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Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

1. Le système agro-industriel de la nutrition animale : une concurrence sévère pour le pois, mais des

1.4. Formulation et stratégies d’approvisionnement

1.4.1. La recherche du meilleur prix entre matières premières substituables

Le prix d’intérêt résulte d’un rapport complexe entre le cours des matières premières et des critères de sélection de ces matières (section 1.4.1.1), qui conditionne in fine la valeur des aliments utilisés pour le bétail, conduisant les professionnels de ce secteur à bien distinguer l’IPAA de l’IPAMPA (1.4.1.2).

1.4.1.1. Le prix d’intérêt

Le prix d’intérêt résulte du rapport de prix des matières premières pouvant être incorporées dans la formulation au regard de leurs caractéristiques nutritives. Ce rapport complexe est déduit des outils de calcul mis en place par les formulateurs grâce à la programmation linéaire.

Le Tableau 9 illustre ainsi comment le coût d’un aliment peut varier en fonction des matières premières utilisées, et met en évidence l’intérêt qu’il peut y avoir de diversifier les matières premières dans la formule.

Tableau 9. Coût (€/q) et composition (%) d'un aliment porcin fabriqué à la ferme en fonction du nombre de matières premières disponibles (4, 3 ou 2), prix évalués en 2002 (Source : (Lapierre, 2005)

Ce type de calcul est la base du travail du formulateur, en concertation avec le service achat de l’usine. Les calculs du formulateur aiguillent le service achat dans ses choix d’approvisionnement en fonction de la performance économique visée. Si ce mode de calcul se base principalement sur le prix des matières premières (i.e. le cours des marchés), d’autres paramètres sont pris en compte (capacités industrielles de l’usine, accessibilité aux volumes nécessaires de matières premières, aversion pour l’utilisation de certaines matières premières…). Ainsi, si certains calculs de prix orienteraient vers un approvisionnement plus diversifié en matières premières, ces autres considérations peuvent expliquer la standardisation du schéma d’approvision-nement des FAB (tout particulièrement pour la fabrication d’aliments porcins) qui repose essentiellement sur le couple tourteau de soja - blé, de par la recherche d’une massification et d’une simplification des approvision-nements sur quelques matières dominantes. Aussi, l’analyse de sensibilité du prix du pois protéagineux, en

fonction des autres matières premières substituables, réalisée par le Céréopa142, montrent que le prix du pois

dépend fortement de l’évolution des prix du tourteau de soja et du blé (Encadré 5).

Encadré 5. Sensibilité du prix du pois protéagineux en fonction des prix des autres matières

premières substituables et impacts sur son utilisation potentielle par les FAB

L’analyse de l’évolution du prix du pois en fonction des matières premières auxquelles il se substitue permet d’affiner les déterminants de cette concurrence entre matières premières. La réalisation d’une étude statistique, par le Céréopa, à partir de séries chronologiques des prix des produits issus de céréales (blé fourrager, orge de mouture, maïs, son de meunerie) et des tourteaux d’oléagineux (soja et colza), permet l’établissement d’équations de prédication du prix du pois, en fonction des prix des autres matières premières. Les résultats principaux indiquent que dans le compartiment céréales, le prix du maïs, suivi par celui de l’orge, pèsent les plus fortement sur le prix du pois. Ainsi, si l’équation la plus utilisée, à savoir Ppois = 0,75 x Pblé + 0,25 x Ptsoja, reste efficace pour la prédiction du prix du pois, l’étude met en avant le caractère non négligeable d’autres paramètres selon le contexte de la campagne (diversité et disponibilité en matières premières dont la disponibilité du pois, marché à l’export pour l’alimentation humaine…).

Les travaux du Céréopa ont également permis d’apprécier l’évolution des incorporations de pois en fonction de plusieurs scénarios d’évolution de son prix au regard de celui d’autres matières, pour les principales catégories d’aliments (porcins, volailles, vaches laitières et ovins). Dans le contexte de la campagne 2010-2011, comme l’illustre la Figure 34, il ressort que, s'agissant du pois pour aliments porcins, plus le ratio prix pois/blé augmente et moins on incorpore de pois. Pour un ratio supérieur à 1,18, on arrête d'incorporer du pois (i.e. le pois est au maximum 18% plus cher que le blé). En outre, pour un prix du pois inférieur à 8% de celui du blé (ratio de 0,92), l’ordre de grandeur d’incorporation du pois aux formules d’alimentations porcines est de 1300 kt, et lorsque le prix du pois dépasse de 1% celui du blé (ratio de 1,01), la quantité incorporée chute de près de moitié. Pour les aliments à destination des vaches laitières et ovins, le seuil d'arrêt d'incorporation est plus bas (1,06). Il en

142 Le Céréopa (Centre d'Etude et de Recherche sur l'Economie et l'Organisation des Productions Animales) est un bureau d'étude (Association loi 1901) qui fonctionne au sein d'AgroParisTech.

résulte, comparativement au seuil de prix évoqué ci-avant, une chute de trois-quarts de la quantité incorporée dans ces formules, lorsque le prix du pois passe d’un niveau inférieur de 8% (ratio de 0,92) à celui du blé à un prix légèrement supérieur à celui du blé (ratio de 1,01).

Figure 34. Evolution des incorporations de pois (en kt) en fonction de l'évolution du ratio de prix pois/blé, pour les principales catégories d'aliments (scénario ratio campagne 2010-2011), étude Céréopa Précisons que ces ordres de grandeur de substitutions sont également dépendants de l’évolution des ratios de prix entre les autres matières premières, tout particulièrement entre le blé et le tourteau de soja. Ces simulations ont également permis de mettre en évidence le fait que les volumes de matières premières auxquelles se substituent le pois sont pour les deux-tiers des céréales (majoritairement blé et maïs), et pour 20 à 40% des tourteaux (principalement tourteau de colza, devant le tourteau de soja).

In fine, il ressort de ces simulations sur les prix des matières premières que lorsque les ratios de prix deviennent plus favorables au pois, celui-ci pénètre en priorité le marché des aliments porcins, puis des ruminants, loin devant le marché des aliments volailles. En volume, le marché de l’aliment porcin reste le débouché principal du pois.

1.4.1.2. Le rôle tampon de la flexibilité des FAB par rapport à la volatilité des prix

Par ailleurs, cette logique de formulation conduit les FAB à jouer un rôle tampon face à la volatilité du cours des matières premières. En effet, la comparaison de deux indices clés, l’IPAA (Indice des prix des matières premières pour l'alimentation animale) et l’IPAMPA (Indice des prix d’achat des moyens de production agricole), témoigne d’une atténuation de la volatilité des prix entre les matières premières et les aliments composés.

L’IPAA, établi depuis de nombreuses années, constitue un indicateur de référence pour le suivi tendanciel de l’évolution globale des cours des matières premières destinées à l’alimentation animale. Basé sur un panier fixe de matières premières représentatif de l’ensemble des aliments, il est calculé à partir des cotations disponibles. En période de fortes variations, il peut ne pas refléter en temps réel les prix effectifs d’achat par les fabricants qui ont pu se couvrir contre la hausse des cours (en se couvrant à l’avance, ceux-ci retardent de 2 à 3 mois la répercussion des hausses). De ce fait, il convient mieux de considérer cet indice à partir d’une moyenne sur six mois qui reflète davantage l’évolution des prix effectifs d’achat de matières premières par les fabricants d’aliments composés.

Mais comme le montre la Figure 35, si l’IPAA est soumis à une forte variabilité, l’IPAMPA reste plus stable.

Comme l’explique Valérie Bris, Directrice de Coop de France Nutrition animale (2011), "les fabricants grâce à

leur technique d’approvisionnement, tamponnaient les variations de prix et étaient en mesure de proposer des prix [des aliments] relativement stables"143. Plus précisément, les techniques d’achat en couverture des FAB (achat à l’avance sur le marché des matières premières qui seront livrées à l’usine au moment où elle en a besoin) et la révision très fréquente des formules (optimisation mensuelle, voire hebdomadaire) induisent un phénomène de lissage de l’amplitude des variations de prix des matières premières (SNIA, 2011).

143 Rapport de la Table Ronde tenue lors du Sommet de l’élevage de Clermont-Ferrand 2011, page 2,

Figure 35. Evolution des indices de prix des matières premières et des aliments composés

(Source : SNIA, 2011)

Il est intéressant ici de remarquer le rôle paradoxal des FAB dans l’évolution des prix agroalimentaires : leurs techniques de formulation permettant une très forte substituabilité des matières premières peuvent amplifier la volatilité du cours des matières premières, mais aussi atténuer la répercussion de cette volatilité sur les élevages. S’ils peuvent donc jouer un rôle d’amplificateur des variations de prix des filières végétales, ils assurent, au contraire, un rôle stabilisateur dans l’évolution des prix des filières animales. Bien qu’étant à l’interface des filières végétales et des filières animales, cette organisation de marché tend à "déconnecter" ces filières. Nous verrons plus loin comment la filière Bleu-Blanc-Cœur en nutrition animale, par une organisation spécifique, tend à l’inverse à renforcer le lien entre l’agriculteur et l’éleveur.

Cependant, notons que les récentes hausses importantes des prix des matières premières ont fortement entamé la flexibilité des FAB et leur capacité à jouer ce rôle tampon. Cela est d’autant plus vrai que le schéma d’alimentation dominant s’est orienté vers une simplification des formules, c'est-à-dire une diminution du nombre de matières premières utilisées dans les rations. Le recours à des compléments et des aliments de synthèse pourrait également avoir eu une influence sur cette évolution.

Mais au-delà de ce rapport de prix, la disponibilité et l’accessibilité de la matière première sont des variables importantes. Ainsi, si le prix du pois est effectivement inférieur à celui du tourteau de soja, les conditions d’approvisionnement (coût de transport des régions où le pois est disponible) font pencher la balance en faveur de ce dernier.

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