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LE MATCH DE FOOTBALL

DESSEIN ET VITESSE ?

Un match de football est un divertissement. Mais que nous apprend sa forme d'origine sur son dessein ? Une archéologie du football nous dévoile que l'histoire de ce sport est attachée à de nombreuses luttes et répressions sociales. Dès son origine, le jeu du football avait mauvaise réputation auprès du pouvoir en place.

« Au cours de l'Histoire et aux quatre coins du monde, le football a été en effet le creuset de nombre de résistances à l'ordre établi, qu'il soit patronal, colonial, dictatorial, patriarcal ou tout cela à la fois. Il a également permis de faire émerger de nouvelles façons de lutter, de se divertir, de communiquer – bref, d'exister34. »

L'ancêtre du football nommé en français soule (ou choule) est évidemment flou. Les origines d'une pratique consistant à shooter dans une balle semblent échapper à une datation historique. Néanmoins, Mickaël Correa justifie la popularisation de ce jeu via un décret interdisant cette pratique en avril 1314 par le lord-maire de Londres, Nicholas de Farndone, dans les espaces publics londoniens. Le football du XIVe siècle était beaucoup plus « sauvage » qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas vraiment de règles déterminées. Il suffisait d'avoir un ballon et des participants.

« [L]es règles de ce proto-football sont pour le moins minimalistes et varient en fonction de chaque territoire. On retrouve cependant un corpus de pratiques de jeu semblables d'une région à l'autre. Deux troupes rivales, et parfois plusieurs, doivent par n'importe quel moyen amener le ballon dans le camp opposé. La balle de jeu, de la taille d'une tête, peut être un ballon de cuir rempli de foin, de mousse ou de son, une boule de bois ou d'osier. L'endroit où déposer le ballon pour remporter la partie est marqué par un simple mur, la limite d'un champ, la porte d'une église, une trace arbitraire sur le sol ou encore une mare dans laquelle il faut plonger la balle. La taille du terrain varie elle aussi : celui-ci peut se limiter à une prairie comme s'étendre à l'ensemble du territoire des paroisses qui se confrontent. Quant au nombre de participants dans chaque camp, il est illimité : les joueurs peuvent se compter par centaines. Une partie de folk football ou de soule peut enfin durer quelques heures voire plusieurs jours35. »

L'objectif de ce sport consistait à « loger » la soule (le ballon) dans un espace prédéterminé, pour ainsi remporter un point ou la partie. Il est assez facile (et plaisant) d'imaginer le chaos de ces rencontres, sans arbitre, réunissant un grand nombre de joueurs. Les parties pouvaient être très violentes. Au cours de celles-ci, les protagonistes étaient régulièrement blessés et les « terrains » étaient eux aussi endommagés.

34. Mickaël, Correia, Une Histoire populaire du football, Paris, La Découverte, 2018, p.9.

En Grande Bretagne, le football – déjà dénigré comme un amusement violent par les pouvoirs féodaux et ecclésiastiques – se voit émoussé par l'arrivée de la bourgeoisie agraire : la landed

gentry. Cette nouvelle autorité prend peu à peu place et privatise les

terres de la région. Faute de terrains disponibles, la communauté paysanne ne peut plus « jouer ». Face à ce changement, de nouvelles règles apparaissent et posent un cadre plus strict aux parties. Le football devient de plus en plus respectable et les « beuveries » qui lui étaient associées sont elles aussi déplacées. Le jeu du football, qui au cours des années 1850 se jouait sous plusieurs variantes, subit une première révolution. Il est acté en 1848, à l'université de Cambridge, qu'il sera interdit aux footballeurs de jouer avec les mains. Les non-adhérents à cette réglementation développeront un autre jeu : le rugby. Cette distinction lancera par la suite la naissance du football.

« Le football moderne prend véritablement naissance le 26 octobre 1863 à la Freemasons' Tavern de Londres. Les délégués de onze clubs de la capitale et de la banlieue entreprennent de structurer administrativement le football et d'en fixer des règles définitives en s'appuyant sur celles de Cambridge. La Football Association est officiellement constituée le jour même mais d'âpres débats font rage au cours des séances suivantes à propos de l'usage des mains ou de la survivance de pratiques jugées par certains trop violentes. Deux mois plus tard, quatorze articles définissent autant les dimensions maximales du terrain que les règles pour le coup d'envoi, le marquage d'un but ou encore la touche. Si l'interdiction du hacking (coup de pied dans le tibia) et du

tripping (croc-en-jambe) réduit la brutalité physique sur les

terrains, le jeu reste essentiellement un football rude et individualiste pratiqué par des gentlemen adeptes de l'adage "si tu manques la balle, ne manque pas l'homme"36. »

Les dernières grandes révolutions du football furent la mise en place de la règle du hors-jeu en 1866 afin d'encourager le jeu de passes entre les coéquipiers, ainsi que la présence de l'arbitre, auparavant inexistante, en 1881, chargé de faire respecter les règles sur le terrain.

Cette somme de réglementations a permis d'élaborer un jeu rapide aux parties rythmées et imprévisibles comblant de fait une fascination pour le mouvement et la vitesse. Son spectateur vit chaque match comme une expérience intense et immédiate. Le pouvoir de captation d'un match réside dans le mouvement qu'il promeut et par l'attente de son résultat. La force d'un match de football est qu'il tient en haleine par son indécision et ses coups d'accélérateur.

« Le football invente instantanément une sorte de combinatoire sans cesse en mouvement, dans laquelle se conjuguent de manières aléatoire et simultanée deux éléments qui se superposent : le jeu visible et facilement lisible que n'importe 36. Ibidem, p.30.

quel regard néophyte est à même de décrypter, et l'espace

virtuel qui n'existe que lorsqu'un ou plusieurs joueurs, en

situation de créer le danger, l'invente(nt), en une fraction de seconde, guidé(s) par la vitesse et l'intelligence tactique37. »

Dernièrement, la question de la vitesse du jeu a été posée par le débat sans fin d'accepter (ou pas) l'arbitrage vidéo. L'argumentaire le plus diffusé par les médias contre cette nouvelle assistance est que celle-ci ralentirait continuellement le jeu. L'arbitre, afin de ne pas commettre d'erreur d'arbitrage, appellerait sans cesse la confirmation de ses décisions par le visionnage vidéo de l'action sifflée. L'arbitrage vidéo permettrait certes moins d'injustices (de buts valides ou non, d'actions valides ou non...) mais couperait le match à chaque fait de jeu38. Pour les spécialistes, le football doit

aller vite pour le plaisir de ses spectateurs.