• Aucun résultat trouvé

3. Freins et leviers identifiés sur 12 filières de diversification

3.2. Freins et leviers au niveau de l’exploitation agricole

3.2.3. La gestion du risque au niveau de l’exploitation agricole

Un choix en environnement incertain qui n’incite pas à une réflexion à long terme

L’optimisation du revenu est identifiée comme l’un des déterminants majeurs des choix d’assolements. Des logiciels ont été développés comme le logiciel LORA (logiciel d’optimisation et de recherche d’assolement INRA – ARVALIS) qui est un outil de réflexion à destination des conseillers et des agriculteurs aidant à établir un assolement sur un périmètre irrigable qui maximise la marge brute totale en intégrant notamment des prévisions d’ordre économique et une série de scénarios climatiques, tout en respectant les contraintes de l'exploitation (limites de surface, disponibilité en main d'œuvre, volume d'eau disponible, débit et durée journalière de fonctionnement de l'installation d'irrigation) (Taponier, 1992). Cependant, comme le soulignent les utilisateurs du logiciel LORA, estimer le risque climatique et les prix devient très difficile en situation

d'incertitude. Dans le contexte actuel de forte variabilité des prix (Figure 12) et d’incertitudes climatiques

croissantes, auquel s’ajoute une méconnaissance des intérêts agronomiques et économiques à long terme de la diversification (les cultures étant le plus souvent comparées à l’échelle du cycle cultural, cf. section 3.2.1), les

agriculteurs sont incités à adopter une vision à court terme. Selon les projections statistiques récentes de la

FAO et de l’OCDE, cette volatilité des prix agricoles pourrait s’inscrire sur la durée, de façon à peu près certaine à l’horizon 2020. Les agriculteurs vont devoir intégrer ce contexte économique nouveau au regard de l’histoire de la PAC (Anon., 2011b).

Figure 12. Evolution du prix à la production du blé (UE-27) de 2000 à 2011

(Source : OCDE, site internet)

En outre, en période de prix hauts des denrées principales, les agriculteurs sont confortés dans leur système63

et continuent donc à privilégier les cultures de rente, même si le prix des autres cultures est lui aussi tiré vers le

haut. Ils se posent davantage la question de la diversification quand les prix sont bas64.

Il a été remarqué que les agriculteurs reprochent davantage aux organismes stockeurs les non-gains (vendre

avant que soit atteint le prix le plus élevé) que les pertes (vendre à la baisse en période de chute des prix)65. Ils

préfèrent donc s’offrir la possibilité de gagner beaucoup plutôt que de s’assurer un revenu plus faible mais sûr. Les travaux de l’IDELE montrent que les agriculteurs de type "entrepreneurs agricoles", qui représentent de 10 à 20% de la population et sont en augmentation, ont un fonctionnement basé sur l’adaptation au marché et

sont prêts à prendre des risques (Dockès, 2008). Cette attitude "opportuniste" nécessite une forte flexibilité

des systèmes de culture, ce qui peut conduire à pénaliser des cultures pérennes ou pluriannuelles comme la luzerne. Les choix de production doivent être "réactifs", que ce soit au contexte de prix ou au contexte climatique (Carpentier, 2012). Ainsi, des cultures "de diversification" peu exigeantes au niveau de l’attribution des ressources naturelles et peu contraignantes quant à leur insertion dans les rotations seront plus facilement adoptées.

La contractualisation peut en partie réduire l'incertitude et soutenir une logique pluriannuelle. Dans certains contrats, les prix sont fixés ou indexés à l’avance, ce qui représente une sécurité pour l’agriculteur (lin

oléagineux, moutarde brune en Bourgogne66).

L’absence de marché à terme pour les cultures de diversification ne permet pas aux agriculteurs de connaître à l’avance le prix de vente, ce qui leur donne l’impression de subir le marché qui peut être très variable,

notamment en fonction de la parité euro-dollar67. Par ailleurs, les OS donnent généralement un accès facile aux

cotations des principales cultures (par exemple via leur intranet), mais ne fournissent pas spontanément les

cotations des protéagineux par exemple (c’est à l’agriculteur de faire la démarche auprès de son conseiller)68.

Répartition des risques par la diversification… ou prise de risque par introduction d’une culture de diversification ?

La diversification de l’assolement permet de réduire les risques liés à la fluctuation des cours des matières premières et aux accidents climatiques ou sanitaires une année donnée. Cet aspect est évoqué par CERFRANCE, parmi d’autres solutions, pour faire face à la volatilité des prix : "La volatilité à court terme pourra être plus atténuée grâce à une stratégie de gestion des risques : contractualisation, assurances, marché de dégagement, association de produits, progression vers l’aval. […] Autre option : diversifier les productions, ce

63 Entretien P. Huet, Chambre d’Agriculture d’Eure-et-Loir

64 Entretien B. Omon, Chambre d’Agriculture de l’Eure

65 Entretien J.P. Tillon, InVivo

66 Entretien P. Cinier, Dijon Céréales

67 Entretien L. Poiret, Lin 2000

qui permet de s’éloigner d’une sensibilité à court terme (un assolement annuel basé sur 5 à 6 productions entraîne une rotation sur 5 à 6 ans en grandes cultures)" (CERFRANCE, site internet).

Toutefois, toujours selon CERFRANCE, il semble que beaucoup d’agriculteurs réfléchissent leur assolement en fonction des prix d’intérêt et des logiques de marché plutôt qu’en fonction de raisonnements

technico-économiques incluant des logiques complexes d’effet des successions culturales69.

Le renchérissement de 46% des engrais simples azotés entre 2007 et 2008 est susceptible d'avoir incité les agriculteurs à rechercher d’autres sources d’azote dans les systèmes de culture. En effet, cette hausse de prix été suivie d'une augmentation de 34% des surfaces en légumineuses à graines entre 2008 et 2009, gonflée en particulier par la hausse de 45% des surfaces en féveroles (Agreste, site internet). Il est toutefois difficile de dissocier les facteurs responsables de cette hausse.

Par ailleurs, il semble que, d’une manière générale, les cultures de diversification sont moins soumises aux fluctuations des cours que les cultures les plus représentées dans les assolements, ce qui permet d’estimer plus facilement à l’avance la marge réalisée sur ces cultures. Cet élément est toutefois difficile à évaluer du fait d’un accès limité aux données économiques concernant les cultures de diversification. Ainsi, le Tableau 3 compare certaines cultures en fonction de la variabilité des prix à laquelle elles sont soumises. Il montre notamment que le blé est l’une des cultures qui a connu la plus forte variabilité de prix sur la période 2005-2011.

Culture Minimum Maximum Moyenne Ecart-type de variation Coefficient

Lin textile 58 164 107 32 0,30 Blé tendre 100 215 158 43 0,27 Colza 100 211 152 40 0,26 Pois protéagineux 100 196 151 38 0,25 Tournesol 97 172 138 34 0,25 Maïs 100 190 140 32 0,23 Sorgho 100 186 135 31 0,23 Soja 100 172 138 29 0,21 Betterave 68 100 76 11 0,15

Tableau 3. Fluctuation du prix de différentes cultures majeures et cultures de diversification de 2005 à 2011. Indice annuel des prix agricoles à la production (IPPAP - base 100 en 2005). (Source : Insee, site internet)

Les cultures sont classées par ordre croissant de coefficient de variation du prix.

A l’inverse, il semble que les cultures de diversification soient davantage soumises à une plus forte variabilité des rendements, difficile à anticiper. Celle-ci s’explique d’une part par une moins bonne maîtrise technique, et d’autre part par le fait que certaines de ces cultures sont très dépendantes des conditions climatiques. En lin textile par exemple, des conditions climatiques inadéquates au moment de la récolte peuvent conduire à

l’impossibilité de récolter, menant donc à un produit brut nul et à une marge brute négative...70 Le pois de

printemps, du fait d’un enracinement moins profond et d’un cycle court, est davantage tributaire du climat que

le blé71. Le Tableau 4 montre qu’à l’inverse des prix, le blé est la culture qui a connu les plus faibles variations

de rendements sur la période1989-2010, tandis que la féverole est celle qui a connu les variations les plus importantes.

Il semblerait donc que des incertitudes sur le rendement soient plus difficilement acceptables que des incertitudes sur les prix.

69 Entretien M. Varchavsky, Conseil National du Réseau CERFRANCE

70 Entretien L. Poiret, Lin 2000

Culture Minimum Maximum Moyenne Ecart-type de variation Coefficient Féveroles 32,0 51,8 39,5 5,0 0,13 Orge de printemps 39,3 68,0 55,4 7,0 0,13 Pommes de terre 292,0 454,4 385,3 46,9 0,12 Betteraves industrielles 625,5 937,0 741,8 82,4 0,11 Maïs-grain 61,3 96,7 84,3 8,8 0,10 Colza 26,4 37,7 31,4 3,2 0,10 Blé dur 32,8 52,2 46,4 4,6 0,10 Pois 36,3 55,3 47,0 4,5 0,10 Orge d'hiver 55,4 70,2 63,2 4,4 0,07 Tournesol 20,6 25,4 22,9 1,5 0,06 Blé tendre 64,2 77,9 70,2 4,5 0,06

Tableau 4. Fluctuation du rendement moyen français de différentes cultures majeures et cultures de diversification de 1989 à 2010. (Source : d’après DRIAAF Ile-de-France, 2010)

Les cultures sont classées par ordre croissant de coefficient de variation du rendement.

Impacts de la réglementation sur les choix d’assolement : des mesures incitatives à effets parfois contradictoires…

Différents dispositifs de la PAC incitent à une plus grande diversité des cultures de l’assolement au niveau de l’exploitation agricole (Schaller, 2012) :

- La conditionnalité des aides du premier pilier, à travers le respect des "bonnes conditions agricoles et

environnementales" (BCAE), peu exigeante ;

- L’aide à la diversité des assolements proposée en 2010 dans le cadre du 1er pilier, plus exigeante ;

- La Mesure agro-environnementale rotationnelle (MAER), proposée en 2007 et 2010 dans un certain

nombre de départements et pour certains types d’exploitations, pour une durée de 5 ans, dans le cadre

du 2e pilier de la PAC. Elle comprend, comme son nom l’indique, des critères de diversité temporelle

(rotation) en plus des critères de diversité spatiale (assolement) déjà présents dans les mesures précédentes.

Certains experts notent que le deuxième pilier de la PAC prend de plus en plus en compte des atouts de la diversification, auparavant peu valorisés, mais les mesures proposées, en particulier la MAE rotationnelle, sont

jugées trop contraignantes pour les agriculteurs, du fait d’un engagement à long terme 72, mais aussi du fait

qu’elles nécessitent de remplir de nombreuses conditions. Par ailleurs, ils notent que ces aides ont eu du succès auprès des agriculteurs qui avaient déjà un assolement diversifié, mais qu’elles n’ont pas été suffisam-ment incitatives pour les autres ("recevoir 30 €/ha ne représente rien par rapport à ce qu’on perd à réduire sa

sole en colza vu les prix ! "73). De manière générale, les experts constatent que tous les types d’aides

permettent de conforter les systèmes vertueux mais incitent peu au changement. De plus, l’inquiétude du contrôle décourage de nombreux agriculteurs (Coulon, 2012).

La future réforme de la PAC devrait inclure un paiement (à hauteur de 30% du plafond national annuel) pour les agriculteurs qui recourent à des "pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement", intégrant un critère de diversification des cultures plus strict que la conditionnalité actuellement en vigueur (Commission Européenne, 2011). Mais les experts s’accordent à dire que cette réforme aura un effet limité sur la diversification des cultures puisque les critères requis sont déjà respectés par une grande majorité d’agriculteurs, et qu’a priori, des agriculteurs pratiquant aujourd’hui des rotations courtes du type blé-colza pourront diversifier leur système par l’introduction d’une céréale supplémentaire (ex : blé-orge-colza), ce qui

aura un impact environnemental très limité74.

72 Entretien A. Merrien, Cetiom

73 Entretien V. Carpentier, Chambre d’Agriculture de l’Eure

Accorder une aide spécifique à une culture ou à un groupe de cultures en particulier (type aide aux protéagineux) permet de "déclencher" des surfaces et donc de soutenir le lancement d’une production dans un territoire. Même si cela ne constitue qu’un levier faible, il peut représenter un signal fort de volonté politique

et de soutien, permettant de rassurer les agriculteurs dans leur démarche75. En ce qui concerne les

protéagineux, le soutien national qui leur était accordé de 2010 à 2012, a conduit à un "effet d’aubaine" : on a observé par exemple une augmentation de 50% des surfaces en pois sur le bassin de la coopérative Axéréal

mais une chute des surfaces l’année suivante malgré le maintien de l’aide76. Ce désintérêt est attribué aux

rendements faibles obtenus ces dernières années sans que l’on sache toujours en expliquer les causes77. Pour

certains, il aurait était plus efficace d’allouer ce budget au financement de démarches d’homologation (pour le

lupin notamment), plutôt que directement aux surfaces en protéagineux78.

En ce qui concerne la luzerne, l’aide qui était accordée aux déshydrateurs était redistribuée aux producteurs. La suppression de cette aide (du fait du coût énergétique des usines de déshydratation) risque de conduire à la

fermeture de ces usines79 et à l’abandon de la culture par les exploitations spécialisées en production

végétales, mais potentiellement au maintien de cette culture dans les exploitations mixtes (ayant des

productions végétales et animales)80.

Le chanvre, qui bénéficie d’un système similaire jusqu’en 2013 (aide à la transformation), profite également de manière indirecte de la MAE "réduction des produits phytosanitaires" puisque sa culture ne nécessite pas de traitements phytosanitaires ; elle permet de bénéficier de l’aide sans avoir à réduire les apports sur les autres

cultures81.

Bien souvent, un agriculteur cherchant à diversifier son système de culture, dans le but de réduire sa consommation en intrants, cherchera à intégrer des cultures de printemps afin de rompre les cycles des

ravageurs et adventices, les cultures d’hiver étant souvent majoritaires dans les assolements. Ainsi, l’obligation

de CIPAN (Culture intermédiaire piège à nitrates), imposée avant l’implantation d’une culture de printemps, est

souvent évoquée comme un frein à la diversification des cultures82. Cette obligation porte sur les "zones

vulnérables Nitrate" (et à terme sur l’ensemble du territoire national) dans le cadre des programmes d’action Nitrate successifs, mais elle peut également être rendue obligatoire sur les aires d’alimentation de captages, dans le cadre de l’application de la directive sur l’eau et les milieux aquatiques. Elle est vue comme une forte contrainte par les agriculteurs ; de nombreuses demandes de dérogations ont été déposées par la profession agricole et accordées par les préfets. Quelques causes de dérogations : des sols argileux nécessitant un travail précoce à l’automne difficilement compatible avec l’implantation d’une culture intermédiaire ; une récolte tardive de la culture principale ne permettant pas l’installation d’une culture intermédiaire (Justes et al., 2012). Cette obligation réglementaire est considérée comme une des causes de la régression du tournesol en région Centre (qui a connu une régression de la surface en maïs d’environ 10 000 ha), tandis que le maïs bénéficie

d’une dérogation du fait des résidus végétaux qui couvrent le sol pendant l’interculture83. Le fait que le sorgho

laisse beaucoup de résidus en surface rend l’implantation du suivant difficile mais est considéré comme un

atout pour son développement car cela lui permet de bénéficier également de cette dérogation84.

Il semble que les incitations réglementaires en faveur de la diversité des assolements et rotations et des cultures de diversification puissent avoir des impacts parfois contradictoires sur le développement de ces cultures. Ces aides liées aux surfaces permettent toutefois de soutenir le développement d’une culture mais elles ne sont pas suffisantes à son maintien durable.

75 Entretien R. Tavernier, Linéa-Lin

76 Entretien J. Reveillère, Axéréal

77 Entretiens avec : G. Cattin, Chambre d’Agriculture de la Marne ; B. Omon, Chambre d’Agriculture de l’Eure

78 Entretien N Harzic, Jouffray-Drillaud

79 Entretien G. Cattin, Chambre d’Agriculture de la Marne

80 Entretien N Harzic, Jouffray-Drillaud

81 Entretien A. Médeau, Cavac

82 Entretiens avec : V. Carpentier, Chambre d’Agriculture de l’Eure ; A. Merrien, Cetiom

83 Entretien A. Merrien, Cetiom

3.2.4. La diffusion de références techniques : analyse des informations diffusées

Outline

Documents relatifs