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Les filières artisanales locales : une voie alternative pour le développement du chanvre ?

Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

3. Le chanvre industriel : une filière de niche face à la concurrence des produits en aval

3.3. La concurrence aval : le point d'achoppement de la filière

3.3.2. Les filières artisanales locales : une voie alternative pour le développement du chanvre ?

En parallèle au développement des "néo-industriels", l’émergence de productions localisées dans différentes régions de France, généralement à l’initiative de producteurs, montre l’intérêt croissant porté à la culture par les agriculteurs. L’émergence de cet intérêt repose de manière générale sur : i) la mise en œuvre des mesure d’éco-conditionnalité, qui fait du chanvre une culture dont les avantages en termes agronomiques et

environnementaux peuvent répondre aux exigences de la PAC197 ; ii) le développement des marchés naissants

des agro-matériaux, dont nous avons décrit l’organisation.

La Figure 52, décrivant la géographie de la production de chanvre, montre l’émergence de ces petits bassins, de façon indépendante de celle des industriels à la fin des années 2000. Il est d’ailleurs important de noter que

194 Comme décrits dans le projet CANNAFLAX terminé en 2009, et dont l’objectif était de caractériser, interpréter et analyser le fonctionnement des réseaux socio-techniques formés autour des nouveaux débouchés des fibres et co-produits du lin et du chanvre sur la période 2007-2008 (Caron et Barbier, 2009).

195 Entretien E. Booth, Euralis

196 Entretien B. Kurek, INRA

LCDA, dans les années 1990, commercialisait la chènevotte principalement auprès d’artisans pour la

construction de bétons de chanvre, dans une logique de circuit court (Barbier et al., 2009). Devant

l’accroissement de la demande et les progrès en R&D, le développement vers l’outil industriel s’est amorcé dans les années 2000. Ces groupements de producteurs représentent au total entre 1 000 et 3 000 ha de surface selon les années, soit près d’un-tiers de la surface totale implantée en chanvre.

Ces petits bassins de production s’organisent généralement autour d’une unité de première transformation dont les producteurs sont propriétaires. Dans certaines situations, ces bassins sont également le siège d’innovations leur permettant de valoriser un produit "pré-transformé", voire un produit fini et commercialisé en tant que tel auprès d’artisans locaux. Le groupement de producteurs "Chanvre Mellois" par exemple, a

notamment développé un système de défibrage en modifiant une moissonneuse-batteuse198. Notons qu’avec

des rendements relativement bons (près de 10 t/ha), la culture de chanvre est apparue comme très intéressante pour ces producteurs. Réalisant eux-mêmes les travaux de récolte, ils s’affranchissent des charges opérationnelles importantes liés à la réalisation des travaux par des ETA, comme dans le cas des producteurs de la Cavac.

Ces groupements s’associent généralement avec des petites entreprises, et mobilisent également des organismes de certification pour la mise aux normes de leurs produits. Le groupe "Chanvre Mellois" a notamment cherché l’appui de la région Poitou-Charentes pour la certification ACERMI de leurs produits. En 2011 par exemple, la première certification au feu est obtenue au niveau national pour les enduits chaux-chanvre (Chanvre Mellois, site internet). Ces groupements sont donc le siège d’innovations et se positionnent sur des marchés de niche ayant pour principaux partenaires des petites entreprises et des artisans locaux, s’affranchissant ainsi des coûts de production de l’échelle industrielle. Il en résulte la création d’un réseau local, au sein duquel les interactions entre acteurs sont relativement fortes. Au niveau national, notons qu’il existe une instance de coordination (association C3 : Chanvriers en Circuits Courts) pour fédérer l’ensemble des

producteurs qui sont dans une logique de circuits courts199, et travailler sur la standardisation et

l’harmonisation des produits. En collaboration avec les artisans, l’association a notamment mis en place une méthodologie collective de caractérisation des produits à base de chanvre.

Le développement de ces circuits courts en chanvre repose sur une forte interaction locale entre producteurs et utilisateurs. Les expériences issues d’initiatives locales, venant de l’amont et en interaction avec les artisans, semblent se développer et commencent à intégrer de véritables stratégies de diversification dans les

territoires, "chaque région voulant développer ses produits en chanvre"200. Cependant, l’expérience des

"néo-industriels" a montré les difficultés liées au développement de la culture à l’échelle industrielle (manque de références agronomiques, difficulté à stabiliser le marché en aval…), et ce malgré des mécanismes d’incitation relativement importants. En ce sens, les initiatives locales, impulsées dans un premier temps à petite échelle, semblent être une voie pour insérer la culture de chanvre progressivement dans les systèmes de culture. La réorganisation de la filière, et notamment de l’interprofession, intégrant depuis peu les petits groupements de producteurs (qui financent aujourd’hui l’interprofession via une cotisation volontaire obligatoire), peut être un moyen de faciliter les flux d’information et donc la coordination entre acteurs. A travers la mise en place de structures comme CenC (Construire en Chanvre), ayant mis en place des règles professionnelles de construction et donc la définition de standards technologiques de production, ou en encore C3 (Chanvriers en Circuits Courts), intégrée dans l’interprofession, les producteurs et transformateurs/ utilisateurs de chanvre tentent de rétablir un continuum production-utilisation. Le soutien des collectivités locales, et l’implication des structures du sous-système d’information de la filière (Interchanvre, Cetiom, Chambres Régionales d’Agriculture, INRA…) apparaissent comme des facteurs clés pour l’introduction de la culture dans les assolements, notamment à échelle réduite dans un premier temps.

198 Entretien A. Médeau, CAVAC

199 Association animée par l’AFIP (Association de Formation et d’Information Pour le développement d’initiatives rurales). Elle met en place des sessions de formation, d’animation, et appui le développement de circuits courts. Elle a notamment mis en place des outils de communication entre chanvriers. http://afip.asso.fr/spip.php?article189

3.4. Conclusion

A l’instar du lin oléagineux, le développement des surfaces de chanvre dans les nouveaux bassins de production a reposé sur une forte intégration de la production en amont, via des mécanismes d’incitation matérialisés par des contrats de production et un accompagnement important des agriculteurs. Mais les résultats agronomiques se sont révélés globalement décevants et ont conduit une partie des producteurs à abandonner la culture au profit de cultures dominantes. Les difficultés de coordination au sein de la filière, dues notamment à la concurrence entre bassins, ont notamment affecté la production et l’accès à des références agronomiques et ont ainsi compliqué le développement à l’échelle des exploitations.

Par ailleurs, à l’instar du pois protéagineux en alimentation animale, les panneaux de chanvre, sur le marché de l’isolation, sont considérés comme une "commodité", substituable par d’autres produits moins chers, et davantage disponibles. Face à ces difficultés en aval, les "néo-industriels" éprouvent des difficultés à développer le marché, et donc à inciter davantage les agriculteurs à cultiver le chanvre.

Alors que la commercialisation de produits à base de chanvre est apparue, du fait de l’aboutissement de nombreux projets de R&D, comme une opportunité intéressante pour de nombreux acteurs d’investir des marchés différenciés, la conjoncture économique, défavorable en ce qui concerne la vente des panneaux de chanvre par rapport aux autres produits d’isolation, a fortement fragilisé la filière. Les enjeux pour les néo-industriels reposent aujourd’hui en partie sur la reconnaissance de qualités spécifiques des panneaux d’isola-tion (via l’évolud’isola-tion des normes de construcd’isola-tion). Une telle reconnaissance contribuerait à créer une demande spécifique pour ces produits et donc un marché différencié, et par conséquent, à contourner la concurrence sur le marché spot. Une coopérative comme la Cavac, ayant investi lourdement dans un outil industriel, est donc confrontée à de tels enjeux en amont et à l’aval de la filière. De la parcelle à la commercialisation des panneaux d’isolation, l’organisation de la filière est dans une dynamique d’évolution visant d’une part à pérenniser un « noyau dur » de producteurs pour le marché de l’isolation, et d’autre part à développer de nouveaux marchés pour développer une stratégie visant à inciter davantage les agriculteurs. La Figure 56 résume ainsi l’organisation des acteurs de la filière autour de la Cavac, et met en évidence les liens entre acteurs.

Le développement de nouveaux débouchés, reposant sur la valorisation d’autres parties de la plante (chènevotte et chènevis) et permettant de dégager une valeur ajoutée pour le producteur, est une piste vers laquelle s’orientent la plupart des producteurs de fibres. Mais "l’atomisation" de la filière, la forte hétérogénéité des acteurs et des "cercles" d’innovation, interrogent la réorganisation de la filière, vers davantage d’intégration des différents producteurs et de leurs organisations d’information associées. La restructuration de l’interprofession autour d’objectifs partagés et consensuels, en termes de priorisation de choix de sélection en amont et/ou de recherche de marchés en aval, constitue un enjeu majeur. Le fort dynamisme des projets R&D témoigne d’une filière active, qui se structure et qui progresse. Mais l’atomisation de ces projets, l’autonomie des bassins de production en termes d’accès à l’information, sont des enjeux qui appellent à davantage de coordination. Les pouvoirs publics peuvent utilement aider à ce processus de coordination.

Etude de cas chanvre industriel - Résumé

L’aboutissement de nombreux projets de R&D utilisant différentes parties de la plante de chanvre a fortement accru son intérêt au début des années 2000. Auparavant destinée presqu’essentiellement à la papeterie, et localisée dans une région spécifique, la production de chanvre a émergé dans de nombreux territoires. Cette évolution s’est notamment traduite par le développement de "néo-industriels", des coopératives agricoles investissant lourdement dans des unités de transformation et développant leurs propres marques, notamment sur la vente des panneaux d’isolation en chanvre, le marché et les procédés industriels étant les plus aboutis. Ces nouveaux acteurs ont mis en place des mécanismes d’incitation auprès de leurs adhérents pour encourager l’introduction du chanvre dans les assolements, basés sur une contractualisation à prix fixe et sur un accompagnement important de la production. Si les résultats ont globalement été décevants dans les premières années de la production, les nouveaux bassins de production arrivent aujourd’hui à stabiliser un approvisionnement minimal, par la consolidation de « noyaux durs » de producteurs.

Mais en aval, la concurrence d’autres produits d’isolation est défavorable aux produits à base de chanvre, dont les prix sont plus élevés. La substituabilité du panneau de chanvre sur ce marché est similaire avec celle du pois en alimentation animale. Par conséquent, ce marché ne tire pas la production en amont et les industriels peinent à développer davantage de surfaces. Les acteurs de la filière chanvre cherchent donc à valoriser les différentes parties de la plante sur de nouveaux marchés, mais font face à certains verrous technologiques sur différentes étapes de la production (récolte de la graine, construction de bétons de chanvre homologués, définition des normes des produits, etc.).

L’atomisation de la filière, constituée par de nombreux acteurs positionnés dans des logiques de bassin de production, complique la coordination pour lever ces verrous et l’organisation de la mise en marché des produits. La construction de références agronomiques contextualisées par rapport aux différentes conditions pédoclimatiques est un enjeu majeur. Les différentes stratégies sur les nouveaux marchés posent également des questions de priorisation des travaux de sélection, dont l’activité est concentrée au niveau d’un seul acteur. Toutefois, les acteurs de ces bassins de production restent très actifs pour lever ces verrous, à travers la mise en place de collaboration inter-entreprises ("coopétition" ou partenariats avec des industriels de l’aval), de partenariats entre acteurs publics et privés. De plus, la réorganisation progressive de l’interprofession et l’évolution des instituts de recherche à l’échelon national (intégration de l’Institut Technique du Chanvre au Cetiom) traduit une volonté de faciliter les flux d’information entre les bassins de production, et de renforcer la visibilité de la filière à l’échelle nationale et internationale.

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Chapitre II : Etudes de cas au niveau

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