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Un réglage de la tâche des lecteurs : la relation aux œuvres de référence

avant la conformité aux modèles linguistiques et procéduraux des pratiques de référence Elles ignorent régulièrement les éléments déviants, qui pourtant donnent

2. UNE INTERACTION FÉCONDE

2.2. Un réglage de la tâche des lecteurs : la relation aux œuvres de référence

La classe n’échappe pas à une première posture de censeur, mais arrive à la dépasser. Soit, par exemple, le premier jet de François (orthographe d’origine respectée).

Cette histoire se passe au tant de la découverte du feu. C’était une nuit noire illuminée par des éclaires. Un homme courait en aprochant une grotte pour fuire l’orage. Soudain un éclair frappa la cime d’un arbre étant devant la grote. L’homme n’avait pas de quoi s’éclairé. Il pris peur. Il pris le tison enflamé et l’amena dans la grote pour l’éclairer. Surpris par cette couleur rougâtre et jaunâtre, il mit sa main dedant. Il se brula et voulu frapper le feu. Mais le vent qu’il fit éteignit cette belle flamme et il fut déçu d’une tristesse. Il tenta de la ralumer et il frappa le bou du baton avec une pierre et loupat son coup qui ateri directe- ment sur une autre pierre qui fit une étincèle. Il résseyat 2, 3 et 4 fois mêmes. Il prit le bâton et claqua les deux pierre sur le bâton et réussis à allumer le feu. Il bondit de joie et voulu le montrer à ses amis, mais il été bien loin d’eux. Alors se réchauffant, il pençait et repençait au miracle qui aurait pu lui couté la vie contre les bêtes féroce et contre le frois.

Les élèves remarquent rapidement qu’on manque bien le début du film (c’était un trait dégagé de l’étude des œuvres de Claude Clément), mais que la première phrase est inutile, qu’elle explique au lecteur ce qui va se passer, qu’elle empêche de deviner. Ils notent aussi qu’il n’y a pas vraiment de peur ou de tristesse, ou plutôt que la peur est dite mais qu’on la ressent pas. Surtout, ils évoquent le rôle du regard.

2.2.1. L’intention de l’écrivain impose l’attention

François n’accepte pas un jugement rapide : Il contemple rien du tout, ton

personnage !

François : Mais si !… Il la regarde la flamme. Je le dis bien, je dis : cette belle

flamme.

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Évaluer les écrits littéraires des élèves

39 – Ouais… mais là, on sait pas bien… qui c’est qui dit. C’est toi ou c’est le personnage qui voit la flamme ? C’est qui qui la trouve belle ?

M : … le narrateur ou le personnage …

– Non, mais moi, je voulais dire… Il contemple rien…

François : Ben, il regarde la flamme. Et il en a jamais vu… Comme il en a

jamais vu, alors il est surpris, il la regarde… J’ai justement cherché comment dire. Je pensais à la couleur, au rouge et au jaune, mais je voulais quelque chose de plus bizarre. Alors j’ai pensé à rougeâtre. Ça se dit bien, hein, rougeâtre ? Et alors, j’ai mis aussi jaunâtre. Bleuâtre, ça va pas bien…

– Ouais, c’est bien ça… Ces mots en –âtre, ils sont pas fréquents.

Dans ce premier moment, il apparait clairement que François a un projet explicite : alerter son lecteur sur la couleur, que donc son personnage développe bien un regard. Il se défend en témoignant de son travail pour construire la lecture de son destinataire, il exhibe l’efficacité – réelle – de son alerte. On voit aussi l’in- tervention discrète de la maitresse qui, en introduisant deux termes techniques, réactive le souvenir de débats similaires déjà menés en lecture.

2.2.2. Où les « critères de réussite » se dissolvent

dans une lecture des lectures

Le débat se poursuit sans interruption.

– Quand même, on avait dit, « contempler »… C’est quand ils vont inventer quelque chose et qu’ils savent même pas quoi… Alors ils regardent sans savoir ce qu’ils voient. Là, ton personnage, il sait qu’il voit le feu !

– Ouais, et là, il sait ce qu’il voit ! Et puis, qu’est-ce que c’est qu’il invente ?

François : Mais moi, j’ai fait comme ça … Il invente, ben, ça se comprend non

? Il invente la façon de faire le feu… avec les silex…

– Ah, oui… Ça se comprend même tellement, tu le mets dans la première phrase, dès le début.

– Tu te souviens ? Le Musicien de l’Ombre, au début, il contemple le soleil qui se lève, et il fait comme une prière. Après, il contemple la lune qui se lève, et c’est juste alors qu’il invente la musique… Toi, ton personnage, eh bien, il regarde la flamme puis après il invente… Mais c’est par hasard qu’il invente… Il y a pas de rapport.

François : Mais la musique, c’est aussi par hasard qu’il l’invente.

[relecture du Musicien de l’Ombre pour convaincre François que l’invention des appeaux est due au hasard, mais que celle de la musique, elle, parait en rela- tion avec une contemplation auditive]

– « écoutant, terrifié, le silence haché par les cris des animaux lointains ».

Ben, là, tu vois, on comprend bien qu’il contemple… parce qu’il écoute le silence. C’est comme regarder le vide, le rien… C’est sûr qu’on sait pas ce qu’il entend… Le silence.

– Mais si, on… on comprend. Il a peur, alors il écoute, même s’il y a rien à écouter.

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REPÈRES N° 31/2005 P. SÈVE

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– Ben si, eh, on entend le cri des animaux lointains…

– Oui, mais ce qu’il veut, c’est entendre les autres… et là, il les entend pas. – C’est un tout… Il a peur, il écoute pour voir [rire], bon, pour entendre s’il y a quelque chose… Les autres, ou des bêtes. On peut pas séparer : la peur, comme il écoute, la contemplation, la musique…

– Et la lune qui se lève…

François : Ouais… Alors, peut-être… Je vais mettre plus de peur et plus de

contemplation, et puis plus de regard.

Ici, les camarades reprennent leur lecture des œuvres de Claude Clément. Ils reprennent et affinent une discussion qui avait été vive lors de la découverte du livre, mais qui apparemment a laissé peu de traces dans le travail d’écriture de François. Surtout, sans pour autant verser dans une attitude métalexique qui ruinerait la mise au jour du projet de l’écrivain, c’est à une comparaison de lectures qu’ils se livrent : celle des œuvres de référence, celle que mobilise le texte de François. Du coup, leur attention se fait plus précise, et débouche sur un dialogue plus approfondi.

2.2.3. L’attention rebondit sur les œuvres de référence

et devient réellement une attention esthétique

– Tu pourrais… je sais pas, mais t’as écrit : une nuit noire illuminée. Moi, ça m’a fait drôle, d’abord, mais c’est bien, ça, une nuit noire illuminée. Parce que c’est noir et c’est illuminé. C’est le feu sur le noir…

– Ouais, ça c’est bien : ça dit la peur et ça dit la rassur…[l’élève cherche vrai-

semblablement un déverbal de rassurer ] le feu, quoi. François : Et alors ?

– Ben, c’est comme dans Longtemps, faire danser les boiteux… C’est deux choses qui vont pas ensemble.

– Ou comme la nuit qui éclaire dans… dans L’Homme qui allumait les

étoiles…

– ou alors, euh, comme tout à l’heure… on disait « écouter le silence »… – Je sais pas, comme ça, tu pourrais y mettre du noir et de …

M : …et de l’illumination ? Bon François, tu verras ce que tu peux faire avec

tout ça.

– Ben, c’est vrai ça, c’est souvent, dans Claude Clément, qu’il y a de drôles de phrases comme ça…

M : Comme quoi, de drôles de phrases ?

– Des phrases qui disent le contraire…

– C’est comme on avait dit qu’elle montrait un moment de « bonheur sur un fond de tristesse », et ben, elle dit des choses qui vont pas ensemble.

– Comme le musicien, qui fait à la fois l’ombre et la lumière.

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Évaluer les écrits littéraires des élèves

41 Ici, l’oxymore (peu conscient ? involontaire ?) proposé par François parait une solution possible pour dire la relation dialectique entre la tension et l’invention, celle-là même que l’évocation d’une contemplation ne réussit pas à suggérer dans son texte. Ainsi, les commentaires des pairs passent de la tentation de mettre en conformité avec les traits dégagés des œuvres de référence à cette autre entre- prise qui s’attache à saisir comment l’auteur (François et/ou Claude Clément) traduit cette relation dialectique. Ainsi, leur proposition rebondit sur l’explicitation d’un aspect inaperçu jusqu’ici du style de Claude Clément. Les élèves s’engagent là dans l’élaboration de ces nouveaux critères d’évaluation que C. Tauveron (1996) appelait de ses vœux.

2.3. L’intention artistique se construit en réponse

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