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pratique de l’évaluation de la parole, dans la société en général et dans l’institution scolaire en particulier Partant du recueil de discours d’enseignants, la réflexion

3. DIMENSIONS DE L’ÉVALUATION SOCIALE

3.1. La reconnaissance passe par l’hétéro-évaluation

Il faut bien l’avouer : il n’y a de bien dit et de mal dit que reconnus comme tels. L’hétéro-évaluation comme regard de l’autre est un fait central de socialisa- tion, donc un moyen privilégié d’évaluation de son propre discours ; même si tout locuteur peut être surpris des effets de son discours sur les autres et est en droit de refuser les appréciations d’autrui.

Cependant, l’importance de l’hétéro-évaluation dans la construction d’une image de soi mérite que l’on s’arrête un instant sur son fonctionnement, car il s’agit d’un phénomène langagier complexe. En effet, si les interlocuteurs affichent des représentations collectives qui laissent présager du jugement porté, ils possè- dent aussi des sensibilités individuelles qui ne permettent pas de le prévoir à coup sûr.

Trois cas se présentent d’un point de vue sociolinguistique :

– il y a des séquences verbales pour lesquelles aucun jugement n’est porté : séquences sans doute de « grande acceptabilité » parce que fondues dans la norme, attendues… rien à en dire, quel que soit l’interlocuteur – a contrario, il y a en a qui sont l’objet d’un jugement qui fait « consensus »,

favorable ou défavorable ; ces séquences sont unanimement interprétées soit comme inadaptées à la situation interlocutive ou soit, au contraire, comme lui apportant un élément positivement nouveau, apprécié et salué – en revanche, lorsqu’une même séquence est l’objet de « jugements

contradictoires », ceux-ci ont, d’une part, en commun d’avoir repéré comme remarquable (au sens de qui mérite d’être remarquée) une même séquence, et, d’autre part, d’en avoir tiré des appréciations différentes, quelquefois opposées

Ce qui me fait dire que, si l’on se place du côté de l’activité langagière des acteurs :

- ce qui fait « l’objectivité de l’évaluation », c’est la convergence des atti- tudes des personnes ou des groupes, par absence de jugement ou par jugement identique

- ce qui fait « la subjectivité de l’évaluation », c’est la relativité des points de vue, les aleas de la tolérance à la diversité, les goûts culturels, les styles personnels, les prises de positions (idéologiques) des uns et des autres

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Mal dit - mieux dit - bien dit - inédit : un point de vue sociolinguistique sur l’évaluation

151 Ainsi, tout locuteur, lorsqu’il exprime un jugement de valeur, est pris par des phénomènes dont il peut ou non se démarquer, se départir :

- des discours ambiants, circulants et leur valeur sociolinguistique, qui sont souvent des discours préconstruits, doxiques

- des discours de sa tribu et leur valeur identitaire, qui ne sont pas exempts de clichés et de représentations figées

- des affects propres, construits dans des réseaux relationnels plus difficiles à identifier d’un point de vue sociologique

Il y a donc chez celui qui reçoit un discours (et qui est autant un interpré- tant qu’un évaluateur) une « latence interprétative » (Auchlin 1991), c’est-à-dire la coexistence chez lui à un moment donné d’assomptions (au sens de prises en charge) diverses. Il se trouve ainsi contraint de négocier son « espace de jugement des discours » en tenant compte de divers paramètres. Pour prendre un exemple didactique bien connu, un enseignant de langue peut se refuser à corriger une grosse erreur grammaticale pour ne pas compromettre un effort communicatif de l’apprenant. De même, une démarche volontairement interculturelle invite à une acceptation des différences qui met à distance les discours dominants (ceux de la société en général ou ceux des groupes sociaux particuliers). Se définit alors un « espace social du compromis langagier » dans lequel chacun cherche à se cons- truire une place. Cet espace se signale comme lieu mettant en œuvre des morales langagières diverses (démagogie, manipulation, domination ou, au contraire, négociation, tolérance, co-construction).

La classe, comme tout lieu d’échange et d’inscription des personnes, est un tel espace contractuel (contrats didactiques et contrats de communication) dans lequel le compromis tient une place non négligeable, en particulier concernant les questions d’évaluation langagière. On pourra me dire que rapprocher « contrat » et « compromis » n’est pas didactiquement correct. Je pense qu’il fait partie de tout contrat didactique d’inclure une dimension de compromis qui laisse aux parties en présence une part de droit, de décision et donc de responsabilité. Les latitudes d’utilisation en classe des normes et des écarts langagiers participent de cette contractualisation.

Dans un article en collaboration (Caitucoli, Delamotte, Leconte, 2003), j’avais déjà signalé la présence très marquée dans le discours enseignant d’un compromis langagier qui permette l’expression des élèves et, du coup, une intervention mieux acceptée du maître.

Comme dans les exemples suivants (p. 22) :

Je pense que pour eux la norme scolaire doit être un repère / essentiel / mais leur fournir la norme ça veut pas du tout dire être normatif / dans le sens où il faudrait que tout le monde soit pareil / attention / mais si on veut que tout le monde soit différent, que chacun ait sa propre personnalité donc un langage propre, il faut que chacun ait la meilleure connaissance possible de la norme.

J’écoute beaucoup ce qu’ils disent / rien n’est repris tout de suite / c’est là où il y a le différentiel entre ce qui est immédiat et ce qu’il y a après / rectifier à chaque fois, ce serait de la folie / personne, vraiment personne n’accepterait une chose pareille !

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REPÈRES N° 31/2005 R. DELAMOTTE-LEGRAND

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Pour conclure sur ce point, on peut constater que si tout dire est soumis à hétéro-évaluation, celle-ci ne s’effectue dans de bonnes conditions qu’avec empathie, sympathie tout au moins (sans aller démagogiquement jusqu’à l’ad- hésion). Tout dire affronte en effet des interprétants plus ou moins bien disposés. Cette dimension de l’état d’esprit de l’interlocuteur dans l’évaluation n’est jamais explicitée, bien que toujours présente et elle explique en partie les différences de regard portées sur le discours de l’autre. Cet aspect est particulièrement sensible dans le cadre d’une évaluation scolaire.

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