est recherchée, même si l’on est persuadé du bien dire de son propre discours. Par exemple, cette intervention d’un élève « msieu ! msieu ! c’est bien c’que j’ai dit, hein ? ».

Reste la formulation : « xxx, je dis bien xxx ». Par exemple, « il fait un boulot à chier, je dis bien à chier ! » (intervention dans une conversation ordinaire). Il s’agit d’un « redoublement confirmatif du dire » (Authier, 1992) qui refuse par avance toute remise en question par l’interlocuteur ; dans l’exemple précédent, remise en cause et de contenu et de forme.

Une autre formulation relève aussi de l’évaluation positive de son propre discours : « j’ai dit X, je n’ai pas dit Y ». Par exemple, « je te fais remarquer que je t’ai dit Charlotte cette fois, je n’ai pas dit Lolotte » (intervention dans une conver- sation ordinaire). La formulation laisse deviner un conflit passé et le respect d’un contrat présent et anticipe une approbation qui pourrait/devrait venir de l’autre.

Une variante de ce type d’auto-approbation combine le formulation « j’ai dit X, je n’ai pas dit Y » avec une excuse. Par exemple, « qu’il crève maintenant / je dis bien, excuse-moi, qu’il crève ! » (intervention dans une conversation ordinaire). On peut s’interroger sur le statut de l’excuse de type « pardon » comme geste réparateur : mais réparation de quoi ? Sans doute d’un mal dit à la fois par rapport à une personne, par rapport au registre de langue, par rapport à l’interlocuteur. Nous sommes ici à la frontière d’une autre figure de l’auto-évaluation : celle de l’auto-correction.

Si l’auto-approbation est rare, l’auto-désapprobation est très fréquente et elle se manifeste souvent par des auto-corrections. De manière générale, l’auto- correction a pour moteur essentiel le passage, sous l’effet d’une auto-évaluation, d’un mal dit vers un mieux dit ou un bien dit. Mais l’évaluation négative de son propre discours peut être non justifiée et la correction sans objet. Par exemple, cet élève que l’enseignant fait revenir à sa première formulation.

Grégoire : ils marchent dans un chemin creux … heu non creusé… dans la… la route Enseignant : non c’est bien, c’est très bien « un chemin creux »

Des problèmes d’interprétation de l’évaluation peuvent apparaître, comme dans cet exemple où un élève pense être repris sur ce qu’il vient de dire, alors qu’il ne l’est que sur le fait d’avoir pris la parole sans être interrogé.

Enseignant : non Antoine !

Antoine (de manière précipitée) : je sais / j’ai pas dit c’que j’devais dire Enseignant : mais non, je te demande de laisser parler les autres

Des remises en causes peuvent aussi se présenter. Pour exemples, la remise en cause d’une auto-évaluation positive d’abord, puis d’une hétéro-évaluation négative ; on remarquera, de plus, dans le premier exemple, le passage du « je » (« tu m’expliques ») au « nous » (« nous attendons ») qui met d’office le groupe classe dans l’évaluation négative de l’enseignant :

Enseignante : au lieu de marmonner, tu m’expliques un peu mieux ta position Emilie (voix basse) : ben pour moi c’est clair

Enseignante : nous en sommes ravis mais nous attendons plus

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REPÈRES N° 31/2005 R. DELAMOTTE-LEGRAND

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Enseignante : Antonin, tu peux pas dire que tu as envie de quelque chose que tu

n’aimes pas

Clarisse : mais si moi c’est tout le temps …

Antonin : je peux dire « j’aime l’école » et le matin j’ai pas envie d’y aller Enseignante : c’est vrai et, si tu veux le savoir, moi aussi !

(rires)

Pour conclure partiellement sur les auto et hétéro-évaluations, on peut se demander si pour être du bien dit un énoncé doit faire l’unanimité : être positive- ment auto et hétéro-évalué. Rien n’est moins sûr, mais le bonheur langagier, lui, a sans doute besoin de ce partage.

Par ailleurs, l’approbation ou la désapprobation peuvent se manifester verbalement ou non. Un sourire, une mimique effarée suffisent à juger la parole de l’autre ou à fournir des indications sur le sentiment que l’on porte à son propre discours. De même, on peut réagir verbalement ou mimo-gestuellement à l’éva- luation verbale ou non verbale d’un dire. La verbalisation de l’évaluation et de sa recevabilité constitue un discours en soi qui mérite quelques réflexions.

3.3. La recevabilité des discours est une méta-énonciation

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