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EXPOSITIONS À REBOURS

METTRE EN IMAGE

Dans l'entretien I'm not a customer, I'm a passenger !7, les

deux artistes Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster se retrouvent face à des images. Un entretien particulier dans lequel l'interviewer Philippe Parreno ne pose pas de question. Dans cette retranscription, Dominique Gonzalez-Foerster commente ces images.

« Des images sont étalées sur la table, coupures de journaux, images découpées dans des magazines, tirages photographiques, cartes postales. Toutes les images dont elle parle sont en couleurs8 … »

Philippe Parreno reste muet. Une stratégie intéressante qui permet à son lecteur de ne pas avoir l'impression d'être spectateur d'une conversation. Le lecteur est comme l'un des acteurs de la discussion, à l'écoute. Nous imaginons, au fil des mots de Dominique Gonzalez-Foerster et via de courtes descriptions d'actions, comment la scène est en train de se dérouler.

Pour cet entretien entre deux artistes, Dominique Gonzalez- Foerster pose une contrainte dès le début de l'entretien. Elle discutera d'images sans les montrer. Les images en question ne sont pas visibles dans l'entretien papier.

« On va faire ce que je ne fais pas d'habitude, je vais parler d'images sans te les montrer. J'en avais choisi une trentaine et je me suis rendue compte qu'elles ressemblaient plus ou moins toutes à cette carte postale. La description que je vais faire de cette image pourrait aussi bien convenir à celle-ci ou à celle-là à côté et un peu moins à cette autre9 . »

Lors de l'entretien, Dominique Gonzalez-Foerster passe d'une image à une autre. Elle les décrit et ordonne une constellation. L'entretien apparaît comme un jeu d'analogies, de souvenirs orchestrés par celle-ci. Dans cet entretien, l'artiste se pose la question de savoir comment parler d'images, de comment elles peuvent nous amener à d'autres, de comment celles-ci peuvent rendre visible une absence.

Comme avec Dominique Gonzalez-Foerster, la question de mettre en image est primordiale dans le projet 33³. Sa note d'intention spécifie qu'aucune photographie n'a été prise dans la salle des coffres. Jouant le jeu jusqu'au bout, aucun cliché de ce lieu ne vous sera dévoilé. Je vais tâcher, via des images glanées sur le moteur de recherche Google, d'éclaircir ce non-visible.

7. Le texte a été publié une première fois en mars 1995 dans la revue Documents

sur l'art contemporain #7 puis, par la suite, dans le recueil Speech Bubbles.

8. Philippe, Parreno, Speech Bubbles, op. cit., p.32. 9. Idem.

Pour discuter de l'espace de la salle des coffres, je vais m'inspirer de l'entretien entre Philippe Parreno et Dominique Gonzalez- Foerster. Je vais imager par des images. Je vais adjoindre à celles- ci des commentaires pour rebondir d'une image à une autre et ainsi produire ce que Dominique Gonzalez-Foerster nomme une « double image ».

« Ce qui est difficile ici pour moi, c'est que c'est un endroit que j'ai réellement vu. Je ne peux pas parler de cette carte postale sans penser à ce que j'ai vu. Ici commence la double image. Il y a des images de ce que l'on a vu et d'autres que l'on ne connaît pas. Certaines avec des choses en plus, d'autres avec des choses en moins10. »

Une expérience d'une double image que je vais à mon tour réaliser. Je vais tenter de vous faire voir l'espace de la salle des coffres par autre chose qu'une de ses traces, instaurant de ce fait une distance amenant à l'imaginer.

L'image est drôle. La mise en scène et la maladresse de son exécution capte notre attention. Le flash de l'appareil photo se reflète sur la grille de protection. L'image est bizarrement cadrée et donne la sensation qu'elle a été réalisée à la va-vite. La pose du (sans doute) directeur de la banque est figée et sans tenue. Ses yeux sont ailleurs. On ne sait pas s'il sourit ou s'il rit nerveusement. On imagine la scène d'un photographe accroupi tentant de mettre en lumière l'autorité du patron de l'agence. Un patron qui, dressé, tient l'un des barreaux de la porte afin de montrer qu'il dirige l'agence, qu'il est le capitaine du navire. Mais l'effet escompté n'est pas au rendez-vous. L'homme en costume, dans cette posture et sous cet angle, semble plutôt se tenir à la porte pour ne pas tomber. Aussi, l'image est le fruit d'un interdit. La règle de ne pas de prendre de photographie dans une salle des coffres a été bafouée.

En comparaison à la salle des coffres de 33³, la grille de protection est similaire. Mais cela est la seule ressemblance avec la salle des coffres de 33³. La salle est ici beaucoup plus étroite. Le plafond et les luminaires sont différents. Ici, les coffres-forts ont été fixés sur l'ensemble des murs de la salle. À La Roche-sur- Yon, il y a des espaces sans coffre-fort. Aussi, il n'y a que deux types de coffre- fort visibles sur ce cliché tandis que quatre modèles sont disposés à La Roche- sur-Yon (soit 12 x 33 cm, 33 x 33 cm, 66 x 33 cm et 1 x 1 m).

L'image est ici beaucoup plus plaisante. La photographe a réussi un effet de profondeur et ladite image a été contrastée a posteriori. La lumière produit une ambiance particulière. On imagine que les coffres-forts ont été entrouverts pour l'occasion. Une mise en scène qui donne l'impression que la salle des coffres a été laissée à l'abandon. Certains coffres-forts sont érodés, ce qui fortifie l'hypothèse d'une désaffectation. Il n'y a cependant pas de poussière visible. Le mécanisme de la porte des deux coffres les plus en hauteur a été démonté et laissé à l'intérieur des coffres-forts en question.

Comme pour 33³, les coffres-forts photographiés sont bleus à l'intérieur et ont une porte de couleur grisâtre. De nouveau, la taille des coffres-forts diffère. Le mécanisme des serrures est néanmoins similaire. Comme nous pouvons le remarquer avec le n°1325 (à gauche de l'image), il suffit de faire glisser la plaque en acier sur laquelle figure le numéro des coffres-forts pour accéder aux deux serrures des coffres-forts. Dans cette photographie, aucune serrure n'est visible. Peut-être que le photographe n'a pas eu l'autorisation de divulguer les formes de ces serrures. La monstration de cette information aurait peut-être donné des idées à des serruriers amateurs.

De manière assez étonnante, ces deux photographies représentent assez justement l'architecture et l'ambiance de la salle des coffres de La Roche-sur- Yon. Ces deux images sont la captation d'un « décor » de bureau. L'heureux propriétaire de celui-ci avait (sans doute) apprécié la quiétude d'une salle des coffres. Peut-être souhaitait-il en faire une cachette secrète ? À croire que non, car on discerne dans la seconde image deux chaises aux extrémités du bureau. Cela laisse présager que celui qui s'y installe a l'habitude de recevoir. Un décor qui a donc peut-être pour vocation de faire ressentir à son invité qu'il est, de par sa présence dans ce lieu, au sein d'une confidence ?

Pour la salle des coffres de 33³, une moquette rougeâtre et un peu vieillissante remplace le parquet de ce bureau. Le plafond de la salle des coffres est légèrement plus élevé et a été réalisé à partir de dalles de faux plafond similaires. Néanmoins, il n'y a pas de spots encastrés, ni de néons au dessus des coffres-forts. À La Roche-sur-Yon, seuls des spots fixés sur les murs éclairent la pièce.

Derniers éléments, une chaise et un bureau sont accolés à un mur sans coffre- fort. Le modèle de la chaise dans la salle des coffres est très proche du modèle photographié ci-dessus. De couleur bleue, elle est cependant un peu plus large et son dossier est plus court. La chaise n'est pas en bon état mais reste fonctionnelle. Sur le bureau de la salle des coffres en formica beige, on trouve trois éléments : un téléphone, une balance à deux plateaux et une compteuse de billets. Ce matériel est mis à disposition pour les clients.