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avant la conformité aux modèles linguistiques et procéduraux des pratiques de référence Elles ignorent régulièrement les éléments déviants, qui pourtant donnent

1. L’IMPASSE D’UNE CERTAINE BIENVEILLANCE

1.2. La lecture de la maitresse

Voici ses commentaires, énoncés dans un entretien libre.

Elle compare d’abord l’habileté à construire un personnage. Marine se contenterait d’énoncer la catégorie du « méchant loup » (par opposition au « loup bêta » dont les élèves avaient construit la figure). Brice proposerait une caracté- ristique inopportune : d’une part la forme verbale choisie (adora) ne semblerait pas pertinente, d’autre part la place de cette mention introduirait une distorsion dans la perception de la suite des actions. Mélanie, en revanche, construirait l’in- tériorité du personnage par l’énoncé d’un goût (aimait bien) et par une prise de parole (pensée intérieure) : miam, miam. La maitresse se montre aussi accessible au souci de Mélanie de suivre ses deux personnages : le parallélisme entre ses phrases 2 et 3 montrerait comme les forces en présence, la fin du texte montre- rait le souci de gérer un double parcours narratif, de résoudre aussi le problème rencontré par le petit Chaperon. La maitresse souligne aussi la qualité de l’effet de réel construit par Mélanie (panier en bois, reprise du Chaperon rouge par l’expres- sion hyperonymique petites filles en rouge). Brice particulariserait pauvrement le script de la cache par la mention d’un arbre, Marine par la désignation décalée de la grand-mère. La maitresse admire encore le commentaire qu’introduit Mélanie :

Ouf, j’ai eu peur. Elle y voit l’indice d’une implication de l’enfant dans son écriture.

Enfin, elle apprécie, comme la marque d’un réinvestissement fécond, le réemploi de la phrase de présentation : Le chaperon rouge était dans un bois.

Cette lecture répond à plusieurs perspectives. L’écrit de l’élève est ainsi référé à des objets d’enseignement plus ou moins nettement constitués dans la 5. Il n’est pas très sûr qu’il s’agisse réellement d’un genre. Mais les élèves désignaient l’ensemble des histoires lues sous l’appellation d’« histoires à surprise », qui nous parait une appellation proprement générique.

6. Et leur diversité, qui n’est pas perceptible dans l’espace de cet article : nous n’avons pas la place de citer tous les textes...

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REPÈRES N° 31/2005 P. SÈVE

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didactique du récit, comme ici la notion de personnage ou celle d’effet de réel. Pour évaluer comment les élèves construisent leurs personnages ou comment ils accréditent leur fiction, la maitresse parait se référer à une sorte de grille de lecture qui l’amène à distinguer séparément diverses facettes. L’écrit est encore référé à une échelle implicite de performances attestées. Les qualificatifs de riche ou pauvre, plutôt qu’elle ressortit d’une esthétique douteuse de la rareté, semblent établir une sorte de comparaison entre les performances : à tel niveau d’ensei- gnement, les élèves mettent en œuvre des moyens plus ou moins diversifiés, plus ou moins astucieux, le maitre peut donc s’attendre à une diversité plus ou moins grande, à des formules plus ou moins « riches ». L’écrit est aussi référé à une typologie de « postures »7. L’engagement de Mélanie dans le projet de surprendre se lirait dans la formule Ouf, j’ai eu peur. La maitresse considère que par cette formule, l’élève s’accorde une sorte de satisfecit. Enfin, l’écrit est référé à une typologie de représentations de l’écriture. Le réemploi lisible chez Mélanie atteste une écriture qui s’appuie sur des lectures et qui ne transcrit pas un propos oral.

Cependant, cette lecture est curieusement aveugle : elle ne détecte pas que la fin du texte de Mélanie est, eu égard au projet affiché de ménager une surprise, pour le moins superflue. Elle ne souligne pas non plus dans le même texte la discordance sémantique difficile à interpréter entre la mention le loup aimait bien

les petites filles en rouge. Miam, miam et la dévoration de la seule confiture.

Par ailleurs, la lecture de la formule : Ouf, j’ai eu peur n’est pas complètement construite. La maitresse adopte en quelque sorte le point de vue du scripteur, elle ne détecte pas que cette « trouvaille » heureuse tient à sa polyphonie : s’y mêlent la voix du personnage, celle du narrateur et, peut-être, le commentaire attendu du destinataire. Si elle est sensible à ce bonheur d’expression, c’est qu’elle réagit à partir du texte tel qu’elle l’aurait écrit elle-même (ou plutôt tel qu’elle peut-être n’aurait pas songé à l’écrire). Et sur la base de cette empathie avec le travail d’écri- ture, elle manifeste un intérêt, c’est une paille dans la transparence de sa lecture, dont elle ne démêle pas les effets sur un lecteur ingénu mais qu’elle ramène à un engagement qu’elle postule.

Cette lecture parait représentative des pratiques fréquentes de beaucoup de maitres8. Elle est évidemment bienveillante : elle ne s’attache pas aux erreurs de surface (orthographe, morphologie verbale, cohérence temporelle…) qui entra- vent son confort, elle met à jour des habiletés plutôt que des défaillances, elle reconnait toute la difficulté de la tâche d’écrire et elle conclut, dans une formule aussi fréquente que significative : C’est déjà pas mal. Mais il s’agit ici d’une bien- veillance qui compare la formulation de l’élève à un idéal qui n’est pas atteint mais que le lecteur maitriserait (c’est pas mal), il s’agit d’une bienveillance qui mani-

7. Au sens que Dominique Bucheton (2002/2003) donne à ce terme.

8. Les deux textes de Mélanie et de Brice ont été soumis à des maitres rencontrés en formation continue. Les œuvres de référence, le dispositif de travail, la consigne avaient été exposés. On demandait aux maitres d’indiquer lequel des deux textes répondait le mieux au projet de ménager une surprise au lecteur. Onze maitres sur treize lors d’un premier stage, neuf maitres sur douze lors d’un second désignent le texte de Mélanie, pour des raisons similaires à celles de la maitresse de la classe à l’origine de ces textes. Un seul maitre fait état du rôle dans son choix de la difficulté sémantique à gérer la reprise de un Chaperon par une fille.

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Évaluer les écrits littéraires des élèves

35 feste comme une tempérance dans l’exigence, en relation avec une conception étapiste de l’apprentissage (déjà)… Cette bienveillance tient l’écriture enfantine sous la dépendance du projet d’enseignement. Elle n’envisage pas que l’élève ait pu sortir du contrat de la consigne, et sa finalité est essentiellement de situer la performance par rapport au curriculum prévu. De fait, elle néglige la réalité du projet de l’écrivain : après tout, l’essentiel pour Mélanie était peut-être de mener également ses deux personnages à la béatitude parfaite de l’absence de manque, à la complétude du « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Par voie de conséquence, elle se montre peu sensible à la coalescence des divers éléments du texte, elle ne rend pas compte de ce qui y fait système. De fait, elle n’identifie pas dans le texte de Brice le double sens du verbe « adorer », fortement suggéré par ses deux compléments, elle ne met pas davantage au jour dans celui de Mélanie la possible logique d’identification à son personnage qui à la fois lui fait présenter le Chaperon plutôt que le loup et l’amène à poursuivre l’histoire au-delà de l’effet de surprise.

Cette modalité de lecture semble s’appuyer sur une conception de l’appren- tissage de l’écriture où l’élève doit intérioriser peu à peu, et comme par fragments, des modèles textuels ou des solutions à des problèmes d’écriture. Le prolon- gement du travail envisagé corrobore cette analyse. En effet, la maitresse envi- sage de faire améliorer les écrits, l’amélioration attendue porte sur l’activation du stéréotype chez le lecteur. Mais les points qu’elle se propose concrètement de travailler sont la présentation du personnage et la construction d’effet de réel…

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