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La recevabilité des discours est une méta-énonciation Il me semble donc nécessaire maintenant de dire quelques mots du fait que

pratique de l’évaluation de la parole, dans la société en général et dans l’institution scolaire en particulier Partant du recueil de discours d’enseignants, la réflexion

3. DIMENSIONS DE L’ÉVALUATION SOCIALE

3.3. La recevabilité des discours est une méta-énonciation Il me semble donc nécessaire maintenant de dire quelques mots du fait que

l’évaluation langagière lorsqu’elle est explicite constitue une méta-énonciation : du discours sur du discours, autrement dit un discours qui prend du discours comme objet. L’évaluation peut être un acte (déchirer un texte qu’on désapprouve), une mimique ou un geste (haussement d’épaule, sourire, hochement de tête, etc.), mais elle est le plus souvent un dire, un « après-dit » (Auchlin, 1991), une méta- évaluation, qui peut être à son tour évalué par un nouveau dire. Celui-ci peut se répartir sur plusieurs interventions ou être interne à une même prise de parole.

Pour exemple du premier cas, cette suite de trois interventions totalement méta-évaluative insérée dans le déroulement de l’échange.

Enseignante : tu as revu ta phrase ? Jeanne : j’ai changé comme vous avez dit Enseignante : montre / non, c’est faux Jeanne : c’est pas entièrement faux

Enseignante : d’accord, disons qu’il reste encore une erreur / tu vois où ? Jeanne : le verbe ? l’accord du verbe ?

Pour le second cas, les exemples suivants où, après une première énoncia- tion, une seconde intervient portant sur la première pour, dans le cas de Thomas, atténuer une mauvaise évaluation, dans le cas d’Estelle, casser une bonne :

Enseignante : Non, Thomas ! Tu le fais exprès ou quoi ? Tu nous avais habitués à mieux

Enseignante : Oui, Estelle ! C’est bien ! Tu nous surprends / une fois n’est pas coutume

De manière générale, on remarquera que ces mises en mots participent au « bornage » de l’espace de recevabilité des discours. Dans le cadre scolaire, elles constituent des éléments de négociation discursive. Elles ont ainsi une valeur contractuelle et marquent les limites du compromis langagier. Par exemple, dans le cas suivant, la demande explicite des élèves de modifier les règles habituelles

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Mal dit - mieux dit - bien dit - inédit : un point de vue sociolinguistique sur l’évaluation

155 (il s’agit d’un « quoi de neuf » en début de semaine), suivie d’un bornage explicite lui aussi de l’enseignante :

Amaury : et si on disait des choses comme entre nous ?

Enseignante : si vous voulez, on verra bien si j’accepte tout ça en classe

Cet après-dit se présente donc comme une « mise en mots » de la mesure de la recevabilité des discours, recevabilité bien évidemment graduable. Mais la formulation de cette graduation est très floue, en particulier dans le monde scolaire où les choses devraient être opératoires pour les élèves et indiquer ce que serait le mieux dit souvent réclamé..

Je relève dans des copies les notations suivantes : « banal », « décevant », « trouve mieux », « ça me plaît », « impropre », « mauvais goût », « joliment dit », « un peu limite », « bien vu », « hors de propos », « incongru », « à revoir », « va plus loin », « à préciser », « bien formulé », « sans rapport », « développe », « obscur », etc. Que visent exactement ces formulations ? En particulier, quels niveaux de production : formel, énonciatif, pragmatique, sociolinguistique ? Quelles refor- mulations exigent-elles quand elles sont réprobatrices ? On pourrait prendre ces formulations une par une et en discuter avec les élèves ; on serait surpris de la manière dont elles sont interprétées. Une activité réflexive les concernant permet- trait non seulement d’éclaircir des problèmes de langue, mais de mettre en débat toute une batterie de formulations méta-évaluatives opératoires non seulement dans le cadre scolaire, mais aussi hors de lui. Et pourquoi ne pas aller plus loin et travailler à partir de là tout un ensemble discursif qui permet de nombreuse modalisations énonciatives. En effet, cette dimension « méta » de l’évaluation des discours, en particulier des siens propres, est à l’origine de modalisations multi- ples qui pourraient faire l’objet d’un apprentissage explicite en classe.

Je pense très précisément aux formules désignées par Authier (1992) comme un « mode retenu » de discours, en quelque sorte préventif d’une l’évaluation négative de l’interlocuteur : « Si je puis dire », « j’ai envie de dire », « j’allais dire », « on pourrait dire », « ce qu’on peut appeler », etc. Ces formulations sont très fréquentes dans la parole ordinaire et traduisent un rapport évaluatif complexe au discours produit, puisqu’elles correspondent à un calcul de sa recevabilité face à un interlocuteur ou un contexte donnés.

Dans les exemples suivants (conversations ordinaires), le locuteur évalue une inadéquation possible (probable) de son discours et prend la précaution de le faire savoir à son interlocuteur. Cela lui permet de dire sans prendre le risque d’une intervention réactive négative :

J’allais dire gros cornichon, mais j’ai pas voulu (enfant de six ans)

Dans l’histoire peut-être on pourrait dire les nanas pour les filles (enfant de onze ans) J’ai eu envie de lui balancer t’es un sale conard, mais t’imagines le topo… (adulte)

Des formules plus élaborées se rencontrent moins fréquemment dans l’usage courant, mais seraient à faire connaître pour leur fonction de négociation en discours : « je dirais volontiers », « je pèse mes mots », « j’emploie à dessein », « je ne dis pas à la légère », « je me permets de dire », etc. Cette prise de distance par rapport aux discours - qui ménage la relation à l’autre, qui anticipe un possible effet négatif ou qui plaide en faveur d’une prise de parole, pour que le discours soit accepté ou pour que l’interlocuteur comprenne le sens des paroles qui lui sont

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REPÈRES N° 31/2005 R. DELAMOTTE-LEGRAND

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adressées - met en scène un ensemble de valeurs, sociales, interindividuelles, culturellement inscrites dans les échanges langagiers, dont je voudrais dire un mot en fin d’article.

3.4 Il n’y a pas d’évaluation sans mise en scène de valeurs

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