• Aucun résultat trouvé

Quelques discours enseignants comme point de départ Le terme d’écart est de manière stéréotypée associé au langage Ne parle-

pratique de l’évaluation de la parole, dans la société en général et dans l’institution scolaire en particulier Partant du recueil de discours d’enseignants, la réflexion

2. L’ÉCART COMME CRITÈRE D’ÉVALUATION

2.1. Quelques discours enseignants comme point de départ Le terme d’écart est de manière stéréotypée associé au langage Ne parle-

t-on pas d’écart de langage pour désigner ce qui dans l’acte de parole ne peut être toléré parce que mal formulé ou déplacé ? L’écart n’est pas loin de la faute, puisque proche du « faux pas » !

La notion d’écart utilise ainsi en permanence une bien intéressante méta- phore qui renvoie à un ensemble signifiant complexe comprenant tout à la fois : a) des aspects spatiaux : statiques (niveau, distance, éloignement) comme dyna- miques (écarter, repousser, déplacer), b) des aspects moraux : faute, chute, déviance. Certaines formulations contiennent les deux champs connotatifs : un propos déviant ou déplacé indique à la fois qu’il y a eu mouvement et manque- ment aux règles sociales. De plus, l’écart est une réalité sur laquelle on peut agir : l’écart se mesure, s’évalue, se réduit, se creuse, se conserve.

En théorie, le réseau des sens possibles est très étendu, mais en pratique (et en contexte), l’interprétation reste la plupart du temps figée : quand on lit dans un rapport d’étude que « l’écart se creuse de plus en plus entre les manières de parler des enseignants et des élèves », on comprend sans hésiter que c’est

31.indb 142

Mal dit - mieux dit - bien dit - inédit : un point de vue sociolinguistique sur l’évaluation

143 la pratique des élèves qui s’éloigne de celle des enseignants et non l’inverse. Il ne s’agit pas plus d’ailleurs de penser que les deux pratiques bougeraient dans des sens opposés ; un implicite s’impose comme une évidence : le mouvement d’écart produit est celui des élèves.

L’hypothèse est donc que, face à un monde enseignant stable dans ses pratiques (oserai-je dire immobile ?), l’univers des élèves évolue, se transforme, prend de la distance par rapport à l’institution qui vit mal ces transformations et surtout ne sait pas les gérer. Pour vérifier ce constat, j’ai commencé à relever les occurrences de la notion d’écart et le sens qu’on lui accorde dans des discours d’enseignants. J’en donne ici, pour amorcer mon propos, quelques extraits signi- ficatifs (les discours ont été recueillis en 2004 ; c’est moi qui souligne certaines formulations).

L’objectif de nos enquêtes est de mesurer l’écart grandissant entre la langue scolaire attendue et celle que les élèves mettent en œuvre lors de communications courantes (enseignante de CE1).

C’est en prenant la mesure de l’écart entre le vocabulaire répétitif mobilisé dans l’oral ordinaire des élèves et les vocabulaires plus divers mobilisés dans les discours scolaires écrits qu’il faut aborder les problèmes d’enseignement du français (enseignante de CE2).

L’écart qui se creuse de plus en plus entre la pratique de la langue par les élèves et celle qu’exige l’apprentissage des savoirs doit devenir un objet central de réflexion en didactique (directeur, enseignant de CM2).

Soyons clairs, il ne s’agit pas seulement de réduire comme on dit l’écart entre la façon dont ils s’expriment et la manière que nous avons de leur parler en cours, mais aussi et surtout d’arriver à ce qu’ils parlent vraiment autrement (enseignante CM2)

Déjà faudrait-il que soit résolu le problème de l’écart entre une maitrise raisonnable du français et des habitudes bien installées de mélanger les langues (enseignant de CP)

S’il n’y avait pour ces enfants que des écarts langagiers, passe encore, mais que faire des écarts culturels ? Je pense non seulement à leur manière de parler mais aussi à leur comportement en classe et entre eux (enseignante de CLIS)

Le constat que l’écart se creuse entre le langage des élèves et celui des enseignants est une expérience que nous partageons tous. La question est de savoir comment réduire cet écart, ou tout au moins comment le transformer, c’est-à-dire en faire quelque chose dans le domaine des apprentissages (IEN)

Ces quelques exemples, pris parmi tant d’autres, suffisent à donner une idée de la diversité des pistes tracées par la question de l’évaluation à travers cette notion d’écart. Une rapide analyse de ces déclarations met en lumière les repré- sentations suivantes :

– il existe un contraste entre « la langue scolaire » et les « communications courantes » ; le terme « courant », dans un cotexte dont le propos général est l’écart, prend une connotation dépréciative ; de même le singulier de « langue » face au pluriel de « communications », marquant la force de l’homogène et la dispersion de l’hétérogène

31.indb 143

REPÈRES N° 31/2005 R. DELAMOTTE-LEGRAND

144

– la langue scolaire est celle qui est « attendue » lorsque l’enfant est consi- déré dans son statut d’élève, c’est-à-dire lorsqu’il est en interaction avec un enseignant ; la langue courante serait alors d’une part mal venue et d’autre part mal évaluée

– l’écart devient grand écart si l’on considère la double opposition : ordi- naire / scolaire et oral / écrit ; « l’oral ordinaire » et « l’écrit scolaire » semblent toujours borner une distance entre les pratiques langagières les moins bien évaluées par l’institution et celles qui le sont le mieux – l’usage du vocabulaire, pris comme exemplaire du niveau de compétence

verbale des enfants, est sur cette échelle jugé « répétitif » dans l’oral ordi- naire des élèves et « divers » dans les discours écrits de l’école ; répétition pourrait bien dans le cotexte d’évaluation renvoyer à pauvreté et diversité à richesse

– « l’apprentissage des savoirs » est lié à une question de langue et exige impérativement une langue autre que celle parlée par les élèves ; cette dernière est jugée donc inapte à de tels apprentissages et le terme « exiger » peut laisser à penser que seule l’autre langue permet l’accès aux savoirs …

– … ce qui semble se confirmer lorsqu’il est proposé « qu’ils parlent vrai- ment autrement » ; ainsi la façon de parler des élèves perd tout statut dans la classe et surtout pour la mission de construction des savoirs ; elle ne semble présenter aucune qualité au sein de l’institution

– le « mélange des langues » est considéré comme une pratique qui limite la réalisation des objectifs scolaires, puisque cette réalité langagière ne laisserait plus espérer qu’une « maitrise raisonnable du français »

– le problème linguistique en appelle un autre, culturel, qui est perçu comme un facteur aggravant pour l’enseignement (« et s’il n’y avait que… passe encore… »), devant lequel les enseignants sont démunis (« que faire ? »)… – … bien qu’une réponse, contradictoire, apparaisse à travers l’association

ambigüe de deux idées, celle de « réduction » et de celle de « transforma- tion », par le biais de la modalisation « tout au moins »

Inutile de poursuivre plus avant, ces discours bien connus participent d’un sens commun profondément admis dans la société et chez les professionnels de l’éducation. S’ils ont leur raison d’être, à la mesure des difficultés rencontrées par les enseignants, ils nous disent cependant combien restent vivaces les questions de société que soulève le problème de l’évaluation de l’activité langagière, en particulier orale, des élèves dans le cadre scolaire. Ils soulignent aussi à quel point la notion d’écart constitue un critère d’évaluation négatif.

Cette connotation négative est bien évidemment dans de multiples cas justi- fiée ; personne ne soutiendra que les élèves parlent toujours bien ou comme on le souhaite … Elle se justifie beaucoup moins si elle ne fait que mesurer le déca- lage entre des pratiques scolaires du langage globalement conservatrices et les nouvelles formes langagières qui émergent de l’évolution des pratiques ordinaires. Que les usages scolaires et les usages ordinaires du langage soient différents n’est pas un problème en soi et il est même nécessaire qu’il en soit ainsi. En revanche, que l’écart entre les deux univers de pratiques devienne tel que toute coopération

31.indb 144

Mal dit - mieux dit - bien dit - inédit : un point de vue sociolinguistique sur l’évaluation

145 s’avère difficile pose un véritable problème qui exige que tous les acteurs entrent en mouvement. Les disciplines scientifiques ont sans doute sur ce point leur mot à dire, mais leur positionnement n’est pas d’emblée opératoire et éclairant.

2.2. Les sciences du langage face à la notion d’écart

Outline

Documents relatifs