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À LA RECHERCHE D'UNE TENSION

ACCÉLÉRATION ET FICTIONS

À LA RECHERCHE D'UNE TENSION

Dans les œuvres de Roman Signer, des retentissements ont lieu. « L'urgence, dangereuse à plus d'un égard, des événements et interventions de Signer tourne autour d'un moment de tension, ou de détente117. » Avec Roman Signer, un dispositif est mis en place

et pose l'attente d'une réalisation. Sous de courtes durées, l'artiste met en scène des manifestations qui seront filmées ou photographiées.

Roman Signer Zelt, 2002 Photogrammes

Dans la vidéo Zelt, une tente est au centre de l'image. Celle-ci est éloignée de la caméra. Nous la distinguons mais sans plus. Le lieu semble isolé. L'herbe est haute et les arbres en arrière-plan ne sont pas taillés. La scène se déroule sans doute à l'extrémité d'un champ. C'est un paysage rural lambda, un endroit où communément rien se passe, un espace inhabité par l'homme. Au bout de quelques secondes, Roman Signer sort avec empressement de la tente et court vers la caméra.

Alors qu'il n'est qu'à cinq mètres de son point de départ, une imposante détonation retentit. La tente vient d'exploser. Un 117. Max, Wechsler, « De la Dynamique de l'arrêt », dans Grégoire, Robinne (dir.)

Roman Signer, catalogue d'exposition, Nantes, HAB (juin 2012 – septembre

champignon blanc se dessine derrière l'artiste. La tente est totalement détruite. Elle vole en éclats. La déflagration a totalement transformé le paysage. Roman a eu chaud. La première vision de la vidéo est surprenante. Rien ne laisse présager qu'une explosion aura lieu. Le titre de l’œuvre Zelt ne nous annonce rien118. La tente

est sans artifice. Tout est fait pour nous surprendre. La vidéo est courte. La détonation est forte.

Comme avec Vif-Argent dans X-Men: Apocalypse, la mise en scène d'une explosion permet d'accroître, d'intensifier une tension. Avec

Zelt, la tension à l’œuvre est comparable à une course contre la

montre. La performance pouvait tout compte fait très mal tourner. Roman Signer aurait pu gravement se blesser. Il aurait pu glisser et rester trop près de la tente avant son explosion. Zelt est un lot de « il aurait pu ». Aussi, la dépense mise en œuvre impressionne. La mise en scène de Roman Signer était en effet risquée. Sa réalisation n'était pas étrangère à une somme de déconvenues. La déflagration est finalement une délivrance. Le défi a été relevé. La tête brûlée Roman Signer est saine et sauve. Un état de satisfaction nous emporte. Nous sommes libérés d'une pression.

La vidéo de Zelt est une trace d'un événement passé mais réussit, par la simplicité de sa captation, à communiquer une intensité. L'explosion émise est une dose d'adrénaline. Elle provoque en nous un état d'euphorie. Pour Roman Signer, l'attente d'une explosion est une expérience permettant d'assouvir un besoin frénétique. « Ça crée une tension énorme. C'est comme une addiction. Cette tension c'est mieux qu'un film policier (rire). D'abord il y a la tension puis ça retombe119. » Face à ce travail, nous sommes excités par la

réalisation émise par l'artiste puis soulagés par son heureux dénouement. Avec Zelt, un défi a été lancé créant une mise en tension et, une fois que tout danger est esquivé, un soulagement nous contente. La vidéo de Roman Signer joue des mécanismes propres à l'action de désirer : d'une tentation à son assouvissement. Une explosion devient une mise en tension sans frustration : un épanouissement, une joie légère et momentanée. Roman Signer joue avec des explosifs, mais aussi, se joue de notre attrait commun, intime, et inavoué pour la démesure et la destruction.

118. Le « JETZT » (maintenant) du compte à rebours de Fritz Lang ressemble au « Zelt » (tente) de Roman Signer. Un mot court, percutant, sonnant le glas. 119. Tracks ARTE, « Roman Signer » [En ligne]. Disponible sur : <https://www.youtube.com/watch?v=nIEoyQZku6U> [consultation le 8 octobre 2019].

Roman Signer

Aktion vor der Orangerie, 1978 Photogramme

Aktion vor der Orangerie fut activée le 20 septembre 1978, pour le

finissage de la Documenta 8. Un compte à rebours annonçait l’avènement de l’œuvre, comme s'il s'agissait du lancement d'une fusée. Le public était en attente, réuni autour du dispositif de l'artiste. Pour cette expérience, 350 piles de papier (de 1000 feuilles chacune) ont été disposées les unes à côté des autres formant ainsi une ligne de 300 mètres de long. Une charge d'explosifs était associée aux 350 piles et reliée à un même détonateur. À la fin du décompte, un mur de 15 mètres de haut et de 300 mètres de long de papier et de terre se forma soudainement. Le paysage s'en retrouva transformé120.

L’installation Lightning Field (1977) de Walter De Maria joue d'une mise en attente similaire. L'œuvre est un ensemble de 400 poteaux en acier inoxydable plantés selon une grille rectangulaire d'un mile de long sur un kilomètre de large dans une zone éloignée de toute civilisation au Nouveau-Mexique. Les poteaux sont distants de 67 mètres les uns des autres. En réponse aux inclinaisons propres au terrain, la taille des poteaux diffère (ils mesurent entre 4,57 mètres et 8,15 mètres de haut) pour qu'ainsi les 400 poteaux soient à la même hauteur et par conséquent, qu'ils forment un plan uniforme 120. Les explosions finales et imaginées par Daria la protagoniste du film

Zabriskie Point (1970) de Michelangelo Antonioni avec en fond le titre

psychédélique Come in Number 51, Your Time Is Up des Pink Floyd ont été mises en relation (à plusieurs reprises) avec le travail de l'artiste. Roman Signer n'a jamais caché son goût et les accointances que développait son travail avec cette séquence en slow motion qui offre à son spectateur une fascinante vision d'objets en suspension, une délicate et souple dépense.

en leurs pics. De par la constitution desdits poteaux, Lightning Field est un spectacle en devenir. En fonction de conditions climatiques favorables, l’œuvre peut jouer les paratonnerres. Le travail de Walter De Maria promet une possible manifestation. Il soumet son spectateur à une attente et cela malgré la rareté reconnue du spectacle, soit une rencontre entre un éclair et un des 400 poteaux.

Aktion vor der Orangerie et Lightning Field jouent d'un effet de

projection et de l'attente d'une réalisation. Les deux productions plastiques sont annonciatrices d'un moment intense à venir. Ce sont deux promesses de jouir d'un instant vivace. Ces œuvres dépeignent une addiction, un désir d'intensités. De par leurs intentions de « percuter », Roman Signer et Walter De Maria incarneraient une forme d'archétype de la figure de l'homme intense.