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La graine de lin : des spécificités nutritionnelles à la construction d’une filière de niche

Chapitre I : Etudes de cas au niveau des filières

2. Le lin oléagineux valorisé en alimentation animale : une filière construite autour d’une espèce de

2.2. La graine de lin : des spécificités nutritionnelles à la construction d’une filière de niche

Les stratégies d’approvisionnement des fabricants d’aliments du bétail reposent sur le principe de "nutriment anonyme", que nous avons décrit dans l’étude de cas sur le pois protéagineux en alimentation animale (cf. section 1). Ce fonctionnement, basé sur la haute substituabilité des matières premières, a pour conséquence une concurrence importante entre les différentes productions des agriculteurs, et nous avons vu que cette concurrence est généralement défavorable aux cultures de diversification. Cependant, les propriétés spécifiques du lin ont permis, via son traitement par thermo-extrusion, de susciter un intérêt croissant pour cette culture, dans une filière qualité.

Nous présenterons donc dans cette partie les spécificités nutritionnelles de la graine de lin en alimentation animale (section 2.2.1). Puis nous décrirons comment les différents travaux de recherche en alimentation animale et en nutrition humaine ont contribué à accroître l’intérêt des cultures riches en oméga 3, dont le lin particulièrement (2.2.2). Enfin, nous présenterons comment des innovations technologiques comme la thermo-extrusion des graines de lin (2.2.3) et des innovations organisationnelles, dont la création du label BBC (2.2.4), ont permis au lin oléagineux d’être au centre de la production végétale de la filière.

2.2.1. La graine de lin en alimentation animale

2.2.1.1. Composition de la graine de lin

Les principales caractéristiques nutritionnelles des oléagineux (graines et tourteaux) et des protéagineux figurent dans les tables INRA-AFZ (Sauvant et al., 2004). Les graines de colza, de tournesol et de lin sont les plus riches en matières grasses et donc les plus concentrées en énergie (Tableau 11). A la différence des deux premières, la graine de lin est particulièrement riche en acide gras polyinsaturé en oméga 3, l’acide alpha-linolénique (ALA). La graine de lin est la source la plus importante en ALA (jusqu’à 53%).

Tableau 11. Composition chimique et valeur alimentaire des oléoprotéagineux (Source : (Poncet et al., 2003) Les valeurs présentées ici sont des moyennes, mais la variabilité est élevée.

153 Entretien C. Leclerc, CTPS

2.2.1.2. Incorporation du lin dans les rations : enrichissement en oméga 3

Un atout considérable de la démarche de la filière est qu’elle ne remet pas en cause les modes de distribution de l’alimentation aux animaux. L’utilisation de matières premières riches en oméga 3, dans l’objectif d’améliorer le profil lipidique des produits, ne nécessite pas d’investissement spécifique pour l’éleveur, mais une évolution des paramètres de la formulation. Les aliments riches en oméga 3 sont variés (herbe grasse, lupin, graine de chanvre…), la graine de lin étant la source la plus riche. L’adjonction de ces matières premières peut se réaliser de plusieurs manières dans les schémas d’alimentation :

- Mélange à une base d’alimentation habituelle (ensilage de maïs par exemple), à hauteur de 5% dans la

ration ;

- Augmentation de la part d’herbe dans les régimes des ruminants ;

- Substitution d’une partie des composants de la ration par des matières premières riches en oméga 3.

C’est notamment le cas pour les monogastriques comme les porcs et les volailles, dont la plupart des élevages sont équipés de systèmes de distribution automatisés qui intègrent facilement ce changement.

La graine de lin thermo-extrudée entre donc dans les premier et troisième modes d’alimentation.

2.2.2. Les recherches en nutrition humaine et animale

C’est dans les années 1990 que les travaux de Valorex, axés sur l'amélioration de la qualité du lait par l’optimisation de l’alimentation des vaches laitières, mettent en évidence les effets d’une forte teneur en acides gras polyinsaturés linoléniques de la ration sur la teneur en acides gras du lait. Ces travaux, développés dans un premier temps sur la valorisation de l’herbe grasse, suscitent un intérêt particulier pour les espèces végétales à forte teneur en ALA, dont le lin. A la fin des années 1990, des études menées par Valorex en partenariat avec le CERN et l’INRA révèlent l’intérêt du système "lin-graine" pour des considérations de santé publique. D’expérimentations zootechniques en études cliniques, plusieurs projets en partenariats mettent en évidence l’intérêt d’un rééquilibrage entre oméga 3 et oméga 6 en alimentation animale, et ses répercussions

sur la nutrition humaine155.

2.2.2.1. Le constat d’une alimentation humaine de mauvaise qualité en termes d’apport lipidique

Si les pouvoirs publics ont considérablement été alertés par les différentes crises sanitaires liées aux modes de production (ESB, salmonelle…) et ont mis en place des systèmes de surveillance permettant d’identifier les risques liés à la relation entre l’aliment et son environnement de production, le PNNS (Programme National Nutrition Santé) s’est penché sur un autre type de risque, lié à la relation entre la qualité des nutriments et la santé des consommateurs. La surveillance des populations a permis de voir émerger des pathologies corrélées avec certains modes d’alimentation ou pratiques alimentaires. L’obésité des populations, notamment chez les plus jeunes ou les plus défavorisées, est un exemple du constat d’une alimentation de mauvaise qualité. Le PNNS met notamment l’accent sur deux éléments du constat :

- l’excès de consommation de certains aliments par rapport au besoin énergétique, comme nuisant

gravement à la santé ;

- le déséquilibre nutritionnel des rations alimentaires, pointant notamment les aliments d’origine

animale qui, à cause des acides gras saturés (AGS), peuvent avoir des profils nutritionnels déséquilibrés.

Faisant le constat que 60% des lipides consommés dans les pays développés proviennent de produits animaux, le PNNS précise que cette composition lipidique est fortement dépendante de la composition lipidique de l’alimentation animale. Cette composition a notamment beaucoup évolué au cours du développement du modèle agro-industriel de l’alimentation animale, basé sur des sources végétales dominantes très riches en acides gras saturés oméga 6 (maïs, blé, soja…). Ces sources végétales ont progressivement remplacé une alimentation considérée comme bien plus diversifiée il y a 40 ans, basée sur davantage de fourrages et de graines d’oléoprotéagineux, et par conséquent plus équilibrée en termes nutritionnels, car plus riche en oméga 3 et moins riche en AGS.

La mise en évidence du lien entre l’alimentation des animaux et la nutrition humaine est établie à la fin des années 1990 et au début des années 2000, par des études cliniques en partenariat avec le CERN et l’INRA (Weill et al., 2002; Weill et al., 2001 ). Ces résultats sont progressivement appuyés par des études cliniques postérieures (au nombre de cinq depuis 2000). Mais c’est à la suite des résultats de la première étude, montrant les possibilités d’une amélioration de l’alimentation de l’homme par l’amélioration de l’alimentation des animaux, que l’association Bleu-Blanc-Cœur (BBC) est créée à l’initiative de Valorex. En 2004, cet industriel

se différencie des autres FAB en développant une méthode de formulation originale, "privilégiant les

performances zootechniques au service des nutritions animales et humaine"156. Ces études vont apporter un socle scientifique à la construction de la filière, et contribuer par conséquent au regain d’intérêt sur plusieurs espèces, dont le lin.

2.2.2.2. Le regain d’intérêt pour le lin

Au milieu des années 1990, Valorex développe une gamme d’aliments à destination d’élevages pour la production de viande et d’œufs, et dépose notamment plusieurs brevets sur la fabrication de ce type d’aliments. Ces aliments sont basés sur l’utilisation de matières premières riches en oméga 3, dont le lin. De nombreux travaux scientifiques en zootechnie mettent en évidence l'intérêt du lin dans l’alimentation de différents types d’animaux : bovins laitiers ((Brunschwig et al., 2010) et viande (Hurtaud et al., 2010 ; Razminowicz et al., 2008) ; porcs (Mourot, 2009; Musella et al., 2009 ; Noblet et al., 2008 ) et volailles. L’intérêt du lin est notamment démontré sur le profil en acide gras des produits, mais également sur d’autres

paramètres zootechniques qui participeront de son intérêt croissant pour les éleveurs (cf. infra).

Enfin, Valorex dépose en 2006 la marque Tradi-lin, faisant l’objet d’un brevet sur le traitement de cuisson spécifique des graines oléagineuses et protéagineuses. Cette marque bénéficie d’une allégation nutritionnelle décernée notamment par l’AFFSSA. Valorex se présente comme le seul industriel à pouvoir valoriser les graines de lin via un process industriel de thermo-extrusion, améliorant la digestibilité de la graine par les animaux. De fait, l’industriel va chercher à développer un approvisionnement régulier en lin oléagineux, et à construire une filière dont les atouts reposent notamment sur la qualité des produits, la traçabilité des approvisionnements, et la maîtrise de ce process.

2.2.3. Une innovation industrielle : la thermo-extrusion sur les graines de lin

Le succès de la graine de lin, et les possibilités de valorisation des graines oléoprotéagineuses en général, reposent en grande partie sur le développement d’une technologie permettant d’une part d’éliminer les facteurs antinutritionnels présents dans la plupart de ces graines (grâce à la cuisson), d’améliorer l’accessibilité à l’huile (riche en oméga 3) et à l’amidon des graines, et de protéger certaines protéines (Poncet et al., 2003). L’extrusion repose sur la destruction des parois cellulaires des graines qui facilite la libération de l’huile et de l’amidon (Figure 44).

Figure 44. Les étapes de la thermo-extrusion développée par Valorex

(Source : (Valorex, 2011))

Valorex, société spécialisée en extrusion au départ, a développé ce processus pour la valorisation de plusieurs types de graines. Valorex avance que la digestibilité des graines est multipliée par trois, et que par conséquent,

le besoin en graines en est trois fois moindre pour les élevages157. Les travaux de R&D ont abouti au dépôt de

plusieurs brevets, donc la marque Tradi-Lin, permettant notamment l’utilisation de la graine de lin. Ces brevets apportent donc une protection sur la concurrence en aval, Valorex se positionnant comme le seul acteur pouvant valoriser la production de graines via ce process, dans une filière qualité. D’autre part, il se positionne en tant que seul industriel pouvant vendre les aliments composés permettant d’atteindre les objectifs ciblés par la démarche BBC, en termes de qualité nutritionnelle de produits notamment. Les brevets déposés par Valorex sont au nombre de 8 :

1 - Dextroyer : Aliments pour vaches laitières autorisant la baisse du taux de matières grasses dans le lait : France.

2 - Vivomega : Aliments pour animaux d’élevage destinés à la production de viande enrichie en acides gras polyinsaturés et procédé d’alimentation correspondant : partie Europe.

3 - Valomega : Aliments pour poules pondeuses : partie Europe. 4 – Procédé de détoxification des graines de lin : partie Europe. 5 – Aliments pour la nutrition humaine.

6 – Méthode de détermination de la qualité nutritionnelle des lipides du lait. 7 – Œufs à faible teneur en acides gras polyinsaturés.

8 – Procédé d’évaluation de la quantité de méthane produite par le ruminant : France.

2.2.4. La mise en place d’un label et d’un réseau BBC

Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’association Bleu-Blanc-Cœur est créée en 2000 suite à la première étude clinique démontrant le lien entre alimentation animale et nutrition humaine. Cette association loi 1901 porte un projet de ré-exploration et de renforcement du lien entre filière végétale et filière animale, en associant tous les maillons de la chaîne alimentaire (du producteur au consommateur) autour d’un projet d’alimentation à vocation santé. Ce projet affiche également une dimension environnementale, à travers la promotion du lin dans l'alimentation animale, qui permet la réduction des émissions de GES des élevages (grâce à une digestibilité améliorée par l’ingestion de graines thermo-extrudées). Nous proposons dans cette section d’aborder les objectifs de l’association et de décrire son fonctionnement original (section 2.2.4.1), puis de mettre l’accent sur les actions de communication, contribuant au développement de la démarche (2.2.4.2), avant d’insister sur les fondements scientifiques et la reconnaissance des autorités publiques qui constituent le socle de l’association (2.2.4.3).

2.2.4.1. Association BBC : un réseau regroupant les maillons de la filière

Objectifs de l’association

Devant les difficultés à inciter les consommateurs à changer leurs pratiques alimentaires, les objectifs de l’association reposent sur l’idée d’amélioration de l’équilibre nutritionnel dans l’alimentation humaine, via l’évolution de la formulation dans les élevages.

En mettant en avant l’objectif de restaurer la chaîne alimentaire, l’association se donne plusieurs missions :

- L’organisation des filières de production intégrant des sources végétales d’oméga 3 dans

l’alimentation des animaux (ou directement dans l’alimentation humaine) ;

- La conception de cahiers des charges, et le contrôle de leur mise en œuvre (via notamment des

organismes certificateurs tiers, comme Ecocert ou Certis) ;

- La validation des études scientifiques (types études cliniques que nous avons mentionnées) ;

- L’organisation de la communication nutritionnelle des produits.

Ces missions sont donc les composantes d’un projet transversal à l’échelle de la filière, qui conduit l’association à impliquer l’ensemble des maillons d’une filière, ainsi que les acteurs composant le sous-système d’information (instituts techniques, centres de recherche, associations de producteurs, associations de consommateurs…).

Fonctionnement et composition

La représentativité des différents maillons de la filière est centrale dans le fonctionnement de l’association. L’association compte aujourd’hui près de 400 adhérents, répartis en sept collèges, chacun étant représenté au sein du conseil d’administration par deux de ses membres élus :

- Collège production végétale : obtenteurs de semences, coopératives et organismes stockeurs.

- Collège nutrition animale : FAB et ateliers de cuisson du lin. Les structures de ce collège traitent et

transforment la production du premier collège.

- Collège production animale : groupements, coopératives et associations d’éleveurs.

- Collège producteurs fermiers : agriculteurs commercialisant directement les produits à la ferme ou sur

des marchés.

- Collège transformateurs : entreprises de transformation des produits bruts en produits de

consommation courante (meuneries, centre de conditionnement d’œufs ou de viande, charcuteries…).

- Collège distributeurs : chaînes de distribution, magasins indépendants, restaurateurs et collectivités…

- Collège consommateurs : associations de consommateurs ainsi que les associations internationales

"sœurs" de BBC.

Le regroupement de l’ensemble des acteurs de la filière permet également la création de plusieurs instances de pilotage sur différentes missions de l’association. Ainsi, chaque filière d’élevage est pilotée par une commission (commission porcine, commission bovine…) qui travaille notamment sur l’évolution des pratiques d’élevage et l’amélioration de la qualité des produits. Elle peut également prendre la décision de monter des projets d’expérimentation dans des fermes pilotes.

Si ce fonctionnement semble effectivement permettre d’améliorer la coordination de chaque filière impliquée dans la démarche BBC, il est essentiel de présenter l’importance de structures fédératrices sur le plan de la validation et de la mise en œuvre de la démarche. Le comité scientifique de l’association est un pilier central de la démarche, étant donné les bases scientifiques sur lesquelles repose l’ensemble de la filière. Composé d’une vingtaine de scientifiques liés à chaque maillon de la filière (cardiologues, nutritionnistes, biochimistes, zootechniciens…), il définit les axes de recherche et suit les essais mis en place par les adhérents. Il participe également à la rédaction du cahier des charges dans chaque branche de la production. Nous verrons dans la partie suivante l’importance du rôle de ce comité dans la définition de ces cahiers des charges, et par conséquent dans le développement de la filière en elle-même.

Enfin, le comité de contrôle de l’association, composé d’un représentant de chaque collège, administre et suit les audits de chaque branche, visant à contrôler le respect des cahiers des charges.

L’association BBC est donc un acteur clé de l’ensemble des filières valorisant le lin oléagineux dans la production de produits enrichis en oméga 3. Le rapprochement des acteurs via l’adhésion à l’association apparaît donc comme un atout en termes de coordination et de renforcement de leurs relations. Mais surtout, ce rapprochement permet la construction d’une vitrine sur les marchés, via leur rapprochement sous un logo partagé et visible auprès des consommateurs, notamment grâce à un financement important des actions de communication.

2.2.4.2. Le logo BBC et la communication auprès des consommateurs

Le positionnement de Valorex et de l’aval sur un nouveau marché de niche repose sur la création d’une demande spécifique en produits riches en oméga 3 de la part du consommateur, et sur l’implication des circuits de distribution dans la démarche. La création d’un affichage spécifique permet d’identifier clairement les produits auprès des consommateurs, les acteurs de filières distribuant des produits BBC devant ajouter le logo sur l’emballage des produits.

L’association BBC est financée sur la base de redevances touchées sur la vente des produits qui utilisent le logo BBC. Elles représentent 0,2% du chiffre d’affaire de la vente de ces produits par les entreprises commercialisant les produits estampillés avec le logo de l’association. La progression du "chiffre d’affaire" composé de la totalité des redevances (Figure 45), montre la progression et le succès des produits BBC auprès des consommateurs. La stratégie de l’association est caractérisée par un effort en communication très important. Si ces efforts se reflètent dans les coûts liés à l’adhésion, le bénéfice dégagé pour les distributeurs et transformateurs en termes de communication apparait non négligeable.

Figure 45. Evolution des redevances BBC

(Source : BBC, données issues de la Charte BBC-PNNS signée en 2008, et du rapport de l’AG de l’association, du 26 avril 2012, Paris)

2.2.4.3. La validation scientifique et politique de la communication

La filière relaie notamment le discours du PNNS, et est officiellement supportée par les autorités (rapport d’audit (Lessirard et al., 2009)). La démarche BBC a notamment été reconnue à plusieurs reprises par l’Etat :

- 2008 : signature d’une charte nutritionnelle avec le PNNS,

- 2009 : la marque BBC devient une marque alléguante en Europe,

- 2010 : la démarche BBC est inscrite dans le PNA (Programme National de l’Alimentation) suite à l’audit de

2009,

- 2011 : la certification BBC est reconnue comme méthode officielle de réduction des GES.

Cette reconnaissance fait partie intégrante de la stratégie de communication de la filière auprès des consommateurs, mais également des professionnels et scientifiques. La construction de la filière a notamment pour point de départ des questionnements scientifiques sur l’alimentation animale. Elle repose sur un investissement en R&D et des partenariats scientifiques nombreux (CERN, INRA, Institut de l’élevage, Cetiom…).

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